En Afghanistan, le 15 août est un jour de fête qui commémore la date à laquelle, en 2021, les troupes de l’OTAN ont piteusement quitté le pays dans lequel ils avaient soutenu un gouvernement corrompu installé par les forces armées occidentales. Ils abandonnaient ainsi le pouvoir aux Talibans, lesquels ont par la suite exercé leur tyrannie sur le pays tout entier. Bien que l’Afghanistan dispose de grandes richesses naturelles, la pauvreté y est omniprésente, la famine permanente. Maintenir les sanctions à l’encontre du droit international et en dépit des conditions précaires qui martyrisent la population toute entière fait preuve d’un cynisme sans égal. Ces sanctions illégales ont été instaurées après l’installation des Talibans, leur abolition ayant été instamment exigée par l’ONU, dès 2022. La sécheresse qui perdure aggrave encore la situation. A cause du tarissement de ses sources financières, l’ONU ne connaît d’autre remède que de rationner les livraisons d’aide et de réitérer avec insistance ses appels au renforcement des aides à la population.
Les sanctions pénalisent
avant tout les plus démunis
Au printemps dernier, l’émission « International » de la radio suisse-allemande a rapporté que le ministre afghan des affaires étrangères, Amir Khan Muttaqi, avait exhorté le monde entier à la reconnaissance du gouvernement taliban ainsi qu’à la levée des sanctions américaines qui paralysent le pays.
Il a déclaré que, depuis la prise du pouvoir des Talibans, la situation sécuritaire s’était améliorée de façon significative, de sorte que le maintien des sanctions envers le pays martyrisé par la longue guerre n’était plus justifié. Ce à quoi la journaliste lui a promptement retorqué en bonne militante de la cause genre, lui reprochant de passer sous silence «la répression massive des femmes», selon elle « la cause principale des sanctions».
Quel cynisme, quelle hypocrisie au détriment de ceux qu’on prétend libérer! Car la raison incitant les Etats-Unis à l’invasion brutale de l’Afghanistan [après 9/11] n’a certainement pas été le bien-être des femmes mais la poursuite sans merci de leurs intérêts géopolitiques.
Les faits l’expliquent en toute évidence: Il suffisait que les Etats-Unis, en plein accord avec leurs nombreux alliés européens, déclarent que le gouvernement afghan d’alors était «une organisation terroriste» pour geler 7,1 milliards de dollars US, propriété de la Banque centrale afghane, dans les trésors de la Federal Reserve Bank of New York. Ce blocage de fonds persiste, il avait trouvé sa justification plus que précaire dans la volonté présumée de dédommager les victimes américains du terrorisme (p.ex. des attaques terroristes du 9/11) ainsi que de participer ensuite à la reconstruction de l’Afghanistan.
Les conséquences de ces mesures sont catastrophiques, surtout pour la population, et dont les auteurs prétendent pourtant vouloir la soutenir. Tout cela face à la réalité qui prouve que les plus touchées par la malnutrition sont les femmes et les enfants; que le taux de natalité est en baisse, et que le nombre de fausses couches est très élevé, tout comme la mortalité infantile. La levée des sanctions pourrait y remédier promptement …
Encore un appel de l’ONU
qui ne trouve pas d’écho
Le 26 janvier 2022, six mois après la fin de l’engagement militaire des USA et de leurs alliés, Antonio Guterres, face à la situation catastrophique dans le pays, s’est adressé à la communauté internationale. Tous ceux qui auparavant étaient financés par la communauté internationale, les paysans, les enseignants, les policiers, les employés des services de santé et de l’administration ne recevaient plus aucun salaire. Rien d’étonnant donc à ce que les systèmes bancaires, de santé et d’éducation ainsi que l’administration se soient effondrés. 28,8 millions d’êtres humains auraient besoin d’aide humanitaire constante et la quasi-totalité de la population vit sous le seuil de pauvreté, les plus touchées étant les femmes et les jeunes filles. L’organisation International Crisis Groupe, domiciliée à Bruxelles,a lancé un appel d’urgence aux pays donateurs concernés pour qu’ils entament des pourparlers avec l’Afghanistan, insistant sur le fait que le pays n’est plus en état de guerre et que, par conséquent, les fonds retenus pourraient enfin retrouver leurs vrais destinataires, ceux qui sont en état d’urgence absolue. Les Etats-Unis persistent cependant et continuent à émettre des doutes sur l’indépendance de la Banque Centrale Afghane. Ils soupçoneraient que cette dernière pourrait être impliquée dans le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme... là encore, une allégation non prouvée et une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures d’un état.
