«L’Europe a perdu sa force d’autodétermination»

Le discours zurichois de Victor Orban – reportage d’un événement encourageant

par Eva-Maria Föllmer-Müller

La lettre d’accompagnement pour la participation au 90e anniversaire de l’hebdomadaire «Die Weltwoche» m’avait avertie: «A cause du nombre élevé de visiteurs on est prié de préférer, si possible, l’accès par les moyens de transport publique.» Comme pour moi, par un agenda un peu serré, ce n’était pas possible, j’ai tout de même tenté ma chance en voiture – et j’en avais! Accueil aimable à l’Hôtel Dolder, des agents de police visiblement présents, mais décontractés. Une pensée surgit: il y a, probablement un grand nombre de personnes, qui souhaiteraient qu’il s’efface, ce Victor Orban – personnalité combative. A l’entrée de salle, un regroupement considérable; on attendait patiemment le moment d’y accéder.  Parmi ceux qui attendent, l’ancien Conseiller fédéral Ueli Maurer que rien ne distinguait de tout le monde. Autre petite réflexion spontanée, en Allemagne actuelle, un telle «normalité» serait probablement exclue. Le contrôle de l’entrée s’est passé de façon rapide, toujours serein et aimable dans un cadre rassurant.
    Dans la salle, il y a une ambiance affairée, mais quand-même calme, polie. Dans la partie arrière de la salle, des interviews sont en cours. Lors de mon entrée, l’ancien Président de Tchéquie, Vaclav Klaus se trouve en conversation avec Roman Zeller, répondant patiemment et  bien concentré aux questions.
    La salle se remplit – partout des petits cercles aux conversations animées – il y a une atmosphère agréable.
    Lorsque Victor Orbanentre dans la salle il est applaudi chaleureusement – ce n’est pas un hommage mais un apparent signe de respect de sa personne et de ses performances. Lors de l’accueil, Roger Köppel, rédacteur en chef de la Weltwoche, exprime vivement son plaisir de le recevoir à cette occasion. Les mots de réponse de Victor Orban à cet accueil étaient du même accabit – tout cela constituait un début réussi.
    Après s’être expressément adressé à Vaclav Klaus et ses compatriotes hongrois, le conférencier rend d’abord hommage à la Suisse, un «endroit où régit la parole libre». Pour l’orateur, la Hongrie et la Suisse ont un trait important en commun: les deux pays «sont épris de l’esprit de liberté et de la volonté de la défendre». Quant à lui, se trouvant en sa 17e année de fonction au sommet du gouvernement hongrois, il se définit comme un homme se réservant le droit d’avoir ses «propres idées des choses».
    Le sujet d’Orban est la politique européenne et ses évolutions, ceci depuis la Deuxième guerre mondiale. Il désigne l’Union Européenne comme un problème majeur, et ceci, toutes différences gardées, communément autant à la Hongrie qu’à la Suisse. Bien que la Suisse ne soit pas membre de l’UE – «restez-le!» – elle fait pourtant partie de l’Europe, c’est à dire que les effets des décisions prises à Bruxelles la concernent directement.
    Tout au début, Orban présente sa thèse de départ: L’Europe a perdu sa capacité d’autodétermination; elle ne sera plus en mesure d’agir de façon autodéterminée et souveraine. «Ça fait mal.» Comment en est-on arrivé là? Il explique ce déclin dramatique en passant, en rétrospective historique, par les transformations qu’ont vu les relations entre les Etats-Unis et l’Europe après la Deuxième guerre mondiale ainsi que le changement qui lui a été imposé depuis la fin de la guerre froide. La partie Ouest de l’Europe s’est toujours bien entendu avec le pouvoir US-américain. Les chefs d’Etats européens ainsi que leurs chefs de gouvernements ont réussi dans ces débuts, à résoudre la tâche primordiale «comment l’Europe peut rester elle-même et, comme le précise Orban, «de sauvegarder la qualité européenne dans un monde qui, notamment en Europe de l’Ouest, était dominé de plus en plus par les mœurs et normes anglo-saxons». Les chefs d’Etat et de gouvernements d’alors, particulièrement Konrad Adenauer et Charles de Gaulle, auraient réussi de ne pas laisser recouvrir leurs conditions par le modèle anglo-saxon de la démocratie et son «capitalisme cowboy». La solution était la démocratie chrétienne avec sa pensée du Bien commun et «toute la profondeur des traditions chrétiennes comme partie de notre économie». Cela a fonctionné, voilà le constat du conférencier. Ainsi l’Europe de l’Ouest «a su rester, dans ses concepts, un facteur indépendant», tandis que des intérêts européens pouvaient aussi être représentés en dedans des prétentions d’hégémonie américaine. Mais malgré tout les Etats-Unis, au moyen de leur «soft power», ont pu consolider leur pouvoir dans le monde entier.
