Pas de démantèlement du service public suisse!

«Un accord tacite avec l’UE n’est pas acceptable pour les syndicats»

Interview de Reto Wyss*, secrétaire central de l’Union syndicale suisse (USS)

Horizons et débats: Je suis contente que l’USS se prononce sur la question du service public dans le cadre d’un éventuel accord Suisse-UE. A ma connaissance, le Conseil fédéral contourne régulièrement le sujet du service public prétendant que les travailleurs ne se trouveraient en désaccord qu’avec la protection des salaires. Est-ce exact?
Reto Wyss: Oui, tout à fait. Quant à nous, nous avons toujours fait référence au service public, mais cela n’a pas suffisamment été perçu jusqu’à présent. Certains cantons ont commandé des expertises sur le service public depuis des années déjà. Il s’agissait de la crainte d’une intervention de l’UE dans les compétences cantonales, par exemple en ce qui concerne les assurances immobilières, les banques cantonales, les autres monopoles cantonaux, etc.

Comment voyez-vous les conséquences d’un accord avec l’UE sur notre service public? Quand il s’agissait de l’ouverture du marché de l’électricité, par exemple, l’USS a lancé un référendum à l’encontre de cette démarche.1
En ce qui concerne le marché de l’électricité, l’ancienne cheffe du Département suisse compétent, SimonettaSommaruga, voulait conclure un accord; celui-ci repose dans les tiroirs susceptible d’être remanié. Mais une chose a toujours été clair: l’accord sur l’électricité n’existe qu’avec une ouverture complète du marché, c’était l’une des conditions posées par l’UE, l’autre étant le lien avec un accord-cadre institutionnel. Lorsque ce dernier a échoué il y a deux ans, il était clair qu’il n’y aurait pas non plus d’accord sur l’électricité, ce qui a rendu obsolète le raisonnement selon laquelle nous devrions ouvrir le marché de l’électricité parce que l’UE le voulait.

Que nous apporterait un accord sur l’électricité? Son existence n’éviterait pas le fait que la France et l’Allemagne ne nous livreraient pas d’électricité avant d’en disposer suffisamment pour elles-mêmes.
Oui, en cas de pénurie grave, chacun se débrouillera seul du mieux qu’il pourra. On a beau discuter des nécessités et des avantages d’un accord sur l’électricité, il est désormais clair que l’accord n’existe qu’intégré au contrat-cadre. Nous nourrissions un petit espoir que l’UE entreprendrait une véritable réforme du marché de l’électricité dans le contexte de la pénurie d’électricité, mais les propositions correspondantes ont disparu dans un tiroir au bout de quelques mois, ce qui ne surprend personne. Voilà donc le domaine de l’électricité.

En matière du transport ferroviaire: la Commission européenne veut actuellement infliger des amendes massives à la France parce qu’elle n’a pas encore privatisé le transport de marchandises. Comment voyez-vous les conséquences pour la Suisse?
La Commission européenne n’est pas la seule à le vouloir, le gouvernement néolibéral français le veut aussi. C’est même l’inverse: c’est le gouvernement qui se réfère à la Commission européenne en disant à sa propre population: eh bien, l’heure est à la privatisation. Mais la France est un grand pays, les Français pourraient monter aux barricades disant qu’ils en ont le raz-de-bol. Qu’ils ne permettront pas qu’on leur dicte d’anéantir leur système de transport de marchandises. Le gouvernement Macron dit qu’il est malheureusement obligé de le faire, puisque l’UE le veut – mais c’est précisément ce qu’il veut aussi.
    Concernant la Suisse: nous (l’USS) voulions montrer ce qui pourrait se passer si nous devions adopter le régime d’aide de l’UE, en rapport avec les informations de la France. Il s’agit d’une construction très large et compliquée avec laquelle l’UE peut potentiellement ou tendanciellement intervenir dans tous les domaines du service public. C’est pourquoi c’est si dangereux pour la Suisse. Les questions sur les accords actuels se posent au moment où on les «dynamise» (les soumettant au droit de l’UE), mais également lorsque les nouveaux accords sont conclus.
    En ce qui concerne le transport ferroviaire en Suisse: comme je l’ai dit au Sonntags Zeitung, un nouvel accord avec l’UE remettrait potentiellement en question l’avenir de CFF Cargo, mais certains aspects du financement public du transport de personnes seraient également menacés. Bruxelles pourrait par exemple considérer les crédits fédéraux avantageux accordés aux CFF comme des subventions illégales et s’y opposer. Et, le cas échéant, le soutien du trafic ferroviaire régional par des fonds publics serait également menacé. Un accord avec l’UE permettant cela n’est donc pas acceptable pour les syndicats.