En surface, la disette – en sous-sol les trésors:
des ressources afghanes très convoitées
Selon la Banque mondiale, la présence de ressources minérales telles que le pétrole, le cuivre, le lithium, les terres rares, la bauxite et bien d’autres pourrait générer des revenus d’exportation considérables, d’autant plus qu’il s’agit de métaux et de minéraux mondialement prisés dans le domaine des technologies vertes: batteries, panneaux solaires et éoliennes.
Il n’est donc pas étonnant que des sociétés de négoce de matières premières, des politiciens, des acteurs économiques et bien sûr, les seigneurs de guerre locaux, salivent à la pensée de ces richesses. Ainsi le Ministère américain de la défense a déjà employé, parlant de l’Afghanistan, le terme «d’Arabie saoudite du Lithium». Le président Barak Obama a encouragé, de son temps déjà, la création d’une industrie minière; Donald Trump et certains conseillers du gouvernement afghan de l’époque ont eux aussi conçu la création de l’industrie minière afghane comme une situation gagnant-gagnant pour les deux pays: bonne d’abord pour l’économie afghane, également pourvoyeuse d’emplois pour les Américains et, somme toute, avantageuse pour les Etats-Unis dans sa rivalité avec la Chine. Cette exploitation minière sous influence occidentale ne s’est heureusement pas concrétisée car elle aurait pu entraîner une nouvelle spoliation des richesses du pays.
A la différence de l’administration américaine, la Chine et la Russie ont maintenu leurs représentations diplomatiques et entretiennent donc des relations normales avec les Talibans qui, de leur côté, essaient d’initier, avec les deux pays, des contacts commerciaux.
Mais le problème est plus complexe: Les conditions préalables à l’extraction et à l’exploitation des matières premières sont une stabilité politique à long terme, une lutte efficace contre la corruption ainsi qu’une économie en bon état qui puisse, avec le temps, mettre en place l’infrastructure nécessaire (technologies, transports, etc.), un savoir-faire polyvalent et, enfin, d’importantes ressources financières ... La Chine a déjà fait savoir qu’elle souhaiterait obtenir la reconnaissance internationale du régime des talibans.
Des pourparlers officiels entre
l’Afghanistan et les Etats-Unis?
Selon un article de «Russia Today», les Talibans et les Etats-Unis auraient repris contact. Il se peut, écrit le magazine numérique, qu’un des objectifs de ces entretiens concerne le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux Etats. L’objet de ces démarches visant à instaurer la confiance était bien entendu la levée des sanctions et la levée du blocage des fonds de la banque nationale afghane.
Les représentants américains, ajoute le communiqué, ont pris note de la baisse du taux d’inflation et de l’augmentation des exportations de marchandises. En revanche, la situation des droits de l’homme reste préoccupante. Il n’y a certainement pas là de quoi se réjouir, d’autant plus qu’une bonne dose de scepticisme est de mise lorsque ce sont justement les Etats-Unis qui sont à l’origine de l’entreprise. Il faut pourtant souhaiter à ce singulier petit pays et à sa population d’accéder – et d’urgence même – à un avenir meilleur. Après des décennies de terrorisme, l’Occident aurait toutes les raisons d’y jouer enfin un rôle constructif. •
Sources:
Babst, Andreas. «Aus Rebellen sind Bürokraten geworden – die Taliban feiern den zweiten Jahrestag ihrer Machtübernahme», NZZ online du 15/08/23, https://www.nzz.ch/international/eindruecke-aus-kabul-zwei-jahre-nach-dem-einzug-der-taliban-ld.1751673
Jessen, Jan. «Afghanen im Stich gelassen – ein mora- lischer Offenbarungseid», Hamburger Abendblatt online du 14/08/23, https://qoshe.com/waz/jan-jessen/afghanen-im-stich-gelassen-ein-moralischer-offenbarungseid/164094646
Hasselbach, Christoph. «Sanktionen behindern Hilfe für Afghanistan», Deutsche Welle online du12/01/22, https://www.dw.com/de/afghanistan-sanktionen-behindern-nothilfe/a-60396786
