Congo oriental: une autre catastrophe humanitaire se poursuit sous nos yeux (1e partie)

La guerre permanente est avant tout dirigée contre la population civile

par Peter Küpfer

Une nouvelle catastrophe humanitaire se déroule sous nos yeux dans l’est du Congo. C’est ce que montrent de nombreux rapports alarmants et cris d’alerte provenant de la région elle-même. Le témoignage sobre d’un prêtre de l’est du Congo qui s’est réfugié avec ses villageois dans la ville de Goma, malheureusement prétendument plus sûre (Horizons et débats, n°5 du 12mars 2024), est à fleur de peau.
    Tout autant que le rapport actuel du directeur général du Comité international de la Croix-Rouge, Robert Mardini, qui, lors d’une récente visite des installations du CICR au Nord-Kivu (Congo), visiblement bouleversé par la situation précaire, a attiré l’attention de la communauté internationale sur la situation d’urgence y régnant. Rober Mardini a lié ses préoccupations sévères à un appel urgent à la communauté internationale: faites tout pour que les armes se taisent enfin! (voir Horizons et débats, no 6 du 26 mars 2024). Ce qui l’a surtout alarmé, c’est la nouvelle aggravation dramatique de la situation militaire. Entre-temps, la région au nord de Goma est soumise à de violents tirs d’artillerie dont les cibles sont en grande partie les civils. C’est là que l’on comprend la véritable raison de la fuite de centaines de milliers de personnes se déplaçant et tentant désespérément de sauver leur vie et celle de leurs enfants. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec la situation intolérable à Gaza.1
    Comme dans d’autres endroits enflammés du monde, la population civile du Nord-Kivu congolais subit, et ceci depuis des décennies déjà, une catastrophe humanitaire à long terme, provoquée par la guerre permanente y sévissant. Actuellement, la population se réfugie, une fois de plus, dans la région de Goma, ville frontalière avec le Rwanda. La ville, touchée à répétition, est en état de siège depuis plus de deux ans.
    Les survivants des tirs rassemblent le strict nécessaire et s’enfuient en colonnes ininterrompues par centaines, parfois par milliers, à travers un terrain peu sûr. Certains n’atteignent pas Goma en raison de leurs blessures, de la faim et de l’épuisements, devant s’installer dans des camps de réfugiés improvisés dans les entourages de Goma, souvent sans autre protection contre la pluie qu’une fine feuille de plastique. Mais les conditions sont également désespérées dans la ville de Goma elle-même. Notre contact à Goma, le prêtre précité, nous écrit en hâte ces quelques paroles de coeur lourd que voilà:
    «L’espoir de paix s’amenuise. La misère de la population, surtout des personnes déplacées – deux immenses camps sont tout proches – nous désespère presque entièrement. Et puis le «génocide mentale», préparé de longue date – imaginez: des milliers d’enfants abandonnés ont entre-temps oublié qu’il y avait autrefois des écoles pour les enfants».

Des sonnettes d’alarme

C’est déjà la deuxième fois que le prêtre désespéré nous parle de ce fait, également cause de préoccupations exprimées par Mardini: toutes les écoles encore existantes de la région sont transformées en stations de premiers secours urgents improvisées. Depuis des années déjà, il n’y a plus d’école digne de ce nom dans le Nord-Kivu. De nombreux enfants sont enlevés par les mercenaires pour devenir des enfants-soldats. Quel est leur avenir? Et quel est l’avenir d’un pays dont un nombre écrasant d’enfants pour qui la notion d’école est devenue mot d’une langue étrangère?
    Comme Robert Mardini l’a déclaré aux médias après sa visite au Nord-Kivu, la crise a entre-temps atteint un nouveau niveau d’escalade. Alors que dans la longue histoire des souffrances de la population civile de l’est du Congo, les combats se déroulaient principalement entre les groupes de mercenaires étrangères et l’armée nationale congolaise, des zones entières sont désormais bombardées aux tirs d’artillerie. La population civile est impliquée de manière dévastatrice dans les combats se déroulant sans cesse, en flagrante violation du droit international de guerre. Les deux hôpitaux de Goma et de Bukavu, qui ont constamment fait l’impossible, ne peuvent plus faire face à l’afflux de blessés, dont nombreux grièvement. Là aussi, des tentes improvisées s’entassent. Mardini implore la communauté internationale à insister sur ce que les formations militaires actives respectent les dispositions relatives à la protection de la population civile, telles qu’elles sont définies de manière contraignante dans les Conventions de Genève. Comme à Gaza, aucun remède n’a manifestement encore été trouvé contre leur non-respect cynique dans l’est du Congo (et cela depuis 30 ans!). Tant que les formations de mercenaires sont soutenues par de grandes puissances, et c’est le cas depuis toujours au Congo oriental, l’expulsion durable de la population civile de toute la région riche en matières premières est manifestement un objectif de guerre.

