Nous avons besoin davantage d’avocats s’engageant en faveur du droit et de l’humanité

Nous avons besoin davantage d’avocats s’engageant en faveur du droit et de l’humanité

par Karl Müller

A côté de moi, dans le train, se trouve une jeune femme d’environ 40 ans. Lors de notre entretien, j’apprends qu’elle est Kurde. Elle vit depuis de nombreuses années en Allemagne, mariée à un Serbe. Je lui demande ce qu’elle pense des derniers événements concernant l’attitude du gouvernement turc envers les Kurdes. Voici sa réponse: «C’est une tragédie». Elle n’est pas révoltée, plutôt impuissante. Mais ce n’est pas étonnant, dit-elle, surtout du fait de l’abondance de matières premières dans les régions habitées par les Kurdes. Il est impensable que le gouvernement turc accepte un Etat kurde indépendant.
Les pays influents dans le monde ne s’intéressent pas au sort des Kurdes. A leur côté, il n’y a pas de bénéfices à faire. Elle et son époux font partie d’une minorité discriminée et bafouée. Son mari vient de la partie serbe de la Croatie. Ils s’y rendent volontiers pendant les vacances pour rendre visite à la famille. Le pays ressemble encore à ce qu’il était après la guerre au début des années 90. Le gouvernement croate ne se préoccupe pas de la reconstruction. On n’y trouve beaucoup de personnes âgées, les jeunes s’expatriant. C’est aussi une sorte d’expulsion, me semble-t-il. Et pourtant la Croatie est membre de cette «communauté de valeurs» que prétend être l’UE.

EI – à qui profite le crime?

Le 27 juillet, un jour après que le président turc ait dénoncé le traité de paix avec le PKK du pays et qu’il ait parlé à nouveau d’une organisation terroriste, Walter Stützle, ancien secrétaire d’Etat du ministère allemand de la Défense, s’est exprimé à la radio «Deutschlandfunk». Le gouvernement turc avait demandé une séance du Conseil de l’OTAN. Il s’estime agressé et recherche le soutien de l’OTAN. Quelques jours auparavant, une attaque avait eu lieu en Turquie. On désigna le coupable comme étant membre de l’Etat islamique (EI). La Turquie a bombardé des positions de l’EI … mais aussi des Kurdes … alors même que ce sont précisément eux qui avaient combattu et combattent toujours l’EI dans le nord de la Syrie. Maintenant le gouvernement turc veut placer sous sa propre surveillance une bande de 50?km de largeur dans le nord de la Syrie. Il n’existe aucune base de droit international pour un tel acte. La Turquie planifie donc une guerre d’agression illicite contre un Etat souverain.

On assiste à une dynamique risquant d’échapper à tout le monde

Selon Walter Stützle, «il faut espérer des Etats-Unis qu’ils prennent une position raisonnable pour influer sur la Turquie dans le Conseil de l’OTAN». Puis, il ajoute «je l’espère – mais je n’y crois pas trop.» Et le journaliste menant l’interview de compléter que la première réaction des Etats-Unis à la proposition de la Turquie «exprime de la compréhension, car la Turquie a aussi le droit de lutter contre les organisations qu’elle considère comme étant terroristes». Et Stützle de rajouter: «En jetant un regard sur la carte de la région, on constate que l’intention exprimée avant notre entretien [par le gouvernement turc] d’installer une zone de sécurité contrôlée entre la Turquie et la Syrie revient à une politique d’occupation envers un Etat souverain – dont on peut remettre en question le régime politique, mais qui n’en existe pas moins – détenant toujours les rênes du pays, cela est un acte de guerre, donc c’est tout simplement la guerre.» On se trouve face à une dynamique «qu’un jour ou l’autre personne ne pourra maîtriser. Nous constatons déjà dans cette région dont nous parlons, le démantèlement de l’ordre étatique, provoqué d’ailleurs principalement par la désastreuse guerre d’Irak, déclenchée par Bush junior en 2003. Et nous constatons que les Etats occidentaux, tout comme les gouvernements de l’OTAN, semblent être dénués de tout concept devant cette tâche.»

