Un accord entre Bruxelles et la Suisse semble encore bien loin

L’Union Syndicale Suisse (USS) ne mâche pas ses mots

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

La Suisse n’a pas l’intention de signer un nouveau traité avec l’UE, du moins pas selon l’idée que s’en font les gens de Bruxelles. Le complexe système étatique suisse, reposant sur des décisions adoptées par démocratie directe et sur la coopération responsable de citoyens libres, ne peut en aucun cas se plier au concept de marché intérieur dirigé par Bruxelles au service des intérêts de multinationales. Le comportement fébrile du chef du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), Ignazio Cassis, concoctant actuellement ce qu’il appelle des «valeurs de référence» pour un futur mandat de négociation, n’est pas d’une grande utilité. En fait, sa secrétaire d’Etat Livia Leu est déjà la cinquième chef de délégation à jeter l’éponge après dix séances de discussions infructueuses à Bruxelles; elle a préféré un poste d’ambassadrice à Berlin. A Berne, on s’attend à ce que le dossier européen soit repoussé au moins jusqu’après les élections parlementaires d’octobre prochain.

L’Union syndicale suisse (USS) tient désormais un discours sans équivoque : elle continue de s’opposer à la détérioration de la protection des salaires suisses et rejette également la menace d’une «ouverture totale du marché» dans le domaine du Service public. Horizons et débats a interviewé à ce sujet le secrétaire central de l’USS, Reto Wyss (voir page 2).
    Il est temps que l’interdiction des subventions publiques par l’UE soit enfin mise sur la table. Jusqu’à présent, les autorités fédérales de Berne ont cherché à occulter le corollaire suivant: tout nouvel accord avec Bruxelles aurait, parmi d’autres nombreuses conséquences négatives, celle d’une limitation drastique de notre service public pour qu’il maintienne un reste de qualité relativement satisfaisante.
    Une récente décision de la Commission européenne à l’encontre de la compagnie française Fret SNCF de transport ferroviaire de marchandises ne laisse pas les lecteurs suisses sans réaction, la Commission ayant en effet jugé illégales les subventions accordées par l’Etat à sa compagnie ferroviaire. Pour échapper à la menace d’amendes et de remboursements de plusieurs milliards (!), le gouvernement français se voit contraint de scinder et privatiser les chemins de fer. Une procédure similaire est en cours contre la Deutsche Bahn.1
    Le même sort attend la Suisse si elle s’engage dans de nouvelles «négociations» avec – ou plutôt selon les diktats de – Bruxelles. En effet, le financement public et, a fortiori, la propriété de la Confédération (CFF, Poste) ou des cantons et des communes (centrales électriques, approvisionnement en eau) seraient en contradiction avec l’interdiction antisociale des aides d’Etat de l’UE.2

Les syndicats rejettent catégoriquement
la libéralisation du service public exigée par l’UE

Lors de son Assemblée des délégués du 2 juin 2023, l’Union syndicale suisse (USS) a réaffirmé sa position en matière de politique européenne: «L’ouverture à l’UE doit profiter aux travailleurs et travailleuses en Suisse. Pour un mandat de négociation propice, il faut des engagements fermes sur le maintien de la protection des salaires et des garanties contre le démantèlement du service public»3.
    La résolution de l’Assemblée des délégués de l’USS stipulait: «Concernant le service public, la discussion est mal partie. On menace d’ouvrir complètement le marché de l’électricité, alors que la libéralisation dans l’UE a généré une énorme flambée des prix ces dernières années. Une ouverture du marché mal conçue ainsi qu’un dumping salarial, mais également tarifaire, représenteraient également une menace pour les chemins de fer». Et d’ajouter: «Les transports publics (TP) en Suisse ne doivent pas être affaiblis. L’USS s’oppose à une ouverture du marché des transports publics. Il en va de même pour un contrôle des subventions qui affaiblirait les TP».
    L’assemblée des délégués considère certes comme positif un accord dans le domaine de la santé publique et de la gestion de crise, mais elle rejette une «réduction forcée, en vertu du droit des subventions, de subventions publiques déjà trop réduites dans le domaine de la santé». Alors pourquoi un accord sur la santé avec Bruxelles? Il est conforme à la souveraineté de la Suisse de coopérer sur un pied d’égalité avec les différents pays voisins ou d’autres Etats européens, comme nous le faisons depuis toujours.

Et où est la social-démocratie suisse?

Il est plus que troublant d’entendre Roger Nordmann, Conseiller fédéral et chef du groupe parlementaire du PS, déclarer dans la presse qu’il est impossible pour la Suisse de «contourner» les règles de l’UE en matière de protection des salaires ou de financement du Service public dans le cadre d’un accord avec Bruxelles. En lieu et place, le Conseil fédéral devrait présenter un pack législatif comportant «des formules de financement public du transport ferroviaire ou d’autres prestations de service public compatibles avec l’UE».4 La Suisse, obéissant par anticipation aux ordres de Bruxelles? Mais de quel côté de la table Nordmann siège-t-il? Le zèle de plaire à l’UE fait apparemment oublier d’être social et démocratique.

1 von Burg, Denis; Aebi, Mischa. «Verhandlungen Schweiz–EU. EU-Vertrag gefährdet die SBB und den Service public» (Négociations Suisse-UE. Le traité UE met en danger les CFF et le Service public). Ds: SonntagsZeitung du 28/05/23
2 Traité sur le mode de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) Article 107 (1): Sauf dérogations prévues par les accords, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les subventions accordées par les Etats ou au moyen de financements nationaux sous quelque forme que ce soit qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines catégories de produits.
3 Assemblée des délégués de l’Union syndicale suisse. Communiqué de presse du 2/06/23
4 von Burg, Denis; Aebi, Mischa. «Verhandlungen Schweiz–EU. EU-Vertrag gefährdet die SBB und den Service public». Ds: SonntagsZeitung du 28/05/23

 

 

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