La guerre permanente est ciblée
contre la population civil
e

La détresse humanitaire n’est malheureusement que l’un des aspects de la guerre permanente dans l’est du Congo. L’autre est encore moins évoquée de fond dans nos médias. C’est son côté manifestement mafieux. Les groupes de bandits armés, dont le nombre selon des sources fiables s’élève à plus d’une centaine, poursuivent tous le même but: s’accaparer, de façon criminelle, des richesses minières dont les deux Kivus, surtout le Nord-Kivu, abondent.
    Tous ces groupes aux noms toujours nobles, dans lesquels on retrouve beaucoup de termes renvoyant à la démocratie, la liberté et d’autres beaux idéaux ont une «qualité» en commun: leur cruauté sadique, manifestement planifiée, qui se dirige surtout contre les villages sans défense. Ces attaques comprennent la destruction systématique de colonies et de villages entiers, souvent accompagnée de l’assassinat bestial des hommes, du viol collectif des femmes et de l’infanticide.
    C’est justement cette terreur permanente des milices qui, depuis des années, est la raison pour laquelle des villages entiers se vident en panique. Et ce dans des lieux d’opérations variables, des acteurs changeants, des groupes armés aux noms fantaisistes – et toujours pratiquant le même mode opératoire brutal. Leurs crimes de guerre perpétrées depuis des années ont toujours été relevés par un nombre considérables de documents, en partie initiés, élaborés et reçus par des équipes de l’ONU. Ses rapports soigneusement rédigés constituent, sur des milliers de pages dès les débuts des infiltration étrangères, une documentation accablante des horreurs mentionnant les lieux, les noms des victimes, souvent aussi des auteurs, les dates et la nature de ces visites bestiales. Ils nourrissent toute une littérature sérieuse, se basant sur les faits, pourtant ignorée systématiquement par les forces qui se comportent toujours en seigneurs du monde.2
    Jusqu’à présent, les efforts de témoins courageux et de groupes d’entraide, mais aussi d’experts avisés et de rapporteurs sérieux, n’ont pas réussi à inverser cet état de choses. Cela explique également le désespoir croissant des personnes concernées. Ce qui les blesse avant tout, c’est le fait que le monde, en particulier le monde occidental, détourne le regard de leurs souffrances. Dans les codes juridiques des sociétés qui se disent civilisées, la non-assistance à des personnes en urgence est un délit. Cette non-assistance aux civiles en situation d’urgence, les grandes puissances et l’alliance militaire des Etats occidentaux le pratiquent quotidiennement. Ce faisant, ils ne cessent pourtant pas de propager leur «ordre basé sur des règles».

… et en plus, cette une guerre exportée

Si l’on se réfère à Wikipedia ou à nos «médias de qualité» pour connaître les tenants et aboutissants des «troubles congolais» qui persistent, on ne tarde pas à tomber sur le terme «rebelles». Depuis trente ans, ce seraient des «rebelles» ayant chassé Mobutu du pouvoir lors de la guerre éclair en 1997, appelé «guerre de rébellion». Ensuite, dans ce narratif erroné, ce seraient à nouveau des soi-disant «rebelles» s’étant mobilisés contre les nouveaux maîtres du Congo: «Kabila-père» (Laurent-Désiré Kabila, abattu trois ans et demi après, le 16 janvier 2001, par un de ses propres gardes du corps), puis «Kabila-fils» (Joseph Kabila), installé comme successeur par la camarilla pro-rwandaise au pouvoir à Kinshasa. Joseph Kabila est resté jusqu’en 2018 le président par intérim, et donc non légitime, du Congo post-mobutiste qui est depuis lors à nouveau loyalement inféodé aux Etats-Unis. Les deux Kabila, tous les deux les hommes de Rwanda, ont dirigé militairement ces «rebelles» de l’AFDL et du RCD (en fait des troupes rwandaises et ougandaises) et ont donc été les majeurs coresponsables des graves crimes contre l’humanité qui y ont été perpétrés.
    Dans tout cela, où repérer de la «rébellion»? Rébellion de qui et contre qui? En réalité, il s’agissait d’un changement de régime préventif classique selon le scénario américain, qui a coûté d’innombrables vies humaines, selon des sources fiables plusieurs millions. Car pour se procurer des matières premières stratégiques, il faut pouvoir compter sur son principal fournisseur. Et cela a été une question ouverte dans les dernières années de Mobutu, lui se trouvant en mauvaise santé et son remplacement restant incertain. Enfin, depuis plus de vingt ans, ce seraient donc toujours les «groupes rebelles», selon la même nomenclature mensongère, qui détruiraient la population civile de l’est du Congo. Parmi eux se trouve le groupe terroriste «M23» qui se distingue par sa cruauté et ses destructions systématiques du cadre de vie est-congolais. Dans quel but? Equipé par qui? Tous ceux qui se prononcent en connaissance des réalités affirment qu’avec le M23 on a bel et bien affaire à une armée d’intervention sous commande rwandaise.
    Ce qui se déroule à l’est du Congo, depuis de longues années sans changement, est tout sauf une guerre civile. Il s’agit en réalité d’une guerre par procuration (v. Bucyalimwe 2018, ann. 3), réalisée par des mercenaires équipés, formés et payés par les pays voisins, en majorité par le Rwanda.3 La problématique ethnique systématiquement mise en avant par les Rwandais est un écran de fumée destiné à masquer la réalité. En effet, la carte ethnique utilisée ici repose entièrement sur une problématique interne au Rwanda et a été délibérément appliquée à l’est du Congo par le biais d’une construction mensongère réussie. Actuellement, le ministre congolais des Affaires étrangères vient de le préciser en quelques mots courageux, devant la tribune du conseil de sécurité (voir encadré).

