En grande pompe mais sans compréhension du modèle étatique suisse

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

Le 18 mars, un nouveau chapitre du grand show a commencé: Viola Amherd, pour cette année Présidentede la Confédération suisse [fonction purement représentative] et Usula van der Leyen, Présidente de la Commission européenne, ont visiblement pris goût à poser ensemble devant les caméras à Bruxelles pour officiellement lancer les négociations sur un nouvel accord institutionnel prévu entre la Suisse et l’UE. Selon leurs dires, il différerait considérablement de l’accord institutionnel qui a échoué en 2021.

Des «zones d’atterrissage»

Cela a été le moment où les négociateurs en chef, Patric Franzen (Suisse) et Richard Szostak (UE) ont entamé leurs débats – sur quoi donc, se demande-t-on? Selon le commissaire européen responsable, Maroš Šefčovič , il n’y a apparemment plus rien à négocier, lorsqu’il déclare: «Nous avons négocié pendant dix-huit mois pour obtenir un mandat de négociation. Nous irons donc nous concentrer sur les endroits où les zones d’atterrissage sont susceptibles de se montrer». Ce «mandat», le Conseil fédéral l’a présenté sous la nouvelle dénomination officielle «mandat de négociation définitif». Celui-ci a été entre-temps complété par une liste de souhaits suisses pleines de précisions et d’exceptions.1
    Mais sur les «zones d’atterrissage» au gré de Bruxelles, il n’y aura guère de place pour les souhaits suisses. «Les puissants de Bruxelles aménagent régulièrement des ‹zones d’atterrissage›», voilà la teneur du «Süddeutsche Zeitung» qui ajoute: «Le désaccord chronique des Etats membres exige des bases de négociation écrites évoluant souvent, peu à peu, au compromis final; une zone qui se réduit constamment jusqu’à ce que le vaisseau spatial Europe dispose tout juste de sa piste présondée pour y atterrir»2.

Mettons l’essentiel au centre!

Ces querelles annoncées sur les exceptions du corps juridique de l’UE ne doivent pas nous détourner de l’essentiel. Le découpage de l’accord-cadre en différents paquets avec des papiers d’emballage «de différentes couleurs» n’est qu’une tactique visant à semer de la confusion. La structure juridique de base de l’UE – impliquant la contrainte suisse de reprendre la totalité du «corps institutionnel» de l’UE ensemble avec son diktat d’exclure, sur le plan économique, toute participation étatique. (voir Horizons et débats du16 janvier, 27 février et 12 mars 2024). Une récente interview avec Maroš Šefčovič, parue dans la presse suisse, révèle à quel point les hauts mandataires de l’UE sont dépourvus de toute compréhension essentielle du modèle étatique suisse. Šefčovič. y avance, par exemple, que le processus démocratique suisse ne serait «pas tout à fait différent de celui régissant l’UE», car tout accord UE doit être approuvé, comme il dit, par la Commission, les 27 chefs d’Etat et le Parlement européen.3 On ne peut en effet pas attendre d’un commissaire européen qu’il maîtrise la différence fondamentale existante entre les deux processus décisionnels en politique, celui suisse basé sur la démocratie directe et celui de l’UE. Mais la Suisse insiste de droit sur ce que les médias suisses, le Conseil fédéral et son équipe de négociation fassent enfin comprendre aux bureaucrates de Bruxelles que les deux systèmes sont incompatibles. Cela éviterait de s’enliser une fois de plus, à grands frais, dans des négociation illusoires dont le résultat, du point de vue de Bruxelles, est déjà largement fixé. Ce projet fantaisiste échouera, une fois de plus, au plus tard lors de la votation populaire du souverain suisse, qui est le peuple.

Immigration: «motivation nulle»?

