La Bundeswehr doit servir la volonté du peuple

«Les décisions politiques fatidiques concernant la paix et la guerre […] doivent être prises par la représentation suprême de tout le peuple, dont le destin est en jeu, donc par le Parlement.»

La Bundeswehr doit servir la volonté du peuple

Les remises en question des réserves du Parlement sont en opposition avec les enseignements des guerres mondiales

par Karl Müller

70 ans après la capitulation sans conditions de l’armée allemande – le 8 mai envers les forces armées des Alliés occidentaux et le 9 mai envers l’Armée rouge – une Commission du Bundestag, portant le nom sans fin de «Commission destinée à vérifier et garantir les droits du Parlement lors de l’octroi d’un mandat pour des interventions à l’étranger de la Bundeswehr», en bref «Commission Rühe», selon le nom d’un ancien ministre de la Défense, doit remettre un rapport et soumettre des propositions. Il s’agit de savoir «dans quelle mesure les droits du Parlement peuvent être garantis alors que l’intégration dans l’Alliance est en marche et malgré le fait que les activités sont de plus en plus réparties», et de déterminer dans quelle mesure il faut agir «pour ajuster la loi de participation du Parlement».
Il est particulièrement grotesque que cette commission porte le nom du ministre allemand de la Défense qui s’était prononcé en 1998, en opposition au Chancelier fédéral de l’époque, en faveur d’une participation à la guerre contre la Yougoslavie qui eut lieu en parfaite violation du droit international. En 1994, il avait déjà décrit, dans une interview accordée à la revue Der Spiegel, quelle est la voie à prendre pour préparer les Allemands aux engagements de guerre de la Bundeswehr, non pas par un grand mais par beaucoup de petits pas («Salamitaktik»).

La Bundeswehr, un coffre d’en­registrement des décisions de l’OTAN?

M. Rühe a déjà souvent exprimé en public sa façon de voir le «compromis» entre les droits du Parlement et «l’intégration à l’Alliance». Le 10 septembre 2014, il s’est exprimé dans une interview accordé au «Deutschlandfunk», soit six mois après la mise en place de la Commission portant son nom, sur les «décisions accélérées» du Bundestag, donc dans un délai de 24 heures, mais également sur la nécessité d’avaliser après-coup les décisions gouvernementales. Selon M. Rühe, plus jamais ne doit arriver que le Bundestag refuse une action commune avec l’OTAN. A l’avenir, le gouvernement devra «se rendre au Parlement lorsque les décisions auront été dûment prises par l’OTAN, afin de communiquer la dépendance acceptée dans laquelle nous nous trouvons et ce qu’on attend de nous, pour ne pas paralyser les autres membres. Puis il reste au Parlement d’acquiescer la proposition.»
En fait, la Bundeswehr et les soldats allemands sont déjà lourdement impliqués dans les préparations de guerre de l’OTAN. La réalité a pris le pas sur le Président fédéral, la ministre de la Défense et le ministre des Affaires étrangères. Les discussions publiques concernant la participation de l’Allemagne à une armée de l’UE, ainsi que les déclarations de la ministre de la Défense s’y référant – «Il est possible que nous seront tenus de modifier le droit allemand» – apparaissent comme la préparation à la «légalisation» de non-droits actuels et futurs.
La ministre trouve un appui de la part d’autres membres de la Commission Rühe, tel que Roderich Kiesewetter de la CDU – «Les Hollandais et les Polonais seraient terriblement déçus si la participation de troupes communes à une mission qu’ils souhaitent était bloquée par le Bundestag. Dans la mesure où l’on met en place des forces armées intégrées, on doit rester crédible – tant nous-mêmes que les autres.» Niels Annen du parti socialiste déclare: «Le Bundestag doit prendre les choses au sérieux si les alliés se mettent à avoir des doutes.» Le fait que M. Kiesewetter évoque précisément la Pologne est particulièrement inquiétant. Il y a dans ce pays des forces influentes prêtes à se lancer dans une guerre contre la Russie. Soldats allemands y compris?

La Bundeswehr doit-elle obéir aux décisions du Parlement de l’UE?

