L’OTAN, puissance belliciste, étend actuellement ses tentacules à Genève, ville de la paix

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

L’ordre mondial est en train de changer, passant d’un «ordre basé sur des règles» (imposés par les puissances occidentales «au reste du monde») à une communauté d’Etats de nations égales en droits. Comme on le sait, la Suisse a été affectée, elle aussi, dans un tourbillon d’ampleur. Pour que notre modèle de démocratie directe, unique au monde, ne sombre pas dans les blocs de l’UE et de l’OTAN, et donc dans le vacarme de la guerre, il faut que nous unissions nos forces – ce qui n’est pourtant pas évident à tous, Suisses inclus. Le récent acte agressif dirigé contre notre souveraineté et notre neutralité est l’ouverture prévue d’un «bureau de liaison» de l’OTAN à Genève, ville de paix. Bien qu’aucune demande officielle n’ait encore été déposée, le Conseil fédéral et son administration s’empressent déjà «d’accueillir»cordialement chez nous, en Suisse neutre, cette alliance transformée en ligue belliciste. La plupart des médias suisses et voisins l’ont annoncée, le 11 octobre 2023.

Héberger à Genève, ville de paix,
une OTAN agressive?

Sur le menu d’accueil du site Internet du Conseil fédéral suisse, on cherche en vain le moindre indice officiel sur ce qui constitue, pour la Suisse neutre, ce no-go absolu. Interrogé par les médias, le Département des affaires étrangères (DFAE) s’exprime en disant qu’il ne s’agit pas d’un «bureau bilatéral de l’Alliance avec la Suisse officielle», mais d’un «bureau de liaison entre l’OTAN et les organisations internationales et non gouvernementales siégeant à Genève».1
    Tant pis! Nous voilà donc avec une sorte de carrefour international répandant les concepts bellicistes de la principale alliance guerrière occidentale! Celle-ci veut s’établir en Suisse neutre afin de resserrer sa toile tout en esquivant nos instances démocratiques! En juillet déjà, après le sommet de Vilnius, l’OTAN avait annoncé, selon le point 86 de son communiqué: «Nous examinons la possibilité d’établir un bureau de liaison à Genève afin de renforcer encore notre engagement auprès des Nations unies et d’autres organisations internationales concernées»2. Comme si le monde n’avait pas eu suffisamment d’expériences du genre OTAN de cet «engagement» semant partout où bon lui semble, ses affreuses guerres. Et pour quelles raisons le public suisse, donc les citoyens souverains, entendent-ils parler de ce «bureau» que maintenant, au moment où nous nous trouvons pratiquement devant le fait accompli? Qui donc aura pris note du point 86 d’un communiqué sans s’y être fracassé le nez? Toujours est-il que le quotidien «Tages-Anzeiger» retient, à propos de cette tactique: «La note est insignifiante et bien cachée. Mais pour la Suisse, elle constitue un fait politique explosif». Nous adhérons entièrement à ce point de vue!

Des privilèges fédéraux pour un centre
de propagande incitant à la guerre?

