par Peter Küpfer
Dans son article historico-culturel publié ci-dessus, Carl Bossard attire l’attention sur l’architecture de certains bâtiments traditionnels ayant hébergé nos écoles primaires suisses. Elle saute aux yeux à maints visiteurs, face à leurs dimensions souvent résidentielles. En prenant l’exemple de deux bâtiments particulièrement impressionnants situés dans la ville Zoug, Bossard les dénomme des «palais pour l’éducation». De nombreux bâtiments scolaires traditionnels des villes suisses ressemblent en effet à des palais, notamment ceux qui abritaient l’école primaire et élémentaire obligatoire depuis 1874.
De tels «palais» démocratiques, à dimensions plus restreinte mais autant admirables, on peut en rencontrer dans les communes non urbaines aussi, notamment dans les villages suisses, même en région montagnarde. Parfois, ils trônent sur une colline, offrant une large vue dans la campagne, là aussi comparables à un château fort ou à un palais. Un tel emplacement privilégié permet d’avoir une meilleure vue d’ensemble, un horizon plus large.
En Suisse, l’accès à un tel «palais» n’était toutefois pas réservé aux «élites». Tout au contraire, l’école publique suisse, déclarée obligatoire à la fin du 19e siècle, était générale et gratuite. Si son architecture présentait parfois des traits nobles, ce n’était pas pour des raisons «seigneuriales», mais pour son concept essentiellement démocratique. Dans l’esprit de ses courageux fondateurs, l’école publique suisse n’était pas une école pour le peuple seul, mais en plus, elle était l’école du peuple. Dans ses organes de contrôle démocratique, les artisans, les paysans et les petits entrepreneurs côtoyaient les représentants des professions universitaires. L’école publique, l’école donnant la formation des bases, intellectuelles, morales et sociales, était «leur» école. Les représentants du peuple, élus à l’époque des citoyens, destinés aux organes de contrôle des écoles (les «Schulpflegen» – commissions «aux soins scolaires», comme on les appelait), apportaient tout leur savoir, toute leur expérience professionnelle et de vie dans leur fonction, sachant pertinemment ce que leur école devait être et devait apporter. C’est dans cet esprit démocratique que l’extérieur des écoles suisse, leur architecture, rendait visible leur message: «C’est cela, notre école, et nous en sommes fiers!». L’itinéraire ainsi promis à nos jeunes était certes raide, à l’époque déjà, les escaliers souvent imposants à l’intérieur le rappellent. Ils insistent à mener «vers le haut» – oui, mais il ne s’agissait en aucun cas de la seule chose que notre époque actuelle promet (pas toujours honnêtement) à sa jeunesse: un métier rémunérateur. Non, Bossard le rend évident, toute véritable formation ne se réduit pas à une formation pour soi-même seule, c’est aussi une formation pour vivre et contribuer dans un ensemble social porteur de sens. C’est pourquoi la formation doit avant tout conduire à la liberté, liberté d’être, de penser et d’agir, précisément selon la conception de Bossard, «la formation en tant que libération».
C’est audacieux à dire et autant audacieux à penser, c’est Kant, Pestalozzi, Diderot, Rousseau, Humboldt, Jeremias Gotthelf et Gottfried Keller tous réunis, Goethe et Schiller en témoigneraient également – le cœur de la noble notion d’autonomie, aujourd’hui amplement vulgarisée.
La liberté, en particulier celle du Suisse, a pour condition essentielle de savoir ce qu’il fait et pourquoi il le fait. Il doit se connaître soi-même, il doit avoir des idées sur son environnement social, ce qui est l’essence et le sens de sa profession et dans quelle direction il sera utile de poursuivre les projets d’intérêt public, voilà le fin fond de nos écoles primaires, tout cela donc également dans la perspective du citoyen souverain. Parce que c’est lui qui, en sa qualité de concitoyen, est en dernière instance coresponsable des décisions prises en commun, appelé en Suisse à en témoigner lors des votations populaires fréquentes et régulières, tout le long de l’année: les votants, le peuple, les citoyens. En cette qualité, les électeurs et votants suisses sont liés, consciemment ou non, à l’intérêt général (et pas seulement au leur et à celui de leur parti). Ils ne peuvent conserver cette autonomie qui leur est donnée par la Constitution que s’ils maintiennent également leur capacité de jugement autonome et au niveau nécessaire, en dépit de toutes les sources d’influence actuellement massives. C’est à la fois un cadeau et une exigence justifiée pour chacun d’entre nous. Il s’agit de répondre à ce défit aujourd’hui plus que jamais. Ainsi mesuré, il n’est pas difficile de voir à quel point notre école primaire et publique suisse, longtemps admirée à juste titre dans le monde entier, s’est déjà éloignée de ses origines fondamentales. Les bâtiments-témoins tels mentionnés par Bossard nous le rappellent. Cela vaut la peine de prendre quelques minutes pour y réfléchir. Le 1er août aura été une bonne occasion de le faire, si possible avant que les pétards et les fusées n’éclatent. Ou alors après. •
Notre site web utilise des cookies afin de pouvoir améliorer notre page en permanence et vous offrir une expérience optimale en tant que visiteurs. En continuant à consulter ce site web, vous déclarez accepter l’utilisation de cookies. Vous trouverez de plus amples informations concernant les cookies dans notre déclaration de protection des données.
Si vous désirez interdire l’utilisation de cookies, par ex. par le biais de Google Analytics, vous pouvez installer ce dernier au moyen des modules complémentaires du présent navigateur.