Au niveau mondial – et tout particulièrement à celui de l’Allemagne – l’objectif principal de la mouvance pacifiste (qui a provoqué une secousse à la fin de la Seconde Guerre mondiale avec sa devise «Plus jamais la guerre!») peut se résumer à la résolution des conflits en excluant tout recours à la force armée. C’est ainsi que cet idéal, largement partagé par tous les hommes de bonne volonté, a été exprimé par la Charte des Nations unies de 1945. Il en va de même de la question au centre de l’article ci-dessous: s’en prendre de façon virulente à la Russie – comme le fait le mouvement pacifiste allemand – est-ce l’attitude appropriée pour parvenir à la paix dans le conflit ukrainien?
Dès le 24 février 2022, la section allemande de l’«IPPNW» (International Physicians for the Prevention of Nuclear War/Association Internationale des Médecins pour la Prévention de la Guerre Nucléaire/AIMPGN) a publié un communiqué de presse qui débute ainsi: «L’organisation médicale pacifiste IPPNW condamne fermement l’attaque militaire, contraire au droit international, de la Russie à l’encontre de l’Ukraine.» Les raisons avancées par le président russe Vladimir Poutine le matin même de l’invasion de l’Ukraine par des troupes russes régulières1, la justifiant en invoquant entre autres le droit à la légitime défense inscrit à l’article 51 de la Charte des Nations unies (voir encadré), n’ont à aucun moment fait l’objet d’un examen sérieux et approfondi. Les nombreux incidents ayant émaillé les années, les mois, les semaines et les jours précédant le 24 février 2022, et qui ont incité les responsables russes à y déceler de graves menaces de la part de l’Ukraine (et de l’OTAN) envers la vie des citoyens russes et l’intégrité de l’Etat russe n’ont pas non plus été pris en compte. Il est donc superflu d’en énumérer ici la liste.2
Depuis le 24 février 2022, la section allemande de l’IPPNW et le mouvement pacifiste allemand ont émis des jugements similaires sur les agissements de la Russie.
Cela vaut également pour la pétition ayant à ce jour reçu le plus grand soutien au sein du mouvement pacifiste allemand, le «Manifeste pour la paix» du 10 février 2023, lancé par Sarah Wagenknecht et Alice Schwarzer et qui a depuis recueilli plus de 800000 signatures. Cette pétition passe cependant sous silence, elle aussi, l’historique des évènements graves ayant précédé le 24 février.
L’une des rares exceptions notables au sein du mouvement pacifiste allemand a été la prise de position publique de l’ancien conseiller de la chancellerie de Willy Brandt, Albrecht Müller, aujourd’hui éditeur de la plateforme Nachdenkseiten datée du 19 juillet 2022: «On se trouve face à une multitude d’articles et des vidéos qui remettent en question les politiques occidentales relatives à l’Ukraine et à la Russie. Il est pourtant rare que ces articles évitent le recours à l’indignation générale face à la guerre menée par la Russie en Ukraine. Même lorsque cela ne fait pas partie du sujet, ce sont toujours les termes identiques qui reviennent: ‹agression contraire au droit international›, ‹guerre d’agression inhumaine›, ‹guerre de Poutine›, etc. La plupart de ces expressions sont incorrectes, faisant abstraction du raccourci historique qui omet les attaques de l’armée ukrainienne sur l’est de l’Ukraine après 2014. Nombre de bonnes chroniques – y compris celles des NachDenkSeiten – se voient ainsi relativisées et, de mon point de vue, souvent dévalorisées.»