L’objectif est d’exploiter les matières
premières en catimini

La guerre dans l’est du Congo, maintenue active depuis maintenant trente ans, révèle de plus en plus clairement l’un des principaux objectifs des groupes de guérilla anonymes qui y opèrent: c’est l’expulsion durable de la population congolaise résidente. Car elle a le malheur de vouloir, comme ses ancêtres, pratiquer l’agriculture ou faire paître ses moutons dans une région où se trouvent en abondance des ressources minières convoitées et rares dans le monde entier, d’ importance stratégique, aujourd’hui dramatiquement croissante.
    Il n’y a pas que l’or, les diamants, le cuivre et l’uranium qui ont fait couler beaucoup de sang au Congo – aujourd’hui, dans la région frontalière du Congo avec le Rwanda et l’Ouganda, il s’agit surtout des matières premières du genre de coltan, lithium et cobalt. Ces matières premières très rares sont indispensables pour les applications à technologie de pointe, tant dans la vie civile que dans l’industrie moderne de l’armement. Sans elles, il n’y aura pas de production de téléphones portables, pas de communication high-tech, pas de navigation spatiale, pas de batteries de voiture ni de missiles croisière.
    Un autre mystère s’éclaircit lorsque l’on consulte la carte des richesses minières de l’Afrique de l’Est. Le Rwanda, pays nain autrefois pauvre en souris, est devenu entre-temps le plus grand exportateur mondial de coltan et de diamants. Mais il n’y a pas un seul gisement de coltan (ni d’or, de diamants ou de matières premières high-tech très convoitées) bien que le Rwanda se trouve en tête de la distribution de ces ressources minérales convoitées – et d’ailleurs aussi, depuis 1997, du commerce mondial des diamants. Ce qui fait tourner les caisses du Rwanda depuis les soi-disant «guerres de rébellion dans l’est du Congo», ce sont des richesses minières congolaises volées aux congolais dont plus de 90 pour cent de la population vivent de deux dollars par jour.
    Pour dissimuler le rôle joué en réalité par le Rwanda dans cet espace d’approvisionnement criminel en matières premières stratégiques, son gouvernement et ses amis en Occident (en Europe surtout l’UE) ne cessent d’évoquer le vieux mensonge de guerre selon lequel le Rwanda doit se protéger, les armes à la main, contre les éléments revanchards voulant mettre à terme leur génocide contre les Tutsis commencé il y a trente ans (!) . Ce seraient eux constituant la plus grande menace pour le Rwanda (avec son élite tutsie de nouveau au pouvoir depuis 1994). Presque tout y est déformé en un mensonge de guerre classique pourtant grotesque, comme le montre l’histoire récente lorsqu’elle est présentée de manière véridique. Le récit des venants et aboutissant de cette attristante falsification des faits sera le thème de la deuxième partie de cet article.
    Il faut donc tirer un bilan provisoire attristant. Comme le Pape François l’a exprimé lors de sa visite de plusieurs jours au Congo, il y a un an, les millions de victimes de cette guerre interminable meurent depuis trente ans dans l’indifférence totale du monde occidental. Ils sont cyniquement sacrifiés pour les exploiteurs et les profits des pays occidentaux. Comme pour l’Ukraine, le pape avait déjà averti il y a un an qu’une seule voie menait à la paix, la négociation honnête des problèmes dans le respect de toutes les personnes touchées par les catastrophes matérielles et humaines. 