Même si la notion «neutre» apparaît, ces derniers temps, dans la propagande officielle suisse à répétition, ce moyen trompeur ne blanchit pas les actions du Conseil fédéral qui sont, de toute évidence, dirigée contre l’essence même de notre statut international de neutralité. Le DFAE a beau affirmer que l’ouverture d’un bureau de liaison de l’OTAN en Suisse ne poserait «aucun problème du point de vue du droit de la neutralité, […] car l’alliance de défense constitue une organisation intergouvernementale selon la loi suisse sur l’état hôte». En fait, il devrait être de notoriété publique, même dans la Berne fédérale, que l’OTAN n’est plus une «alliance défensive», de toute évidence depuis sa guerre d’agression contre la Yougoslavie, mais qu’elle s’est par contre transformée en partie prenante à de nombreuses guerres dans diverses contrées du monde et donc en dehors de son territoire.
    La Suisse a créé la loi sur l’état hôte d’une organisation internationale comme contribution de notre pays neutre à la promotion de la coopération au sein de la communauté mondial3. Elle pose, par exemple, les bases juridiques du soutien au CICR et aux nombreuses organisations de l’ONU ayant leur siège à Genève. En plus celles aussi de caractère culturel, humanitaire et économiques, suisses et étrangères, dédiées à la coopération entre les pays et les peuples dans les domaines les plus divers, ainsi qu’aux conférences et aux tribunaux d’arbitrage internationaux. La loi régit «l’octroi de privilèges, d’immunités et de facilités» ainsi que les «contributions financières» de la Suisse (art. 1, al.1) à ces organisations.
    Si la Suisse accordait ce genre d’hospitalité à l’OTAN, alliance militaire internationale et devenue agressive, cet empressement offrirait à ses collaborateurs la complète liberté d’action en Suisse pour accomplir leur mission en provenance de l’Outre-Atlantique et dont nous n’aurions aucune connaissance. De plus, ils ne seraient même pas soumis à l’Etat de droit suisse, mais bénéficieraient, par contre, de privilèges étendus, comme l’immunité contre les poursuites pénales ou l’exonération d’impôts (art. 3), mises exclusivement en place pour le CICR et les organisations de l’ONU. L’attitude du Conseil fédéral suisse dans cette affairenous prépare un sombre avenir!

Des voix critiques rappellent à l’ordre les déviations
du Conseil fédéral concernant la neutralité suisse

Beni Gafner, rédacteur agrégé au Palais fédéral pour le «Tages-Anzeiger», s’étonne de l’affirmation du Conseil fédéral selon laquelle un centre OTAN à Genève «ne porterait pas atteinte à la neutralité».4 Gafner constate en revanche que «publiquement, la Confédération donne l’impression qu’avec l’OTAN, elle veut attirer à Genève une autre organisation de paix – une sorte d’œuvre d’entraide qui serait là pour tous, indépendamment des partis. Mais ce n’est pas le cas, car l’OTAN est une alliance défensive sous le commandement des Etats-Unis – et donc un adversaire militaire pour des pays comme la Russie ou la Chine». Comme les Etats-Unis sont «la puissance militaire absolument dominante» au sein de l’OTAN, selon Gafner, une approbation par le Conseil fédéral du site de l’OTAN à Genève «rapprocherait dangereusement la Suisse des Etats-Unis». Le rédacteur fait remarquer que pour la Suisse, «une présence permanente de l’OTAN dans le pays n’était jamais à l’ordre du jour», car pour la Suisse «il s’agit en priorité de permettre une médiation neutre entre les parties en guerre». C’est pourquoi il demande au Conseil fédéral de bien réfléchir «à ce que signifie exactement une présence de l’OTAN pour la Suisse, en respectant sa volonté de s’offrir comme médiateur».
    On ne voit certes pas à quoi ce raisonnement limpide puisse se heurter. Genève, ville de paix, a été et doit rester un lieu neutre, et ainsi capable d’offrir ses bons offices à tout Etat et peuple en situation de guerre et de conflit. On ne veut aucunement se changer en plaque tournante facilitant les efforts de l’OTAN qui visent à étendre ses tentacules dans les organisations de paix et de protection des droits de l’homme. C’est une honte pour l’exécutif suisse d’avoir à le rappeler au Conseil fédéral!
    Pour le Conseiller national Franz Grüter (UDC), président de la Commission de politique extérieure (CPE-N), il est et reste évident que la Suisse «en tant que pays indépendant et neutre» ne doit pas se laisser instrumentaliser par l’OTAN. Le Conseiller national socialiste Fabian Molina se montre, lui aussi, «critique à l’égard de l’ouverture d’un bureau officiel de l’OTAN à Genève».5
    Par contre, d’autres parlementaires suisses, cités dans le même article6, se prononcent en faveur d’un centre de l’OTAN à Genève, avec des arguments pourtant peu convainquants: «La présence de l’OTAN renforce la Genève internationale», affirme audacieusement la Conseillère nationale Andrea Gmür (centre), tandis que la politicienne du PLR en matière de sécurité, Maja Riniker, avoue ouvertement: «L’implantation correspondrait à ce rapprochement avec l’OTAN réclamé par le PLR». C’est cette même représentante du peuple suisse à Berne à laquelle on doit l’idée géniale de contourner l’interdiction de continuer à livrer des armes suisses, par cette astuce pourrie: nous autres Suisses, vendrons des chars Léopard à l’Allemagne, celle-ci les garde et envoie ses propres Léopard en Ukraine. Le Conseiller national vert Nicolas Walder enfonce le clou en concluant ainsi: si la Suisse, suggère-t-il, offrait à l’OTAN la possibilité «d’entrer en contact» avec le CICR et l’ONU à Genève, cela pourrait avoir «un effet positif sur le respect du droit international humanitaire par les troupes de l’OTAN». Quelles niaiseries!

