Décision du peuple différente de celle des autorités – ou comment contourner une telle décision?

Décision du peuple différente de celle des autorités – ou comment contourner une telle décision?

Un cours de rattrapage pour les fonctionnaires et autres «experts»

par Marianne Wüthrich, docteur en droit et enseignante

En Suisse, le peuple représente l’autorité étatique suprême. Le souverain décide de tout amendement de la Constitution fédérale; à l’aide de l’initiative populaire et du référendum facultatif, les citoyens peuvent s’impliquer dans le débat politique et décider de la forme de notre système politique ainsi que la direction dans laquelle il doit se développer. Mais, depuis un certain temps cela semble ne plus plaire à certaines personnes. Dans une partie des cantons et au niveau fédéral, les exécutifs et leur appareil administratif semblent avoir un urgent besoin d’un petit cours de rattrapage concernant la démocratie directe.

Jusqu’il y a une vingtaine d’années, il était évident pour tout politicien ou autorité administrative que lorsque le souverain a décidé, il n’y a plus rien à interpréter. Le grand respect des autorités à l’égard du système politique de démocratie directe permettait jusqu’à présent que les gouvernements (fédéral ou cantonal), y compris leurs fonctionnaires, mettent en application une décision populaire même si celle-ci était contraire à leur avis.
Une des bases fondamentales et indispensables de la démocratie directe est que la population doit pouvoir à tout moment s’informer sur les procédures législatives planifiées et sur les négociations contractuelles en cours avec d’autres pays. Car, seulement la transparence totale de la part de l’Etat permet aux citoyens de se forger leur propre opinion.

Rétablir la relation de confiance entre le peuple et les autorités

Entre la population et les autorités il y a toujours eu une relation de confiance particulière en Suisse. Leurs contacts se passent d’égal à égal et en respectant le principe de la bonne foi. Nombreux sont les citoyens étant eux-mêmes membres d’autorités ou de commissions. Certains ont, par exemple, simultanément un mandat au Parlement cantonal et au Parlement municipal. D’autres sont président d’une commune et conseiller national ou député au niveau cantonal et également au niveau fédéral etc. En Suisse, la séparation des pouvoirs n’est valable qu’à l’intérieur du même niveau étatique. Il est par exemple tout à fait souhaitable qu’un politicien communal puisse également s’exprimer au niveau cantonal ou fédéral. Cette interaction subtile, basée sur une forte conscience démocratique commune est un magnifique acquis historique en Suisse. Mais cela ne peut fonctionner que si tous les participants sont désireux de maintenir le modèle suisse.
Depuis le début des années 1990, le respect de la volonté du peuple s’effrite au sein de nombreuses administrations exécutives et de politiciens. Parallèlement, de nombreux bons citoyens engagés ont perdu une partie de leur confiance en «l’Etat», avant tout au niveau fédéral mais également au niveau cantonal. Cela est compréhensible depuis la votation du 6 décembre 1992, lorsque le peuple suisse rejeta l’adhésion à l’EEE. Mais l’implication de plus en plus massive de l’OCDE, c’est-à-dire des Etats-Unis, dans les affaires intérieures de notre pays – tolérée par le Conseil fédéral sans que le peuple ait voix au chapitre – ne contribue en rien à ce que la confiance des citoyens en l’Etat soit renforcée.
Suite au rejet de l’EEE, la Suisse et l’UE ont négocié les accords bilatéraux I et II. Une majorité des citoyens ont accepté ces accords, en plaçant de manière erronée leur confiance dans les belles promesses du Conseil fédéral et de «l’économie» (donc des multinationales ayant bien leur siège en Suisse mais produisant et opérant dans de toutes autres régions): les accords bilatéraux sont essentiels pour l’économie et ne restreignent en rien notre indépendance de l’UE et nos droits politiques en tant que citoyens.
Entre temps, de nombreux citoyens ont compris que les accords bilatéraux sont en premier lieu au profit de l’UE et de leur grands groupes industriels. Ainsi, le flux des camions traversant notre pays en polluant l’air ne contribue en rien au bien-être de notre population. Et l’afflux annuel net d’environ 80 000 immigrés est pour un petit pays aussi densément peuplé que la Suisse tout simplement plus soutenable, ce que les citoyens ont clairement exprimé le 9 février 2014, comme chacun le sait, lors de l’acceptation de l’initiative sur l’immigration de masse.