1 Voir les articles à ce sujet dans les récentes éditions de Horizons et débats: «Un vent nouveau souffle-t-il aussi sur l’Afrique centrale? Requête peu encourageante émanant des élections présidentielles en République Démocratique du Congo», Horizons et débats n°4, 27/02/2024; «Rapport de situation de Goma», Horizons et débats, n°5, 12/03/2024; «République Démocratique du Congo – avertissement urgent du CICR.» «Avec des civils dans la ligne de mire, l’utilisation d’armes lourdes marque une nouvelle phase alarmante du conflit armé dans l’est du pays.» Horizons et débats, n°6, 26/03/2024).
2 Outre la littérature mentionnée (v. annotation 3), un document faisant état exhaustivement de la situation humanitaire aux débuts du conflit soit cité comme exemple. Il s’agit d’une documentation détaillée de l’ONU sur les crimes contre l’humanité dès les premières années du conflit dans l’est du Congo perpétrés par des forces armées camouflées sous commandement étranger, sous le titre: «Report Mapping», à consulter en ligne sous UN- Office of the High Commissioner for Human Rights. Democratic Republic of the Congo, Mapping Exercise de 2010 (disponible en anglais et en français).
3 Quelques exemples choisis de la multitude de livres sérieux et correctifs sur le sujet: Ruzibiza, Abdul Joshua. Rwanda. L’histoire secrète, Paris (Editions du Panama) 2005; Bucyalimwe Mararo, Stanislas, Nord-Kivu (RDC: Vingt-quatre ans des tueries programmées (mars 1993 -mars 2017), Saint-Denis (Edilivre) 2018; Rever, Judi: Rwanda. L’éloge du sang. Les crimes du Front Patriotique Rwandais (éd. Max Milo), ISBN 231500957X.; Onana, Charles: Holocauste au Congo. L’omertà de la communauté internationale, Paris (Editions de l’Artilleur) 2023, ISBN 978-2-81001-145-2

«Le Conseil de sécurité se penche sur les crises sécuritaire et humanitaire dans l’est de la RDC»

[…] Le représentant de la République démocratique du Congo [RDC] […] a rappelé que la guerre faisait rage entre la coalition de l’armée rwandaise et les Forces armées de la RDC. Il s’est inquiété d’un renforcement des troupes rwandaises à 30 kilomètres de Goma, au niveau de la frontière entre les deux pays.  Il a dénoncé […] le bombardement de l’aéroport international de Goma le 17 février […] «Cette énième agression rwandaise constitue, en droit international, un crime d’Etat et une grave violation de la souveraineté de la RDC», a-t-il affirmé, ajoutant que la situation avait conduit [dès les débuts] au déplacement de 7 millions de femmes et d’enfants dans les territoires de Rutshuru, Masisi et Nyiragongo. Le représentant de la RDC a martelé que l’«illusion de grandeur que se fait le Rwanda le pousse à croire qu’il a acquis un droit naturel de se mêler impunément des affaires internes de ses voisins […] Qualifiant le M23 de «bras armé du Rwanda en RDC», il a accusé l’agression de ce dernier d’être une des causes principales de la crise sécuritaire dans l’est de la RDC ainsi que dans la région des Grands Lacs tout entière. Il l’a également accusé de bloquer les initiatives de paix issues des processus de Nairobi et de Luanda, afin de gagner du temps pour réaliser son ambition de constituer une colonie d’exploitation et de peuplement en RDC afin de contrôler les institutions congolaises. Il a estimé que le Rwanda devrait se voir priver du droit à la parole dans les enceintes des Nations Unies jusqu’au retrait total de ses troupes du territoire de la RDC.  Le délégué a demandé instamment au Conseil de sécurité d’exiger du Rwanda le retrait sans condition de ses troupes du territoire de la RDC et de cesser tout soutien aux terroristes du M23.» (Séance du 20 février 2024, extraits du procès-verbal officiel, mise en relief de Hd., texte entier accessible sur press.un.org/2024/cs 15596.doc.htm)

Source: Nations Unies, Conseil de sécurité Communiqué de presse du 20 février 2024 (press.un.org/2024/cs 15596.doc.htm.)

(Traduction Horizons et débats)

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