En pensant au projet de l’armée de l’UE, le député Kiesewetter propose: «Lors de l’envoi de soldats allemands dans une armée européenne, on pourrait transmettre temporairement le consentement au Parlement européen.» Niels Annen ajoute aux réflexions de la ministre allemande de la Défense en ce qui concerne la modification de certaines lois: «J’estime acceptable qu’elle envisage de remettre certaines compétences du Bundestag au Parlement européen.» Les projets des députés verts Cem Özdemir et Tobias Linder vont encore plus loin. Dans leur prise de position au sujet de la construction d’une armée de l’UE, ils estiment qu’une telle armée rendrait inutile les armées nationales. Ils veulent remplacer la «réserve d’examen du Parlement» par un «contrôle» à effectuer par le Parlement européen.

Cour constitutionnelle fédérale: la Bundeswehr est l’affaire du peuple et de ses représentants

Tous ces politiciens souffrent d’un déficit de conscience juridique et historique. En 1994, la Cour constitutionnelle allemande a justifié en toute clarté la «réserve d’examen parlementaire», lors de son jugement concernant l’engagement de la Bundeswehr en Somalie en 1993 (BVerfGE 90, 286). Dans son jugement il est dit: «Les règles de la Loi fondamentale relatives aux forces armées sont conçues – à divers niveaux de leurs formulations – de façon à ne pas laisser la Bundeswehr en tant qu’instrument du pouvoir dans les seules mains de l’exécutif, mais de l’introduire en tant qu’«armée parlementaire» dans l’ordre constitutionnel démocratique de l’Etat de droit, c’est-à-dire que le Parlement garde une grande influence juridique sur le développement et l’utilisation des forces armées.»
La Cour, dans ses considérants, ne se contente pas de commenter les dispositions contenues dans la Loi fondamentale, notamment celles concernant la défense du pays qui ne peut être décidée que par une majorité des deux tiers du Bundestag et du Bundesrat [sénat, ndt.] (article 115a de la Loi fondamentale), mais aussi l’histoire du commandement des armées allemandes. La Cour cite, entre autre, le rapporteur lors de l’adoption de la modification de la Loi fondamentale visant l’introduction d’une Constitution de défense allemande: «Les décisions politiques fatidiques concernant la paix et la guerre […] doivent être prises par la représentation suprême de tout le peuple, dont le destin est en jeu, donc par le Parlement.» Et la Cour de terminer: «La décision en faveur d’un contrôle parlementaire exhaustif des forces armées sur la base des prescriptions de la Loi fondamentale, reposant sur la tradition constitutionnelle allemande depuis 1918, laissent reconnaître un principe reposant sur l’organisation des Forces armées [Wehrverfassung] selon laquelle l’engagement de l’armée est soumis à l’approbation constitutionnelle et fondamentale du Bundestag.»
La cour a laissé au législatif le soin de préciser les détails, ce qui fut pris en main 10 ans plus tard, en 2005, par une loi de participation du Parlement. Le paragraphe 1 en définit le principe dans l’alinéa 2: «L’engagement de troupes allemandes armées en dehors du territoire couvert par la Loi fondamentale [donc en dehors de l’Allemagne] doit obtenir l’aval du Bundestag.»

L’UE n’a pas le droit de décider des engagements de la Bundeswehr

La cour constitutionnelle et la Loi de participation du Parlement ont défini uniquement des exceptions précises lors «de dangers imminents qui ne permettent aucun report». Il n’est cependant nulle part question d’une «intégration dans une alliance». Bien au contraire, la Loi de participation du Parlement définit même qu’en cas de «danger immédiat» ou dans n’importe quelle autre situation, le Bundestag peu décider à tout moment la cessation de l’engagement militaire allemand. Dans son verdict à propos du Traité de Lisbonne, la Cour constitutionnelle a même décidé en juin 2009 que l’organisation des forces armées et les droits parlementaires lors d’engagements de la Bundeswehr doivent faire partie intégrante de la Loi fondamentale et ne peuvent être transférés à l’Union européenne, du fait qu’il s’agit d’un fondement inaliénable de la démocratie allemande. Dans le jugement il est dit textuellement: «Même si l’Union européenne devait être transformée en un système régional de maintien de la paix et de sécurité collective dans le sens de l’article 24, alinéa 2 de la Loi fondamentale, un engagement concret des forces armées allemandes ne serait pas non plus admissible à cause du devoir de paix et de démocratie. La ‹réserve d’examen du Parlement› pour les missions à l’étranger de la Bundeswehr est à l’abri de toute intégration.» (BVerfGE 123, 267)

Loi fondamentale: respect du droit international et interdiction de toute guerre d’agression

