von Karin Leukefeld
En 2021, d’anciens hauts responsables des Nations unies et des scientifiques, regroupés au sein du «Groupe de Berlin21» (BG21), ont présenté aux députés européens leur enquête sur le rapport del’OIAC concernant l’utilisation présumée d’armes chimiques à Douma, en Syrie, en avril 2018 – une semaine avant le début de l’intervention occidentale contre la Syrie. Les experts indépendants ont trouvé «des preuves de manipulation, de partialité et de censure des faits».
Mick Wallace et Claire Daly, députés européens et membres du parti «Independents 4 Change» (Indépendants pour le changement, Irlande), sont à l’origine de cette enquête. Au Parlement européen, ils font partie de la GUE/NGL The Left. L’objectif est d’amener le Parlement européen à débattre et à examiner à elle, et de manière autonome cette «grave controverse», selon la note d’introduction de l’enquête.1 Les Etats membres de l’OIAC (Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, fondée en 1997) et son administration sont sollicités de résoudre les divergences persistantes évoqués par et sur le rapport de l’OIAC sur Douma, et ceci «en conformité avec la Convention sur les armes chimiques et la Charte des Nations unies».
Parmi les membres fondateurs du «Berlin Gruppe21» figurent l’ambassadeur brésilien José Mauricio Bustani, premier directeur de l’OIAC; Richard Falk, professeur émérite de droit international à l’université de Princeton et rapporteur spécial des Nations unies sur le respect des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés par Israël; Hans-C. von Sponeck, Dr. honoris causa, longtemps diplomate à l’ONU, entre autre au PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), et représentant du Secrétaire général adjoint de l’ONU en Irak; Dr. Piers Robinson, co-directeur de l’Organisation d’études de la propagande, spécialisé dans l’étude du rôle des médias dans les conflits, la politique étrangère et l’intervention, dans les deux cas de l’invasion de l’Irak (2003) et de la Syrie.
L’origine des faits
Ces dernières années, NachDenkSeiten a régulièrement rendu compte de la polémique entourant le rapport controversé de l’OIAC sur Douma2, après qu’un lanceur d’alerte de l’OIAC eut fait état de l’ingérence de l’organisation dans les résultats originaux de l’enquête, lors d’un panel de la Fondation Courage (octobre 2019). Des informations sur la prétendue utilisation d’armes chimiques avaient été diffusées le 7 avril 2018 par les «Casques blancs». Ils avaient alors envoyé au monde entier des images et des vidéos dramatiques prises dans un hôpital souterrain de Douma, via les médias sociaux. L’information a immédiatement été relayée par des chaînes de télévision et des agences internationales. Les «Casques blancs» affirmaient que l’armée syrienne avait largué des cylindres remplis de gaz sur des maisons d’habitation depuis un hélicoptère, faisant au moins 40 morts. Les «Casques blancs» ont également diffusé des images de cadavres dans une cave. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, Paris et Berlin se sont joints à ces accusations.
L’armée syrienne ayant démenti ces informations, le gouvernement syrien a demandé à l’OIAC d’envoyer une commission d’enquête. Le Conseil de sécurité des Nations unies a donné son accord et la mission, une commission d’enquête de l’OIAC, la «Fact Finding Mission» (Mission de repérages des faits, FFM), s’est mise en route. Alors qu’à Beyrouth, les inspecteurs de l’OIAC/FFM se préparaient à se rendre à Damas, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France ont bombardé des cibles en Syrie en guise de punition pour Douma dans la nuit du 14 avril 2018. Les trois puissances occidentales, membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et disposant du droit de veto, n’étaient manifestement pas intéressées par les résultats de la commission de l’OIAC. L’OIAC, le Conseil de sécurité de l’ONU, l’Assemblée générale de l’ONU ont gardé le silence.
Les inspecteurs de l’OIAC se sont donc rendus à Damas et ont commencé leur travail à Douma. Ils ont recueilli des échantillons de sol, inspecté les lieux et se sont entretenus avec des témoins oculaires. Il a été impossible de retrouver les corps, photographiés dans une cave, et de vérifier l’endroit où ils avaient été enterrés. De retour à La Haye – siège de l’OIAC – les experts ont rédigé leur premier «Rapport intermédiaire» qui devait, selon les règles de l’OIAC, être remis dans un délai de quatre semaines. C’est alors que s’est produit un événement étrange. L’équipe FFM d’inspecteurs de Douma a été révoqué, devant arrêter son travail, et tout à coup un nouveau Rapport intermédiaire a emergé.