Repousser les attaques contre les droits politiques des citoyens suisses

Compte tenu des tentatives subreptices de retirer le pouvoir au souverain, il est réjouissant pour tout citoyen actif de voir le grand nombre de concitoyens ne se laissant pas démoraliser. 53 initiatives populaires fédérales ont été lancées uniquement au niveau fédéral entre 2002 et 2014, dont 10 ont été acceptées dans les urnes! Un résultat remarquable!
Les «transformateurs» autoproclamés de la Suisse ne se réjouissent pas vraiment du succès de nos instruments de démocratie directe. Par exemple Lukas Rühli, membre exécutif de la fabrique à penser avenir suisse, exige des réformes du droit d’initiative populaire, car «[…] pratiquement aucune initiative acceptée n’est appliquée selon les désirs de leurs auteurs». (Communiqué de presse du 7 avril 2015) C’est vrai, ni l’initiative sur l’internement à vie, ni celle sur le renvoi, ni celle sur les résidents secondaires, ni celle sur l’immigration de masse ont jusqu’à présent été mises en application. Mais le fait de vouloir changer le droit d’initiative de sorte à ce qu’il «ne devienne pas une farce» (Lukas Rühli) signifierait mettre la charrue avant les bœufs.
Il fait, entre autres, les propositions suivantes: un examen préliminaire des initiatives populaires par la Chancellerie fédérale – bien que lors de la consultation cette proposition a été clairement rejetée. Ou, l’augmentation du nombre de signatures de 100?000 à 210?000 (4% des électeurs).
Les auteurs de telles idées ont-ils déjà participé activement à la récolte de 100?000 signatures? Difficilement imaginable, sinon ils sauraient que pour récolter 100?000 signatures, le nombre d’heures d’engagement pour les collecteurs reste le même – indépendamment du nombre d’électeurs.
Il ne faut pas adapter le droit d’initiative, c’est au Conseil fédéral y compris son appareil administratif, à l’Assemblé fédérale et au Tribunal fédéral de s’adapter, car les textes d’initiatives acceptées dans les urnes deviennent par la volonté du peuple des articles de la Constitution fédérale suisse, la loi suprême de notre pays. Les autorités et leurs fonctionnaires ont le devoir de veiller à ce que les termes exactes de la Constitution soient transposés au niveau législatif puis appliqués, même si cela ne convient pas à certaines personnes à Bruxelles ou en outre-mer. Pour responsabiliser les «serviteurs» et les «représentants» du peuple, une initiative populaire fédérale intitulée «Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l’autodétermination)» a récemment été lancée.

Des exécutifs cantonaux, plus ou moins aptes à la démocratie

Dans le cas du Plan d’études 21 («Lehrplan 21»), la méthode subreptice ne fonctionne pas comme voulu. Comme cela a déjà été présenté précédemment dans nos colonnes, la prétendue «base juridique» de cette construction indicible repose uniquement sur une simple convention administrative entre les gouvernements cantonaux. Dans l’espoir que personne ne remarque quoi que ce soit, la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) a ordonné à ses troupes de pondre à huis clos, pendant trois ans, cet œuf de coucou. (cf. Horizons et débats no 31/32 du 28/10/13)
Mais le peuple suisse n’accepte pas cette manière de faire et de nombreux parents et enseignants s’y opposent fermement. Dans les cantons, les initiatives populaires poussent comme des champignons pour exiger la sortie de HarmoS ou demander que les électeurs puissent voter sur le Plan d’études 21 prévus pour toutes les classes de l’école obligatoire des 21 cantons suisses-alémaniques.
Et que font les gouvernements cantonaux? Certains se comportent correctement, comme en Argovie, où l’introduction du plan d’étude a été reportée à plusieurs années, afin que la population puisse voter précédemment sur l’initiative populaire «Ja zu einer guten Bildung – Nein zum Lehrplan 21» [Oui à un bon enseignement – Non au Plan d’études 21]. D’autres sont sur le devant de la scène et veulent introduire ce plan d’études controversé aussi rapidement que possible, à l’instar du canton de Bâle-Ville, et – littéralement – sans aucun «ajustement aux circonstances cantonales». Comme «par hasard», le directeur de l’instruction publique du canton de Bâle Christoph Eymann est également président du CDIP. Dans cette fonction, il se comporte comme s’il était le grand patron du pays: «Nous n’avons pas peur de rester seuls. Tous les cantons emprunteront cette voie», a-t-il annoncé le 4 décembre 2014 à la télévision suisse SRF.
Là, il pourrait terriblement se tromper! La conseillère aux Etats de Bâle-Ville, la socialiste Anita Fetz, ne partage nullement cet avis: «Laissez l’école en paix! Le Plan d’études 21 a échoué» dixit Fetz dans une interview. (Die Zeit, no 44/2014 du 23 octobre 2014)
Christoph Eymann (LDP, parti libéral-démocrate) prévoit d’ailleurs de se présenter en octobre de cette année comme candidat au Conseil des Etats et de chasser Anita Fetz de son siège. C’est aux électeurs bâlois de bien choisir leur conseiller ou leur conseillère aux Etats.     •

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