70 ans après la fin de la guerre, on assiste en Allemagne à un débat sur une question fondamentale pour le pays et les Allemands: qui décide de l’avenir de l’Allemagne? Après la guerre, la Loi fondamentale avait ouvert la voie pour que l’Allemagne devienne un Etat démocratique. L’appui sur le droit international (article 25?Lf) et la punissabilité de la préparation de guerres d’agression (article 26?Lf) avaient un caractère constitutif. Quiconque connaît l’histoire sait qu’aucun des deux Etats allemands ne devint souverain lors de sa création. Mais par les décisions de Potsdam, même les vainqueurs avaient décidé que la transformation définitive de la vie politique allemande sur une base démocratique et une éventuelle participation de l’Allemagne à la vie internationale devait être préparée. Depuis lors, on s’est beaucoup appliqué et avec quelque succès, pour rendre l’Allemagne plus démocratique et pour l’amener à devenir un acteur orienté sur le droit international dans les relations internationales. Malheureusement, ces efforts ont été, à partir de 1990, remis en question, notamment par certaines élites du pouvoir allemand, qui n’exigent pas davantage de démocratie pour l’Allemagne, estimant que la notion de souveraineté nationale est dépassée, que les questions essentielles des communes doivent être résolues par la «gouvernance transnationale», donc par une «gestion» transnationale par le haut. Le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble, par exemple, le souligne constamment depuis quelque temps, entre autre dans un article pour la «Frankfurter Zeitung» du 7 avril 2015.

Oui au «citoyen soldat» et non aux «mercenaires archaïques»

La question concernant les droits du Parlement allemand lors d’engagements de la Bundeswehr fait partie de ce contexte. Le soldat de la Bundeswehr doit-il, comme c’était prévu lors de sa création, être un «citoyen en uniforme» avec un esprit démocratique? Il est prêt, le cas échéant, à défendre son pays et son peuple lors d’une agression et ce en symbiose avec la volonté de son peuple! Ou bien faut-il accepter que la Bundeswehr devienne de plus en plus une «armée en mission», se soumettant aux volontés de domination politique de pays étrangers dont l’image des «mercenaires archaïques» ne correspond nullement à la volonté du peuple?
70 ans après la Seconde Guerre mondiale ces questions sont d’importance capitale pour l’avenir de l’Allemagne. La Bundeswehr est actuellement engagée dans 12 pays étrangers: dans la corne de l’Afrique, au Kosovo, en Turquie, en Méditerranée dans le cadre de ce qu’on appelle le combat contre le terrorisme, au Soudan, devant les côtes libanaises, au Soudan du Sud, en Somalie, en Syrie pour la destruction des armes chimiques, en République centrafricaine, au Mali, en Afghanistan et en Irak. Tous ces engagements sont à juste titre controversés, mais il ne s’agit pas encore des grands engagements de guerre de l’avenir. Les droits du Parlement ne sont malheureusement pas une garantie que ce dernier osera dire «non». Mais le sens de la réserve d’examen du Parlement et la situation légale sont les liens rattachant les forces armées allemandes à la volonté du peuple. Partout où le Parlement ne suit pas cette volonté, il faut lui rappeler ses devoirs. Il faut mettre en place des moyens décisionnels de démocratie directe pour compléter la démocratie parlementaire. Mais cela va à l’encontre de la voie planifiée par la politique de passer outre le désir du peuple.    •

«‹Un engagement concret des forces armées allemandes ne serait pas non plus admissible à cause du devoir de paix et de démocratie. La ‹réserve d’examen du Parlement› pour les missions à l’étranger de la Bundeswehr est à l’abri de toute intégration.›»