Hosp, Gerald. «Kupfer, Lithium und Erdöl: Sitzen die Taliban auf einem Schatz von 1000 Dollar?», NZZ on- line du 31/08/21
«Jahrestag des US-Abzugs wird afghanischer Natio- nalfeiertag», sans auteur, RT DE du 18/06/23, https://de.rt.com/asien/172953-jahrestag-us-abzugs-wird-afghanischer/
Peters, Maren. «Frauen in Afghanistan», SRF 2, «In ternational», https://www.srf.ch/audio/international/best-of-frauen-in-afghanistan?id=12418774
«Seit der Machtübernahme in Afghanistan: Erste offizielle Gespräche zwischen Taliban und USA», RT DE, https://de.rt.com/asien/176727-seit-machtuebernahme-in-afghanistan-erste/
Werning, Rainer. «Vermessen, verdrängt, vergessen – Afghanistan zwei Jahre nach der Rückkehr der Taliban», Nachdenkseiten online, https://www.nachdenkseiten.de , 15/08/23
«USA beschlagnahmen Gelder der afghanischen Zentralbank», Deutsche Welle du 11/02/22, https://www.dw.com/de/usa-beschlagnahmen-sieben-milliarden-dollar-von-afghanischer-zentralbank/a-60750427
wp. Le 26 janvier 2022, six mois après la prise de pouvoir des talibans, António Guterres, secrétaire général des Nations unies, a prononcé un discours devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Il a décrit en termes dramatiques l’extrême détresse du peuple afghan et a lancé un appel pressant à l’opinion publique mondiale:
«En ce moment, nous avons besoin de la communauté mondiale – et de ce Conseil – pour s’engager sur la voie du progrès, fournir des ressources et empêcher l’Afghanistan de s’enfoncer davantage. Tout d’abord et de toute urgence, nous devons intensifier nos opérations humanitaires pour sauver des vies. […] Les fonds internationaux doivent être autorisés à payer les salaires des travailleurs du secteur public. Qu’il s’agisse de chirurgiens, d’infirmières, d’enseignants, d’agents sanitaires ou d’électriciens, tous sont indispensables au bon fonctionnement des systèmes. Et ils sont essentiels pour l’avenir de l’Afghanistan.
[…] Nous devons relancer l’économie afghane en augmentant les liquidités. Nous devons sortir l’économie du gouffre. Cela signifie qu’il faut trouver des moyens de libérer les réserves monétaires gelées et de réengager la Banque centrale de l’Afghanistan.»1
1Citations selon «Situation dévastatrice en Afghanistan», Horizons et débats, no 5,
1er mars 2022
(Traduction Horizons et débats)
wp. Le 29 février 2020, un événement mémorable s’est produit: après avoir tenté en vain d’installer durablement, en Afghanistan, un régime corrompu et inféodé aux Etats-Unis et aux pays de l’OTAN, les Etats-Unis ont signé l’accord de paix de Doha, au Qatar. Les Américains s’y sont engagés à désormais se tenir à l’écart des affaires intérieures afghanes, à retirer leurs troupes d’Afghanistan et à remettre le pouvoir aux talibans. De leur côté, les talibans se sont engagés à ne pas nuire aux ressortissants des pays de l’OTAN. Les soldats de l’armée nationale afghane et les milices populaires, dont beaucoup avaient attendu en vain leur solde depuis des mois, s’étaient rendus pour la plupart sans combattre, se destituant de servir le régime en défaillance, mis en place par l’étranger.
Le 15 août, Kaboul a définitivement capitulé. Auparavant, les talibans avaient eu des entretiens avec Moscou, Pékin et Téhéran. Tant les nouveaux dirigeants que les Etats voisins ont manifesté leur intérêt pour une stabilisation de la situation. Cette évolution n’est pas le fruit du hasard: entre-temps, parmi les talibans aussi, une nouvelle génération a grandi dont nombreux ont passé une formation universitaire à l’extérieur. Ils aspirent à vivre dans une société plus ouverte.
(Pour le contexte de la guerre des Etats-Unis de 20 ans en Afghanistan, soutenue par l’Allemagne, v. Matin Baraki: Après 20 ans de guerre civile et 20 ans de guerre de l’OTAN, le peuple afghan n’aspire qu’à la paix!; ds. Horizons et débats, no 19/20, 31/08/2021)
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