L’importance du mouvement pacifiste
Bien que le mouvement pacifiste allemand n’ait encore jamais, au cours de son histoire plus que centenaire, réussi à entraver les préparatifs d’un conflit ou ce conflit lui-même, cela n’enlève rien à l’honorabilité de sa mission. Ces exigences correspondent au besoin fondamental de la vie humaine – Alfred de Zayas parle à juste titre d’un «droit humain à la paix »3. Il est vrai que le mouvement pacifiste n’a pu empêcher la Première Guerre mondiale, ni la Seconde, ni le réarmement de l’Allemagne au début des années cinquante, ni la mise en œuvre de la double décision de l’OTAN au début des années quatre-vingt, ni la première participation directe de l’Allemagne à une guerre après 1945, celle de l’OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie en 1999, ni la transformation de la Bundeswehr en une armée de combat pour assurer des missions à l’étranger dans le monde entier; ni la participation de la Bundeswehr allemande à la guerre en Afghanistan; ni la guerre de la «coalition des forces de bonne volonté» contre l’Irak; ni les guerres contre la Libye et la Syrie… Ce qui ne signifie pas pour autant que son engagement en faveur de la paix ne soit pas considérable – dès lors qu’il représente effectivement une voix prépondérante en faveur de la paix.
Cela implique cependant d’aborder les questions suivantes sans préjugés: Quels sont les véritables vecteurs de la paix? Quelle est à cet égard la contribution du mouvement pacifiste allemand? Y aurait-il quelque obstacle empêchant le mouvement pacifiste de placer le besoin humain fondamental de paix, le «droit humain à la paix», entièrement au centre de ses préoccupations?
A Berlin, les politiques
ont opté pour la guerre
Une chose est sûre: les politiciens allemands dirigeant actuellement ses orientations ont décidé que l’Allemagne était partie prenante dans la guerre – même si cela n’est pas encore affirmé aussi nettement, mais les faits sont les faits. Il suffit de lire l’article de Scott Ritter, ancien officier américain d’active au niveau international et ex-inspecteur en armement pour l’ONU, sur la formation spécifique dispensée à l’armée ukrainienne par l’Allemagne pour son «offensive» actuelle via un programme de simulation militaire de la Bundeswehr.4 Malheureusement, les Allemands ne peuvent lire cet article que de manière détournée, car le portail Internet publiant l’article de Scott Ritter est interdit en Allemagne – un scandale pour un Etat qui s’est officiellement engagé à respecter le droit humain à la liberté d’expression.
Et qu’en est-il du besoin fondamental de paix quand «Bild» peut faire sa Une en titrant en gros et agressivement «L’offensive ukrainienne est en cours. Les chars allemands Leopard en pleine avancée»5 – sans plus soulever un énorme tollé? Que se passe-t-il donc en Allemagne pour que des politiciens responsables et des représentants des médias puissent diffuser de telles formules de propagande sans se heurter à une large opposition?6
Les accusations à l’encontre de la Russie ne se font pas dans la dentelle
L’accusation selon laquelle la Russie mène une «guerre d’agression contraire au droit international» n’a rien d’une broutille. La Charte des Nations unies stipule dans son article 2, paragraphe 4: «Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies.»
Selon l’article 51 de la Charte, seule est autorisée la légitime défense, individuelle ou collective. Dans ce contexte, le terme «collective» signifie que les Etats se défendant contre une attaque peuvent être soutenus par d’autres Etats. Le procès de Nuremberg de 1945/1946 et les «Principes de Nuremberg»7 adoptés par la Commission du Droit international des Nations unies en 19507 ont décrété que la guerre d’agression était le crime de guerre le plus grave, entraînant presque inévitablement tous les autres crimes de guerre. Par son article 26, la loi fondamentale allemande a déjà déclaré anticonstitutionnelle la préparation d’une guerre d’agression, la rendant ainsi punissable.
Un mouvement pacifiste qui reprend mot pour mot le stéréotype de la «guerre d’agression russe contraire au droit international» doit se demander si ce dogme ne préfigure pas sa perception face à la stratégie qu’applique l’occident dans sa guerre contre la Russie depuis le 24 février 2022. Les belligérants occidentaux ont en toute occasion fait valoir qu’il était légitime de venir en aide par tous les moyens, y compris militaires, à un Etat «attaqué en violation du droit international». En d’autres termes, la formule de la «guerre d’agression russe contraire au droit international» sert avant tout à l’Occident dans le but de justifier l’escalade de sa guerre à elle contre la Russie.