    Après la guerre froide, en 1990, a commencé la transformation. S’il y a eu, au début, aux Etats-Unis ainsi qu’en Europe encore des forces chrétiennes-politiques, «elles ont été remplacées depuis par des forces progessives-libérales avec un poids et un potentiel de pouvoir décisif». Depuis, ces forces occupent toutes les positions importantes en Europe ayant repris le «contrôle sur le continent». Le destin de l’Europe, ainsi conclut-il, est aujourd’hui enchaîné aux Etats-Unis – avec toutes les conséquences que cela implique.
    Comme le souligne Orban, aujourd’hui ce sont des politiciens qui manquent et qui pourraient conduire l’Europe à sortir de cette «hégémonie progressive libérale».
    Derrière les «valeurs universelles», si souvent évoquées par les Américains, se cachent des intérêts solides des Etats-Unis. Ce sont eux qui définissent la politique extérieure des Etats-Unis tandis que celui qui ne les soutient pas est catalogué négativement. Pour lui il n’y aura plus de dialogue sensé. «Le caractère des querelles sur les valeurs se distingue complètement de ceux concernant les intérêts». Face aux intérêts différents des compromis sont possibles. Mais lorsque quelqu’un se réfère à ses valeurs, il n’est plus prêt à des compromis. En Europe se joue la même chose; derrière les valeurs européennes évoquées  à chaque moment, «se cachent le plus souvent les intérêts d’un des grands pays européens».
    Un autre problème que voit Orban c’est que les Etats-Unis depuis 1990, pas seulement en Europe mais dans le monde entier, ont essayé, avec leur occidentalisation, d’ériger leurs principes progressifs-libéraux en normes et de les exporter. Cela a conduit d’un côté à de nombreuses guerres. De l’autre côté la partie non-occidentale du monde a commencé à s’accentuer et à se maintenir plus fermement face aux Etats-Unis, avec résistance et rejet.
    Pour Orban, par rapport de nouveau à l’UE, ce qui lui manque cruellement, c’est un noyau essentiel, un point central, «une création sui generis». L’UE existe, il est vrai, mais sans rayonnement, sans charisme. Dans ce contexte, Orban mentionne le vide qui règne en matière de direction politique n’existant pratiquement plus au Conseil Européen, l’Assemblée des chefs d’Etats et de gouvernements de tous les 27 membres. A sa place, de plus en plus de décisions sont prises à Bruxelles par ceux qui ne doivent être que des organes exécutifs de la politique. A l’encontre de cela, la bureaucratie UE, spécialement sa Commission, s’arroge les décisions et les actions politiques.
    A la question «que faire?», Orban cite l’exemple de son propre pays. Même s’il n’est pas, avec ses huit millions habitants, un exemple pour d’autres pays que l’on puisse simplement reprendre: la société hongroise est profondément pluraliste. Au sein de l’UE, elle met l’accent sur sa souveraineté. En Hongrie il n’y a pas d’hégémonie libérale unilatérale. Cela lui offre souvent le temps nécessaire à réfléchir à propos de l’Europe. Au lieu d’un «wellfaire state», la Hongrie représente  un «workfare state» – et ceci avec aisance. Le taux d’imposition est à seulement 15% (flat tax) tandis que le volume d’exportation est à 32% du BIP.
    Au lieu de la thématique «gender», pour la société hongroise, c’est la famille qui est au centre, elle a une valeur centrale. Avec une politique de famille généreuse, la Hongrie essaye de résoudre le problème démographique. «D’après la constitution, le mariage se compose d’ un homme et d’une femme. En Hongrie le père est un homme et la mère une femme».
    Pour l’Europe, Orban donne les recommandations suivantes: il lui faut une feuille  de route réelle pour le cas réel du retrait des Etats-Unis de l’Europe. Pour Orban, la «folie postmoderne de suprématie» a fait son temps dans la politique mondiale. Il faut former une nouvelle génération de politiciens. Il y ajoute «une dernière remarque personnelle à propos du Christianisme et de la culture chrétienne» en disant: «Je suis persuadé que la culture chrétienne doit connaître, dans nos sociétés, davantage de soutien.»
    Sa dernière phrase est teintée d’optimisme: «La Hongrie n’est pas le mouton noir, mais la première hirondelle qui attend les autres!»
    Le discours d’Orban, ce soir impressionnant sur le Zürichberg, a toujours été interrompu pas des applaudissements – apparemment il a touché les cœurs de beaucoup de participants. Pour moi aussi il y a beaucoup de matière à réfléchir, par contre je n’ai trouvé aucune raison justifiant le déferlement de la polémique des médias concernant sa politique et son gouvernement.. •

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