«Fortes préoccupations»
Le 22 juin 2018, l’un des inspecteurs de l’équipe en charge de Douma à l’OIAC a adressé à sa hiérarchie une lettre intitulée «Fortes préoccupations relatives au rapport ‹censuré› sur Douma».3 Dans cette lettre, la phrase suivante constitue l’élément clef: «En tant que membre de l’équipe FFM qui a mené l’enquête sur l’attaque chimique présumée à Douma le 7 avril, je tiens à exprimer mes profondes inquiétudes concernant la version censurée du rapport de la FFM». Cette lettre et d’autres documents internes relatifs à cette affaire ont été transmis et publiés entre 2019 et 2020 sur la plateforme Internet WikiLeaks. Un peu plus loin cette lettre dit: «Après fait lecture de ce rapport remanié (ce qu’aucun autre membre de l’équipe ayant travaillé à Douma n’a d’ailleurs eu l’occasion de faire), j’ai été stupéfait de constater à quel point il reflétait mal les véritables faits. De nombreux éléments et observations présentés dans la version complète sont indissociables les uns des autres. L’omission sélective de certaines informations [figurant à la version originale] a induit un parti pris accidentel dans le rapport, ce qui nuit à sa crédibilité. Dans d’autres cas, certains faits cruciaux conservés dans la version censurée se sont mués en toute autre chose que ce qui avait été rédigé à l’origine. Si vous le permettez, je voudrais aborder certains aspects spécifiques du rapport expurgé qui sont particulièrement troublants.»
Suit donc la liste des points4 concrets que l’auteur de la lettre juge particulièrement importants. Ce qui l’amène à qualifier la conclusion du rapport étant «extrêmement fallacieuse», conclusion selon laquelle l’équipe d’enquête de Douma aurait trouvé suffisamment de preuves que l’emploi de chlore ou de gaz chloré s’était avéré possible. Il porte le même qualificatif sur le constat, figurant dans la version tronquée, qu’ il n’y aurait eu «pas assez de preuves» pour affirmer que le gaz aurait probablement échappé par des cylindres à gaz retrouvés sur place. L’auteur de la lettre insiste sur ce que les indications concrètes sur la localisation des cylindres, figurant dans le rapport initial, faisaient également défaut dans la version 2 ainsi que la bibliographie exhaustive, annexe volumineux du rapport dans sa version originale. Il demande donc que le rapport de la commission d’enquête sur Douma soit publié dans son intégralité puisque la version censurée ne reflétait pas le travail de l’équipe. S’il y avait contrainte de publier la version censurée, il «demande respectueusement» d’y annexer ses «observations divergentes conformément au paragraphe 62 de la partie II de l’annexe sur la vérification de la Convention sur les armes chimiques.»
Ce courrier a provoqué de nombreuses réactions, mais la direction de l’OIAC a refusé et de publier le rapport de Douma et d’y annexer les commentaires de l’auteur de la lettre. Quant aux deux lanceurs d’alerte de l’OIAC, Ian Henderson et Brendan Whelan, devenus célèbres entre-temps, ils ont été poursuivis, mis sous pression, insultés et diffamés par la direction de l’OIAC. Cette lettre n’a pourtant été que l’amorce d’une longue controverse qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui. Un grand nombre de documents a été transmis à WikiLeaks où l’on peut les consulter.5
La Courage Foundation a organisé un débat sur les incohérences relevées dans le rapport de l’OIAC sur Douma. A cette occasion, une déclaration a été rédigée qui a attiré l’attention de l’opinion publique internationale sur cette affaire conduisant à des interpellations présentées au directeur général de l’OIAC et aux Etats membres de l’OIAC pour un réexamen du dossier. Résultat nul.
Une nouvelle enquête s’impose
Les auteurs de l’enquête rétabli et complété qui vient d’être présentée avaient basé leurs travaux sur trois aspects importants. Selon eux, tout d’abord, les familles de plus de 40 personnes décédées à Douma ont le droit de connaître comment leurs proches ont trouvé la mort. En plus, il faut restaurer la crédibilité de l’OIAC et la confiance de ses Etats membres dans l’organisation. Et finalement, les lanceurs d’alerte ayant eu le courage de dénoncer les dysfonctionnements repérés dans l’élabration du rapport méritent le respect et la protection. Dans la préface de l’enquête, il est dit que l’OIAC n’est pas la seule instance à avoir failli. Ni l’Assemblée générale ni le Conseil de sécurité de l’ONU n’ont contribué à la clarification de la controverse. La manipulation du rapport relatif à une prétendue utilisation d’armes chimiques à Douma et l’attaque armée survenue peu après – en enfreignant le droit international – par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France contre la Syrie ont gravement atteint la paix et la sécurité internationales, contrariant entièrement ce que stipule la Charte des Nations Unies.6
Le rapport du «Berlin Group 21»(BG21) est rédigé en anglais. Le titre déjà annonce ce que le «Berlin Gruppe 21» a constaté, et ce après des années de recherches, d’entretiens et d’examens des rapports de l’OIAC sur les événements de Douma et leur représentation dans le rapport officiel: des preuves de manipulation, de partialité et de censure. Ce constat, lourd de conséquences, se fonde sur une multitude de documents, d’analyses de première main et de sources hautement qualifiées. A cela s’ajoutent de nombreuses communications internes de l’OIAC, publiées sur la plateforme Internet WikiLeaks.7
L’enquête
La première partie (Section One) de l’enguête du groupe Berlin présente un bref historique des événements survenus le 7 avril 2018 à Douma, en Syrie. Il est suivi d’un exposé sur la mise en place de la Mission d’établissement des faits (Fact Finding Mission, FFM) par l’OIAC ainsi que sur le rôle des Nations unies.