Aucun autre pays européen n’est doté d’un pourcentage d’étrangers aussi élevé que la Suisse. Fin 2023, 2 313 217 des 8,9 millions d’habitants de Suisse étaient des étrangers, soit environ 26% (voir encadré). En réponse à la question (figurant dans l’interview précitée ) s’il comprenait que la population suisse était inquiète face à l’immigration massive, Maroš Šefčovič répond:«Il sera garanti que les citoyens de l’UE ne puissent pas venir en Suisse pour la seule raison d’avoir accès aux assurances sociales. Ils viendront pour travailler». Et d’ajouter: «Il n’y aura pas d’incitation à venir s’installer en Suisse. Prenez cela en tant que bel exemple illustrant à quel point nous écoutons bien notre interlocuteur».
    M. Šefčovič ferait bien de descendre de son trône en prenant acte du fait que, depuis l’entrée en vigueur de l’accord sur la libre circulation en 2002, la population résidente en Suisse est passée de 7,2 à près de 9millions. Tout le monde sait qu’il existe d’énormes incitations à venir s’installer en Suisse, quel que soit le but poursuivi. Le commissaire européen passe également sous silence le fait que l’accord prévu vise en fait à imposer à la Suisse la directive bruxelloise figée sur les citoyens de l’Union, un ensemble de règles totalement étranger à notre conception du droit et à notre modèle d’Etat, entraînant à coup sûr une immigration encore plus importante. Quelques exceptions formulées de manière floue ne sont de loin pas une «garantie» pour que, dans l’avenir, moins de personnes entrent pour y rester, tentées avant tout par les assurances sociales suisses. (voir Horizons et débats du 27 février 2024, l’article intitulé «Deux vrais mammouths dans les coulisses»).

La protection contre une immigration
débordante ne figure pas comme objectif de négociation!

C’est pourquoi le Conseil fédéral souhaite au moins intégrer un frein d’urgence. En ce sens, la question soulevée dans l’interview est pertinente: «Qu’en est-il de la clause de sauvegarde prévue (article 14.2) de l’accord sur la libre circulation des personnes? Le Conseil fédéral aimerait préciser ce que sont ‹les problèmes économiques ou sociaux sérieux permettant de prendre des mesures correctives contre une immigration excessive.›». Avec sa réponse, Šefčovič démontre que les «exceptions» promises par Bruxelles sont en grande partie du vent tiède: «Si nous voulons que les négociations aboutissent, nous devons nous en tenir ici au texte du Common Understanding. Je ne vois aucun problème en consultant le document».4 Ainsi, pour une fois, le flou est tout à fait élucidé. Comme nous l’avons dit, il serait plus judicieux de clore dès aujourd’hui ce genre de négociations, et avec de tels «partenaires». Nous serions mieux lotis avec les accords bilatéraux existants et l’accord de libre-échange de 1972. Nous ne périrons pas continuant de faire face aux coups d’épingle qui peuvent augmenter encore pour que la bureaucratie bruxelloise trouve de quoi se venger. L’essentiel est et reste que la Suisse puisse conserver sa liberté autant que sa souveraineté. •

1https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/86557.pdf 
2 Diesteldorf, Jan. «Aktuelles Lexikon. Landezone». Dans: Süddeutsche Zeitung du 15/12/2023
3 Imwinkelried, Daniel/Steinvorth, Daniel. «Es gibt keine Anreize, in die Schweiz zu ziehen». Interview avec le commissair de l’UE Maros Šefčovič. Dans: Neue Zürcher Zeitung du 19/03/2024
4 ibid

Forte augmentation de l’immigration en 2023

mw. En 2023, 98 851 personnes de plus sont entrées en Suisse pour y habiter que celles qui en sont sorties. Selon l’Office fédéral de la statistique, l’immigration nette a ainsi augmenté de 21,5% par rapport à 2022.
   En 2023, totalement 181 553 personnes ont immigré en Suisse dont 71,9% en provenance d’un pays de l’UE ou de l’AELE. L’immigration en provenance de ces pays a ainsi augmenté de 14,1% pour atteindre 130 483 personnes. L’augmentation de l’immigration en provenance de pays tiers a été de 6,3%. (SRF News du 23 février 2024)

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