Les Kurdes – victimes d’une nouvelle politique américaine

Trois jours plus tard, le 30 juillet, apparaît à cette même station de radio l’ancien secrétaire d’Etat du ministère allemand des Affaires étrangères et ancien ambassadeur allemand aux Etats-Unis Jürgen Chrobog. Il exprime sa crainte du désintérêt de la Turquie à vouloir combattre l’EI, les principaux ennemis du gouvernement turc étant le président syrien Assad «dont on veut se débarrasser» et les Kurdes. Il est vrai que les Kurdes ont aussi combattu l’EI mais à présent le gouvernement turc vient de déclarer que c’est lui qui veut combattre l’EI. Il aurait même «obtenu carte blanche». Il peut donc agir selon son bon vouloir, étant couvert notamment par les Américains.
Selon Chrobog, les Américains peuvent à nouveau utiliser dans leurs engagements au Moyen-Orient (et peut-être également au-delà) des bases aériennes en Turquie avec l’accord du gouvernement turc, et semblent prêts «à mettre en sourdine tout ce qui pourrait fâcher les Turcs et remettre en cause cette affaire». C’est bien pourquoi le gouvernement américain se trouve prêt à sacrifier les Kurdes, après les avoir utilisés pour combattre l’EI. Toujours selon l’ancien ambassadeur allemand aux Etats-Unis, «les Kurdes sont dans cette situation les victimes d’une nouvelle politique américaine». En réponse à la question de savoir si les problèmes de la région ne risquent pas de prendre une tournure encore plus grave, il répond: «Le danger est certain, comme cela apparaît clairement. Les Américains ont une vue unilatérale, ils s’en tiennent à leur seul objectif, ignorant le reste, ce qui ne peut qu’accroître les tensions.»

De la «terreur des vertus» …

Le drame «La mort de Danton», écrit en 1835 par Georg Büchner, traite de l’affrontement mortel entre le jacobin Robespierre et son adversaire Danton pendant la Révolution française. Büchner donne la parole à Saint-Just, un partisan de Robespierre, pour expliquer la raison fondée du programme de violence et de sa conception: «Il semble qu’il y ait quelques oreilles délicates dans cette assemblée ne supportant pas le terme ‹sang›. Quelques considérations générales devraient les convaincre que nous ne sommes pas plus cruels que la nature et le temps. La nature poursuit tranquillement et inexorablement ses lois, l’être humain est détruit dès lors qu’il entre en conflit avec elles. […] Alors je pose la question: la nature spirituelle dans la révolution doit-elle prendre plus d’égards que la nature physique? Une idée n’aurait-elle pas le droit de détruire tout autant qu’une loi de la physique ce qui s’oppose à elle? Un événement modifiant l’ensemble de la nature morale, c’est-à-dire l’humanité, ne devrait-il pas passer par le sang? Dans la sphère spirituelle, l’esprit du monde se sert de nos bras comme il se sert des vagues et des volcans dans le monde physique. Quelle différence y a-t-il entre le fait de mourir d’une épidémie ou d’une révolution? […] Avant de créer le nouvel Etat, Moïse a conduit son peuple à travers la mer Rouge et dans le désert jusqu’à ce que la vieille génération se fût éteinte. Législateurs! Nous n’avons ni la mer Rouge ni le désert, mais nous avons la guerre et la guillotine. La révolution est comme les filles de Pélias: elle démembre l’humanité pour la rajeunir. L’humanité se redressera du chaudron de sang comme la terre des vagues du déluge, avec de nouvelles forces, comme s’il s’agissait de sa première naissance.»