«Une guerre d’agression»?
Pour revenir au niveau des principes, il faut retenir qu’un mouvement pacifiste n’est pas l’instance à déterminer si un conflit en cours est une guerre d’agression ou non; entamer cette question nécessite que le conflit soit examiné de manière approfondie et impartiale, excluant préjugés et parti pris. Pour y arriver, tous les documents nécessaires doivent être accessibles et analysés. Pour avoir un équivalent en termes de documentation, on peut s’appuyer sur la comparaison avec le procès de Nuremberg contre les 24 principaux accusés du régime national-socialiste : il a débuté six mois après la fin de la Seconde Guerre mondiale et duré près d’un an, sa documentation ayant rempli 5215 classeurs contenant 270000 pages individuelles.8 Face à ces dimensions, comment serait-il possible de qualifier, dès le premier jour, l’action militaire de la Russie en Ukraine en tant que «guerre d’agression russe contraire au droit international» ?
A ce stade, il est encore prématuré de porter un jugement fondé sur le droit international en l’appliquant à la guerre en Ukraine. Et un autre constat s’implique également: les nombreuses victimes et les destructions des deux côtés du front prouvent une fois de plus que la guerre est toujours un «échec de la politique et de l’humanité», dans les paroles de Pape François.
Mais un élément ressort en tout en évidence de la guerre de progagande en cours: une fois que la guerre (qu’elle soit encore «froide» ou déjà «chaude») fait rage, l’accusation de mener une «guerre d’agression contraire au droit international» n’est souvent rien d’autre qu’une formule de propagande, notamment pour justifier sa propre conduite de la guerre. Il est d’autant plus important d’insister sur l’enquête approfondie et impartiale quant aux responsabilités.
Le fait que dans l’Allemagne actuelle, ceux qui remettent en question le récit officiel sur la «guerre d’agression russe contraire au droit international» font actuellement l’objet d’enquêtes pénales et que des jugements aient déjà été prononcés en première instance – de tels événements montrent à quel point la démocratie allemande a déjà souffert de la participation allemande à la guerre. Tous ceux qui se sont réservés un tant soit peu de leur lucidité ont pu constater entre-temps les dimensions qu’a prises l’ostracisme exercé sur ceux défendant des positions «politiquement incorrectes» concernant la guerre en Ukraine, mais aussi d’autres guerres dans lesquelles l’Allemagne est impliquée.
La guerre de propagande continue
Le 25 juin 2023, la ministre allemande des affaires étrangères, Annalena Baerbock, s’est rendue en Afrique du Sud. Elle sait que l’Afrique du Sud est sérieusement engagée en faveur de la paix en Ukraine. Elle sait également que l’Afrique du Sud n’a pas intérêt à se ranger du côté des belligérants occidentaux et tout aussi bien, elle sait que l’Afrique du Sud entretient de bonnes relations avec la Russie – comme avec de nombreux autres Etats de la communauté internationale.
Et elle devrait également avoir conscience des dégâts causés par la politique néocoloniale de l’Occident dans toute l’Afrique. Cela ne l’a pas empêchée de mener sa guerre de propagande à Pretoria aussi, dans une attitude qui a frôlé le ridicule. A Pretoria, Mme Baerbock a eu l’audace de déclarer: «Quand le pays de Nelson Mandela et de Desmond Tutu élève sa voix contre l’injustice, le monde entier l’écoute. C’est pourquoi je veux aussi parler à Pretoria de la manière dont l’Afrique du Sud peut peser de tout son poids afin de mettre un terme à l’agression russe en Ukraine et préserver la Charte des Nations unies».9 Lors de sa campagne électorale déjà, Annalena Baerbock s’était autoproclamée experte en droit international sans aucun fondement objectif. En ce qui concerne ses débuts en diplomatie africaine, ses propos y ont plutôt provoqué de l’étonnement, pour ne pas dire de la consternation.10 •
1http://en.kremlin.ru/events/president/news/67843 du 24.2.2022
2 cf. en détail: Baud, Jacques. Putin. Herr des Geschehens? Westend-Verlag 2023; en particulier pages 105–202 (l‘édition française a paru sous le titre „Poutine – maître du jeu?)