Contrairement à la France, c’est le peuple qui décide en fin de compte en Suisse, et la majorité ne veut certainement pas que l’UE intervienne dans nos services publics.
Exactement. C’est la même réflexion de base qui nous dirige quant à la protection des salaires aussi. Nous essayons de le faire comprendre au Conseil fédéral depuis des années. Même si on se soucie peu de notre opinion en tant que syndicats, on ne peut pas exclure certaines choses basales dans un accord risquant ainsi qu’il n’y ait pas de majorité en votation populaire.

Vous avez également mentionné le secteur de la santé. Que pensez-vous d’un accord sur la santé avec l’UE?
Nous pensons par exemple à la collaboration lors de la pandémie, où la Suisse a soudainement été exclue aux mécanismes d’intervention de crise ainsi qu’ à l’échange de données respectives et aux corps administratifs concernés. Comme chacun sait, les virus ne s’arrêtent pas aux frontières. Mais dans la phase la plus aiguë, l’UE s’est vite remise de ses attitudes invitant la Suisse à participer provisoirement, car elle a remarqué de sa part aussi que sinon, ce soit au détriment de tous. Il est donc positif que la Suisse y soit présente.
    Aujourd’hui, la coopération transfrontalière occupe une place importante dans l’UE. Tout un domaine en existe en tant que «Cross Border Health Care», les soins transfrontaliers aux patients, qui soulève de nombreuses questions. Et en ce qui concerne les aides, il faudrait s’assurer que les subventions accordées aux hôpitaux suisses ne soient pas contestées. Et en ce qui concerne les soins aux patients, d’un point de vue syndical, nous ne voulons pas supprimer le principe de territorialité. Nous ne trouvons pas acceptable que la caisse-maladie en vienne soudain à dire au patient qu’il doit se soumettre à une opération coûteuse en Allemagne parce que les médecins et le personnel soignant y travaillent à un prix beaucoup plus avantageux, ce qui réduirait les coûts. Nous ne voulons pas de telles situations.

Comme l’a écrit l’USS, l’Etat tente de toute façon déjà de réduire le financement des soins de santé chez nous. Ce serait d’autant plus grave si nos administrations collaboraient avec l’UE pour économiser ainsi dans le domaine de la santé.
Oui, en effet! Aujourd’hui, malgré tous les efforts de libéralisation, notre système de santé est toujours fort planifié par l’Etat. Et si nous disposons d’énormes capacités dans les hôpitaux et que nous dépensons des milliards par an (avec l’argent des contribuables et les primes d’assurance maladie), nous ne pouvons pas dire à l’autre bout: «Et maintenant, libre accès à tout et voyons ce qui se passe». Comme j’ai dit, il n’est inscrit nulle part que tout cela doit se passer ainsi. Mais tant que de telles questions n’ont pas trouvé de réponses et que de telles craintes n’ont pas été sérieusement analysées, il est légitime d’insister. En dépit des voix qui disent: vous êtes alarmistes, vous peignez le diable sur la muraille.

Si nous reprenons de la presse que l’UE menace d’infliger des amendes de plusieurs milliards au cas où l’Etat renoncerait à la privatisation, il y a tout de même de quoi s’alarmer.
Oui, en effet, la règle avec les aides non autorisées est la suivante: Si quelque chose ne se déroule pas conformément à ces principe, le gouvernement est pris en charge avec effet rétroactif, pendant des années. On connaît des exemples où cela s’est passé ainsi.

Un autre argument de poids pour que la Suisse soit prudente face à un nouvel accord-cadre.
Exactement. Ce qui se passe est très complexe. Que dit le traité UE, que décide la Commission? Il s’agit également d’un tir à la corde entre les institutions. Par exemple, dans le domaine de l’obligation d’appel d’offres, il y a une lutte acharnée entre la Commission et le Parlement européen depuis des années. Et comme c’est si complexe, il y a aussi beaucoup de dangers.

Monsieur Wyss, merci beaucoup pour cet entretien instructif.1

1Le Conseil fédéral et le Parlement ont tout de même introduit l’ouverture du marché de l’électricité, mais seulement partiellement, pour les entreprises et non pour les ménages. [Note de la rédaction]

*Reto Wyss, responsable à l’USS de l’économie, de la santé, du service public, des finances cantonales

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