L’Arrêt en dernière minute
est encore possible!

Quelle est la suite des événements ? Interrogé à ce sujet, le Conseiller national Franz Grüter confirme l’ information médiatique selon laquelle il appartient au Conseil fédéral de décider de l’ouverture du centre de l’OTAN. Il doit simplement consulter au préalable les Commissions de politique extérieure (CPE) des deux Chambres. Grüter prévoit de déposer une intervention à ce sujet lors de la session d’hiver afin de stopper cette demande. Félicitations!

1 Gafner, Beni; Reichen, Philippe; Israel, Stephan. «Nato-Büro in der Schweiz: Militärbündnis will nach Genf expandieren». Dans «Tages-Anzeiger» du 11/10/23
2 Communiqué des chefs d’Etat et de gouvernement de l’OTAN du 11/07/2023, Point 86 (https://www.nato.int/cps/en/natohq/official_texts_217320.htm)
3«Loi fédérale sur les privilèges, les immunités et les facilités, ainsi que sur les aides financières accordés par la Suisse en tant qu’Etat hôte»(Loi sur l’Etat hôte, OLEH) du 22/06/2007
4 Gafner, Beni. «Kommentar zum Verbindungsbüro. Vorsicht bei einem Ja zur Nato in Genf». «Tages-Anzeiger» du 11/10/2023
5 Gafner, Beni; Reichen, Philippe; Israel, Stephan. «Nato-Büro in der Schweiz: Militärbündnis will nach Genf expandieren». «Tages-Anzeiger» du 11/10/2023 
6 Toutes les personnes citées ici ont été confirmées dans leurs fonctions lors des élections du 22 octobre.

L’OTAN – une alliance défensive ?

mw. L’OTAN continue d’être qualifiée d’«alliance défensive» par de nombreux médias et politiciens suisses. Cette attitude ne lui convient plus de droit, et ceci depuis la nouvelle doctrine de l’OTAN, fixé sur le sommet de l’organisation du 24 avril 1999, comme le témoignent notamment les paragraphes 24 et 25 de son nouvel statut, avalisé à cette date. Son statut d’organisation est en plus obsolète selon les faits, en raison des plusieurs guerres de l’OTAN, menées en dehors du territoire de ses membres. Avec la guerre d’agression contre la Serbie de 1999 – sans l’accord du Conseil de sécurité de l’ONU – l’OTAN a en outre enfreint pour la première fois sa propre règle stipulant que ses interventions soient menées «conformément au droit international […]» (paragraphe 31, voir en bas).
    «§24: Toute attaque armée contre le territoire des Alliés, de quelque direction qu’elle vienne, serait couverte par les articles 5 et 6 du Traité de Washington. Cependant, la sécurité de l’Alliance doit aussi s’envisager dans un contexte global. Les intérêts de sécurité de l’Alliance peuvent être mis en cause par d’autres risques en caractère plus général, notamment des actes relevant du terrorisme, du sabotage et du crime organisé, et par la rupture des approvisionnements en ressources vitales. De grands mouvements incontrôlés de population, résultant en particulier de conflits armés, peuvent également poser des problèmes pour la sécurité et la stabilité de l’Alliance. […]
    §25: L’Alliance est attachée à une approche globale de la sécurité qui reconnaît l’importance des facteurs politiques, économiques, sociaux et environnementaux, en plus de l’indispensable dimension de défense […] [mise en relief par l’auteure]
    §31: Poursuivant sa politique de maintien de la paix, de prévention de la guerre et de renforcement de la sécurité et de la stabilité […] l’OTAN s’efforcera, en coopération avec d’autres organisations, de prévenir les conflits ou, si une crise se produit, de contribuer à sa gestion efficace, conformément au droit international, ce qui inclut la possibilité de conduire des opérations de réponse aux crises ne relevant pas de l’article 5. […]» [mise en relief par l’auteure]