Armée et peuple

km. L’objectif d’avoir une armée se soumettant à la volonté du peuple et prenant les armes uniquement en cas d’attaque armée contre son propre pays pour le défendre est le résultat d’expériences historiques amères.
Jusqu’au début du XIXe siècle, il n’y avait dans les pays allemands que des armées de mercenaires qui servaient uniquement les princes payants ou d’autres chefs d’armée – à l’instar du bien connu Wallenstein. Suite à la réforme de l’armée prussienne, après la défaite contre l’armée de conscrits napoléonienne, on a bien introduit le service militaire obligatoire en Prusse, et des individus exceptionnels tel Gerhard von Scharnhorst ont fait preuve d’opinions nobles et de pensées courageuses parmi les officiers dirigeants. Ces réformes n’étaient cependant influencées qu’au début par la pensée démocratique. Avec la restauration de l’aristocratie après 1815, les armées de conscrits étaient soumises non plus au peuple mais uniquement à leurs princes. La lutte de 1848/49 pour la première Constitution valable pour toute l’Allemagne a en réalité échoué en partie à cause des armées princières. Et là où se manifestèrent par la suite la résistance politique, comme au landtag prussien, celle-ci fut combattue par une violation de la Constitution. Le Premier ministre prussien d’alors Otto von Bismarck expliqua plus tard, comment il avait pris parti en déclarant que «les députés [devraient] placer la plus grande quantité possible de fer et de sang dans les mains du roi de Prusse pour qu’il puisse la placer, selon son appréciation, dans l’un ou l’autre plateau de la balance». Il s’ensuivit trois guerres.
La Constitution de l’empire (1871–1918) déterminait que l’empereur allemand (et roi de Prusse) était le commandant en chef de l’armée. Dans les livres d’histoire, on retrouve l’état d’esprit exigé des soldats. Ainsi, Guillaume II fit savoir aux recrues de son régiment de la garde de Potsdam: «Vous m’avez juré la fidélité, donc vous êtes maintenant mes soldats, vous vous êtes rendus à moi corps et âme; il n’y a pour vous qu’un seul ennemi, et c’est mon ennemi. Suite aux intrigues socialistes actuelles, il pourrait être nécessaire que je vous ordonne d’abattre vos proches, vos frères, oui même vos parents – que Dieu nous en garde –, mais aussi à ce moment-là, vous devez suivre mes ordres sans broncher.» L’élitisme des officiers allemands se reflète dans un article d’un hebdomadaire militaire: «Dans aucun autre pays du monde, les officiers se trouvent à un niveau aussi élevé, ont un rang aussi élevé qu’au sein de la société humaine, une position aussi estimée et renommée qu’en Allemagne. Le fondement ancestral de l’état d’esprit des officiers est illustré par le sens dynastique, la fidélité absolue envers la personne du monarque, le patriotisme surélevé, la sauvegarde de l’existant, la défense des droits monarchiques se trouvant sous sa protection et la lutte contre les idées des sans-patrie et des ennemis du roi.»
Les tueries perpétrées à hauteur de millions lors de la Première Guerre mondiale sont suffisamment connues.
La Reichswehr dans la République de Weimar ne se sentait pas non plus responsable face à la démocratie. Ses officiers, étant en majorité originaires de l’armée de l’empereur, méprisait la démocratie et n’étaient pas prêts à défendre la jeune République contre les insurrections de droite à l’intérieur du pays. De nombreux officiers de la Reichswehr saluèrent la prise du pouvoir des nationaux-socialistes, participèrent en été 1934 aux assassinats des adversaires de Hitler à l’intérieur du parti et se soumirent longtemps sans broncher à la Wehrmacht de Hitler comme à sa politique d’armement et à ses ruptures de contrats.
Oui, en ce temps-là, il y avait également des officiers sincères avec des opinions nobles. Il y eut le 20 juillet 1944 et ses antécédents. Il y eut des officiers haut gradés de la Wehrmacht qui refusèrent déjà en 1938 les plans de guerre de Hitler comme l’acte manqué d’un hasardeur, étant même, pour un court laps de temps, prêts à renverser Hitler. Mais même un homme tel que Claus Schenk Graf von Stauffenberg est devenu, après les premiers succès de guerre de Hitler, un admirateur du «Führer» rêvant encore longtemps, bien qu’il se fût intérieurement distancié des nationaux-socialistes, de la victoire allemande dans une guerre injuste. Pas tous les officiers et cer­tainement pas tous les soldats de
la Wehrmacht étaient des criminels, néanmoins, pendant la guerre, la Wehrmacht était impliquée dans de terribles crimes.
Tout cela était connu des pères fondateurs de la Bundeswehr et de l’Organisation des Forces armées dans la Loi fondamentale allemande et doit être pris en considération. La Bundeswehr devrait être une pure armée de défense, le soldat de la Bundeswehr un citoyen en uniforme lié au peuple, la Bundeswehr une armée avec une mission et un soutien démocratiques. Mais où en est-elle actuellement – et dans quelle direction va-t-elle être dirigée?

Notre site web utilise des cookies afin de pouvoir améliorer notre page en permanence et vous offrir une expérience optimale en tant que visiteurs. En continuant à consulter ce site web, vous déclarez accepter l’utilisation de cookies. Vous trouverez de plus amples informations concernant les cookies dans notre déclaration de protection des données.

Si vous désirez interdire l’utilisation de cookies, par ex. par le biais de Google Analytics, vous pouvez installer ce dernier au moyen des modules complémentaires du présent navigateur.

OK