La deuxième partie (Section Two) traite, sous forme chronologique, de l’utilisation présumée d’armes chimiques à Douma et de l’action de la FFM. Elle va d’avril 2018 à décembre 2019, s’étendant au-delà de cette date. Enfin, la troisième partie (Section Three) consiste en un récapitulatif des quatre rapports établi par l’OIAC sur l’utilisation présumée d’armes chimiques à Douma. Il s’agissait d’analyser les différents documents établis sous la gérence de l’OIAC sur le présumé emploi d’armes chimiques à Douma: le rapport intermédiaire initial de l’équipe FFM, ayant repéré les faits à Douma (juin 2018), le rapport intermédiaire censuré (juin 2018), le rapport intermédiaire publié (juillet 2018) et le rapport final de la FFM (mars 2019). Enfin, dans la quatrième partie (Section Four), les auteurs tirent des conclusions et proposent des actions concrètes visant «de mettre en évidence, de manière précise, ce qui s’est passé à Douma et, en plus, restaurer la crédibilité de l’OIAC».
L’existence de la manipulation, de
la partialité et de la censure éprouvée
Les auteurs de l’enquête diffusent, dans un document annexé, les points concrets des conclusions de leurs efforts de restituer la vérité dans les quatre rapports de l’OCVV, tous présentés en détail.
L’Annexe 1 traite des rapports toxicologiques et médico-légaux, de «la suppression abusive de la conclusion initiale de la toxicologie» et du défaut de mise en évidence de preuves importantes d’une autre cause de décès. L’Annexe 2 examine les témoignages, où et comment ils ont été recueillis, et le manque de «clarification des témoignages atypiques». Elle traite également des erreurs analytiques dans la représentation des modèles de propagation du gaz. L’Annexe 3 examine les «analyses chimiques lacunaires» ainsi que les erreurs y produites et les différents points où «des indices importants d’explications alternatives» n’ont pas été examinés. Enfin, l’Annexe4 fait état des informations insuffisantes concernant les questions balistiques. Il s’agit en particulier de la localisatione de deux cylindres à gaz, localisation mystérieusement ostentatoire et inhabituelle dans cet endroit, ainsi que de la génèse d’un présumé trou dans le toit par lequel serait tombé l’un des cylindres à gaz.
Ce rapport rectificatif a été envoyé à tous les députés européens, à la Direction de l’OIAC et à ses Etats membres, au Secrétaire général de l’ONU, aux Etats membres de l’ONU et au Conseil de sécurité de l’ONU. Le ministère allemand des Affaires étrangères en a également reçu une copie. Tous les destinataires de l’enquête ont été invité à «résoudre la controverse persistante conformément à la Convention sur les armes chimiques et à la Charte des Nations unies».
«Profondément alarmant»
«Ce document devra profondément alarmer tous ceux qui persistent dans l’idée que l’ONU est là pour soutenir le respect du droit international comme moyen de réduire la violence dans le monde.» C’est ainsi que ce prononce, dans sa préface de l’enquête du «Berlin Gruppe21» le professeur Theodore Postol. Postol est professeur émérite de physique et a enseigné au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il qualifie les événements entourant le rapport de l’OIAC sur Douma d’«attaque contre l’avenir du droit international et de la Convention sur les armes chimique». Et d’y ajouter: «Si ce genre d’analyse de nature visiblement non professionnelle et approximative» perdure sans qu’on y remédie, cela signifie que les Nations unies et l’OIAC cessent tout simplement d’exister en tant qu’organes d’exécution du droit international.» Arrivée là, l’humanité se trouvera donc face au «regrettable héritage transmis au monde par ceux qui prétendent aujourd’hui être les gardiens de la vérité». •
1https://berlingroup21.org/front-matter-and-introduction
2https://www.nachdenkseiten.de/?p=55809
3https://berlingroup21.org/grave-concerns-email-june-2018
4https://wikileaks.org/opcw-douma/document/actual_toxicology_meeting_redacted/actual_toxicology_meeting_redacted.pdf
5https://wikileaks.org/opcw-douma/document/
6https://www.un.org/en/about-us/un-charter/full-text
7https://wikileaks.org/opcw-douma/document/
Première parution:www.nachdenkseiten.de du 7/08/23
(Traduction Horizons et débats)
hd. Le 17 août, Fritz Edlinger a diffusé sur sa chaîne vidéo (International), sous le titre «Le ‹cas Douma›: la vérité doit être révélée!», un entretien avec Hans von Sponeck, diplomate de longue date à l’ONU, sur les événements et les manipulations liés à Douma (Syrie), que nous souhaitons vivement recommander à nos lecteurs: https://www.youtube.com/watch?v=M0sZuuVvfYQ
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