… aux «dommages collatéraux humanitaires»

Les brutes parlaient à l’époque de la «terreur des vertus».
Aujourd’hui, on parle d’«intervention humanitaire» de «blood borders» [frontières de sang], de projets pour un nouveau «Grand Moyen-Orient» … et de «dommages collatéraux».
La Yougoslavie, l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie … Les conceptions et les conséquences de ce programme de violence sont restées les mêmes. Du temps de Bush junior, les néoconservateurs jouissaient d’une influence déterminante sur la politique des Etats-Unis. Les néoconservateurs ont leurs racines dans le trotskisme. Suivent-ils aujourd’hui encore les instructions théoriques et pratiques de la «révolution permanente» de Trotski?
Georg Büchner donne la parole à l’épouse de l’une des victimes de la violence vers la fin du drame: «Tout a droit à la vie, tout, ce petit moucheron-là – et l’oiseau. Pourquoi pas lui? La vie devrait s’interrompre dès qu’une seule goutte se perd. La terre devrait en être blessée.»

Respect de la vie au lieu de violences se dissimulant derrière le mensonge

Plus de cent ans plus tard, Albert Schweitzer parla du «Respect de la vie»: «J’en appelle à l’humanité pour une éthique du respect de la vie. Cette éthique ne distingue pas entre une vie de valeur et une vie moins valable, entre une vie supérieure et une inférieure. Elle refuse de telles différenciations. […] Dans la conscience humaine se trouve gravé: ‹Je suis la vie qui veut vivre au milieu de la vie, qui veut vivre›. Cette acceptation de la vie est un acte de l’esprit qui empêche l’être humain de végéter, mais bien au contraire de se lancer dans la vie avec vénération et de lui accorder sa vraie valeur. L’être humain doté ainsi de la pensée accorde toute sa volonté à la vie avec un respect égal de la vie comme s’il s’agissait de sa propre vie. Il vit la vie des autres dans la sienne. Il estimera donc qu’il faut protéger la vie et l’aider à se développer jusqu’aux valeurs suprêmes – il considère donc comme mauvais de porter atteinte à la vie, voire de la détruire, d’empêcher le développement d’une vie capable à se développer. C’est le fondement absolu et nécessaire de la morale.»
Se trouve-t-il quelqu’un, après avoir porté un regard sur le monde actuel et les 25 dernières années, pour trouver une meilleure formulation?

Le crescendo des pacifistes – contre le caractère primitif de la violence

Albert Schweizer continue ainsi dans son texte: «En ces temps, où la violence se cache derrière le mensonge, dominant comme jamais le monde, je maintiens que la vérité, le caractère paisible et l’amour, la bienveillance et la bonté sont une force qui supplante toute violence. C’est à ces qualités que le monde appartiendra dans la mesure où il se trouvera suffisamment d’êtres humains plaçant l’amour et la vérité, la bonté et l’esprit de paix dans leurs pensées et dans leur vie. Toute simple violence dans notre monde crée elle-même ses limites, car elle provoque une contre-violence qui lui sera, tôt ou tard, égale ou supérieur.»
Où en sommes-nous actuellement? C’est un fait que les Etats du monde refusant la domination de l’«unique puissance mondiale» ont beaucoup gagné en importance au cours des 15 dernières années. Ils se préparent pour résister à de nouvelles agressions de cette «unique puissance mondiale», mais sans résoudre les conflits par la guerre. Leur premier souci est de se conformer aux objectifs et aux voies à suivre, tels qu’ils sont définis dans la Charte des Nations Unies et par le droit international public. Aujourd’hui, tout un chacun, pour autant qu’il soit raisonnable, sait que «la guerre est obsolète».
Mais pourquoi cette femme kurde, dans le train, se sent-elle perdue? Cela vient des expériences faites au cours des dernières 25 années. Tous, nous les avons faites, mais nous ne pouvons nous contenter d’en parler. Le principe de la violence existe… encore. Toutefois, Albert Schweitzer n’avait-il pas raison de dire que le monde appartiendrait à celles et ceux qui ressentent un profond respect de la vie: «C’est à eux qu’appartiendra le monde, dans la mesure où ils seront suffisamment nombreux …»?    •

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