Prospérité pour tous?

Prospérité pour tous?

thk. Dans son livre «Vom grossen Krieg zur permanenten Krise»1 [De la grande guerre à la crise permanente], Marc Chesney, professeur de «Quantitative Finance» à l’Université de Zurich, démontre que la mondialisation n’a pas abouti aux promesses élaborées par les apôtres du «marché libre» et aux prédictions émises par les augures malins de l’économie. La théorie prônant la prospérité pour tous s’est avéré être une illusion. Les bénéficiaires de cette politique financière et économique néolibérale sont quelques instituts financiers multinationaux et des sociétés industrielles internationales ayant accumulé des milliards. Chesney écrit que selon le «Bloomberg Billionaires Index» de 2012 «les 200 plus grandes fortunes au monde représentent ensemble 2'700'000'000'000 de dollars, ce qui correspond au produit national brut français», (p. 44). De ces 200 ce sont 100 qui à eux seuls possèdent une fortune de 1900 milliards de dollars. Selon le classement de l’agence Bloomberg, «les 300 milliardaires les plus riches au monde ont pu augmenter en 2013 leur fortune de 524 milliards de dollars. […] Ils sont le symptôme d’une voracité insatiable du monde de la finance et de la logique que nous impose ce secteur.» (p. 44) Pour les personnes réalisant de tels bénéfices exorbitants et accroissant leurs fortunes à des sommes vertigineuses – certainement pas gagnées à la sueur de leur front et par le travail de leurs mains – la mondialisation a apporté ce qu’ils ont promis au monde entier. Mais comment vivent les autres milliards d’êtres humains sur cette planète? Uniquement dans l’UE, on peut leur opposer plus de 30 millions de chômeurs de longue durée, selon Jean Ziegler dans son nouveau livre «Retournez les fusils!».2 Lorsqu’on considère le développement politique mondial mais aussi celui de notre pays, on n’arrive pas à se défaire de l’impression que dans bien des couches de la population on ne croit plus depuis belle lurette au conte de fée de la «prospérité pour tous» et que même cela est déjà connu dans les sociétés internationales de la finance et de l’industrie. Mais, au lieu d’avouer leurs fautes et d’engager une correction de leurs théories économiques, datant toutes des années 50, les jongleurs financiers et leurs théoriciens inventent de nouveaux instruments pour continuer à augmenter leurs fortunes, afin de pouvoir encore mieux exploiter le monde et manipuler les gens. Les accords internationaux tels TiSA et TTIP, peu discutés publiquement jusqu’à présent, sont de nouvelles notes sur l’ancien registre.
Au devant de cette scène, ce sont toujours et encore les grandes sociétés internationales américaines qui dirigent la politique économique. Aussi longtemps que nous les laissons faire, la défense de leurs profits restera leur premier objectif même si la situation initiale de domination de l’empire américain s’effond de plus en plus depuis un certain nombre d’années. Ainsi, les accords actuellement en discussion ne sont rien d’autre que la tentative de s’approprier d’autres morceaux du gâteau financier et économique dans le monde entier. Jochen Scholz, un spécialiste en politique et en histoire, actif pendant de longues années au sein du ministère allemand de la Défense et au sein de l’OTAN, a écrit dans son essai intitulé «De quoi s’agit-il – la crise ukrainienne et la constante géopolitique du continent eurasiatique3»: «L’accord de libre-échange actuellement négocié entre l’UE et les Etats-Unis (TTIP) a comme objectif primaire … de rattacher plus étroitement l’Allemagne et l’UE aux Etats-Unis, d’empêcher l’espace économique commun allant de Lisbonne à Vladivostok et d’instrumentaliser l’UE pour les intérêts internationaux des Etats-Unis.» (p. 103) Le fait que le gouvernement suisse ait observé jusqu’à présent trop peu de distance envers cette exigence – lorsque le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann réfléchit comment la Suisse «pourrait s’y arrimer» – et poursuit une politique économique laissant supposer que cette politique provient de la cuisine de ce cercle du pouvoir, cela exige plus de vigilance de la part de la population et de leurs représentants élus au Parlement.
Le fait que des domaines spécialement sensibles, tel le service public unique en Suisse (cf. dans cette édition les interviews des conseillers fédéraux Badran et Büchel), sont également prévus d’être intégrés dans ce commerce illimité, doit éveiller notre résistance tout comme le procédé du Conseil fédéral dans le domaine de la politique agricole.
Concernant les conséquences de l’exaltation et de la déification du libre-échange, le professeur d’économie nationale Mathias Binswanger l’a décrit déjà en 2007 dans son essai «Mondialisation et agriculture – davantage de prospérité par moins de libre-échange»4 et il y démontre de manière détaillée que cela ne renforcera pas l’agriculture locale – les profiteurs ne seront pas, comme toujours dans le soi-disant libre-échange, les classes moyennes mais les multinationales. Il a écrit cela avant que la crise économique et financière, toujours en cours d’actualité – et dont la conseillère fédérale Doris Leuthard croyait tôt qu’elle était déjà surmontée – soit devenue une évidence. Les conséquences d’une ouverture des marchés agricoles peuvent avant tout être observées dans les pays en voie de développement mais aussi chez nous. Les petites exploitations agricoles ancrées localement sont évincées et les géants de l’industrie agricole les reprennent. C’est une chance qu’il y ait de plus en plus de personnalités politiques suisses ayant conscience de cette voie erronée et s’opposant au niveau politique à ces développements dangereux.     •

1    Marc Chesney: Vom Grossen Krieg zur permanenten Krise, 2014, ISBN 978-3-03909-171-3
2    Jean Ziegler: Retournez les fusils! Choisir son camp. 2014, ISBN 978-2-02116-968-3
3    in: Ronald Thoden, Sabine Schiffer (Ed.): Ukraine im Visier, 2014, ISBN 978-3-98169-630-1.
4    Mathias Binswanger: Globalisierung und Landwirtschaft. Mehr Wohlstand durch weniger Freihandel, 2009. ISBN 978-3-85452-583-7

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