Sources:

Sommet de l’OTAN, 1999. Le Concept Stratégique de l’Alliance; www.nato.int/Communiqué de presse/24/04/1999.

«NATO und Energiesicherheit». Deutscher Bundestag, Wissenschaftliche Dienste; du 18/04/2012; WD 2 – 3000 – 055/12

«Vom Verteidigungsbündnis zur Kriegsmaschine». Zeit-Fragen, no 25, 11/06/2012 (https://www.zeit-fragen.ch /archives/2012/no25; disponible en allemand).

Colombie: mandat suisse pour des négociations de paix

Les Bons services se situent au centre
de la politique extérieure de la Suisse neutre

mw. A côté de l’insupportable empressement suisse à répondre favorablement aux sollicitations envahissantes de l’OTAN, avec (en positions de chef de file politique de cette manie) Viola Amherd, Conseillère fédérale dirigeante du Département de défense suisse, et Ignazio Cassis, chef du Département suisse des affaires étrangères, les tâches véritablement urgentes défiant la Suisse neutre passent presque inaperçue, dans un monde ravagé par les guerres et la misère.
    Un récent communiqué de presse du Conseil fédéral fait tout de même état des bons offices de la Suisse en Colombie. Citons-le donc. Dans le cadre des négociations de paix entre le gouvernement colombien et le groupe rebelle Estado Mayor Central de las FARC-EP (EMC), la Suisse «assume, à la demande des deux parties, un mandat officiel de pays garant des négociations. Ce mandat témoigne de l’estime dont jouissent la diplomatie de la Suisse et son travail en matière de politique de paix.» En outre, toujours selon la communication officiel bernoise, la Suisse contribue également «à réduire les conséquences du conflit, par exemple par des mesures humanitaires, le déminage et le soutien au développement rural». La Suisse soutient le processus de paix en Colombie depuis vingt ans déjà. L’ambassadeur Simon Geissbühler, chef de la division Paix et droits de l’homme et droits humains du département des affaires étrangères, déclare: «La demande des parties en conflit est un signe clair de confiance en la Suisse et en sa politique de paix.» Et le Conseil fédéral de préciser: «Avec son engagement en faveur de la paix et de la sécurité, qui se manifeste par le soutien au processus de paix colombien, la Confédération suisse met en œuvre l’une des priorités thématiques de la stratégie de sa politique extérieure 2020–2023.»
   Il est bon de savoir que cet engagement traditionnel suisse sur le plan international n’a pourtant pas été totalement oublié dans la stratégie de politique étrangère suisse. Les Bons offices suisses éprouvés doivent à nouveau reprendre le centre de la politique étrangère suisse. Ce n’est pas par soumission que l’on obtient le respect des puissants de ce monde – ni en politicienne rayonnante aux caméras, suisses et américaines, ni en béni-oui-oui – mais posément dans la conscience de faire ce qu’il faut en tant que magistrat au service de notre Suisse qui est «autre».

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