3 cf. également: https://www2.ohchr.org/english/bodies/hrcouncil/docs/14session/A.HRC.14.38_en.pdf du 17/03/2010
4https://de.rt.com/meinung/173572-realistisch-gefuehrte-kampfsimulationen-haetten-enormen-verluste-kiews-vorhersagen-koennen/ du 26/06/2023
5https://www.bild.de/bild-plus/politik/ausland/politik-ausland/erstmals-bei-offensive-gesichtet-jetzt-stossen-deutsche-leopard-panzer-vor-84253894.bild.html du 08/06/2023
6 Exemple parmi d’autres, l‘émission Kontrovers du Deutschlandfunk du 10/07/2023
7legal.un.org/ilc/texts/instruments/english/commentaries/7_1_1950.pdf
8 Depuis 2020, les dossiers sont également accessibles en ligne sur: https://exhibits.stanford.edu/virtual-tribunals/feature/taube-archive-of-the-international-military-tribunal-imt-at-nuremberg-1945-1946
9 Citation d‘après https://www.faz.net/aktuell/politik/ausland/baerbock-spricht-in-suedafrika-ueber-den-ukrainekrieg-18994328.html du 27.6.2023
10 Voir à ce sujet: https://www.anti-spiegel.ru/2023/baerbock-scheitert-erneut-bei-auslandsreisen/ du 30/06/2023
En cas d’agression armée contre un Membre des Nations Unies, La Charte des Nations Unies ne porte nullement atteinte au droit naturel de légitime défense individuelle ou collective, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité internationales. Les mesures prises par un membre dans l’exercice de ce droit de légitime défense sont à notifier immédiatement au Conseil de Sécurité; elles n’affectent en rien le pouvoir et l’obligation de ce dernier, fondés sur la présente Charte, de prendre à tout moment les mesures qu’il juge nécessaires au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales.
«Les circonstances exigent de notre part une action décisive et immédiate. Les Républiques populaires du Donbass ont sollicité le soutien de la Fédération de Russie. Dans ce contexte, conformément à l’article 51 du chapitre VII de la Charte des Nations unies, avec l’autorisation du Conseil de la Fédération de Russie et en accord avec les traités d’amitié et d’assistance mutuelle conclus avec la République populaire de Donetsk et la République populaire de Lougansk, tous deux ratifiés par l’Assemblée fédérale russe du 22 février dernier, j’ai décidé de lancer une opération militaire. Son objectif est de protéger les populations menacées depuis huit ans de maltraitance et d’assassinat par le régime de Kiev. A cette fin, nous nous efforcerons de démilitariser et de dénazifier l’Ukraine et de traduire en justice ceux qui ont commis d’innombrables crimes de sang contre la population civile, y compris les citoyens de la Fédération de Russie.»
http://en.kremlin.ru/events/president/news/67843 du 24/02/22
(Traduction allemande basée sur: https://www.anti-spiegel.ru/2022/putins-komplette-rede-an-das-russische-volk-zum-beginn-der-militaeroperation/ du 24/02/22)
Notre site web utilise des cookies afin de pouvoir améliorer notre page en permanence et vous offrir une expérience optimale en tant que visiteurs. En continuant à consulter ce site web, vous déclarez accepter l’utilisation de cookies. Vous trouverez de plus amples informations concernant les cookies dans notre déclaration de protection des données.
Si vous désirez interdire l’utilisation de cookies, par ex. par le biais de Google Analytics, vous pouvez installer ce dernier au moyen des modules complémentaires du présent navigateur.