«La guerre trouve son origine dans l’âme des humains» – exactement comme la paix!

par Peter Küpfer

Ce journal a déjà signalé à plusieurs reprises que le nouvel «engouement pour la guerre» se manifestant dans l’Europe de l’UE, est attisé artificiellement et renforcé par de nombreux médias. Ce faisant, il ne met pas seulement notre capacité de réflexion à l’épreuve, mais fait également tarir notre sensibilité naturelle présente en chaque être humain. Cela est devenu particulièrement évident dans l’espace germanophone. Dans ma jeunesse, la déclaration faite il y a quelque temps dans les centres de commandement de l’OTAN, selon laquelle «l’Allemagne doit réapprendre à faire la guerre», aurait suscité le cri d’horreur unanime de l’opinion publique. Mais aucune opposition perceptible ne s’est manifestée, ni en Allemagne, pays modèle de l’UE, ni en Suisse, récemment à la traine en matière de politique étrangère, ni malheureusement en Autriche, autrefois souvent plus alerte sur ce point. Au contraire, le message belliqueux, lancé au monde par une Allemagne fière de son armée à «citoyens» a été récemment confirmé sous une forme encore plus agressive par le ministre allemand de la Défense en exercice, disant en public  que l’Allemagne se devait de retrouver à son «aptitude à la guerre».1

Court intermède de réflexion

Il en était autrement autrefois. Enfants, nous avions encore grandi sous l’influence des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, dont nous avons beaucoup entendu parler à la table du foyer familial, et plus tard à l’école. On tenait pour acquis que la guerre, en tant que moyen de résoudre les conflits internationaux, s’était avérée dans l’histoire récente un moyen désespérément obsolète et inefficace. Les guerres transforment les peuples en ennemis. Cette rigueur mentale a ensuite été largement perdue pendant la guerre froide. Aujourd’hui, il est prouvé que les racines de la Seconde Guerre mondiale étaient déjà en germe dans le «Traité de paix» de Versailles à la fin de la Première Guerre mondiale, en 1918. Si l’intention réelle d’un traité de paix est d’affaiblir durablement l’adversaire, les chances d’une paix durable sont minces. On l’a vu 15 ans plus tard, lorsqu’Hitler a pris le pouvoir en Allemagne pour ensuite engager l’Allemagne, en un temps record, dans son programme de deuxième guerre mondiale. Pendant la longue guerre froide, le nouveau concurrent des Etats-Unis, la nouvelle puissance mondiale à partir de 1945 s’est appelé la Russie. Elle l’est restée, même lorsque la guerre froide (froide uniquement en Europe, chaude en raison des innombrables incendies attisés des Etats-Unis dans le monde entier, du Vietnam à l’Afghanistan) a atteint sa fin par la chute du système communiste en URSS. La guerre froide fut presqu’aussitôt remplacée par la campagne des Etats-Unis contre des «Etats voyous» et appelés officiellement des Etats «terroristes». Et aujourd’hui, c’est la Chine qui est visée par les ambitions de domination mondiale des Etats-Unis, idée fixe qui hante certains cercles bellicistes états-uniens à ce jour. Qu’en est-il de la paix mondiale gravement menacée? Pour sortir de cette dangereuse partie de poker de mensonges, dans laquelle le doigt est toujours posé sur le déclencheur de la frappe d’anéantissement nucléaire (qui touchera alors tout le monde), il faut un changement radical des idées de base. Heureusement, ce changement mental est partagé par des analystes politiques intrépides, par des hommes et des femmes politiques perspicaces et, lueur d’espoir, de  gouvernements d’autres pays, parmi eux, ceux jouissant d’un grand respect international, par exemple la Chine.

«Plus jamais la guerre!»

Récemment, dans ces colonnes mêmes, on a rappelé que l’ONU, peu de mois après la fin de la Seconde Guerre mondiale, a fondé également sa sous-organisation Unesco (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization), ceci en partant du constat que les guerres et la disposition à la guerre naissent avant tout de la dimension psychique innée au genre humain.
    Aussi le préambule de sa Convention stipule-t-il: «Les gouvernements des Etats parties à la présente Convention, au nom de leurs peuples, déclarent que, les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix.» Et encore: [ils déclarent ] … que la grande et terrible guerre qui vient de finir a été rendue possible par le reniement de l’idéal démocratique de dignité, d’égalité et de respect de la personne humaine et par la volonté de lui substituer, en exploitant l’ignorance et le préjugé, le dogme de l’inégalité des races et des hommes […].»2
    L’objectif principal de l’Unesco était et demeure toujours de soutenir la «défense de la paix» par des mesures ciblées. Elle pensait en premier lieu à la jeune génération, et donc aux écoles.

Diriger les forces intérieures vers la paix
est un objectif indispensable de l’école

Eliane Perret, psychologue, pédagogue et directrice d’école expérimentée, écrit à ce sujet dans l’article susmentionné: «Il faut enfin engager une réflexion sérieuse de notre part sur la manière dont nous créons, chez les enfants et les jeunes, une réticence face aux tentatives de les faire instrumentaliser pour la violence et la guerre. La nature sociale de l’enfant est de notre côté. Un tel effort désigne en même temps la tâche qui nous attend. Surtout dans ces temps difficiles que vit l’humanité dans la situation mondiale actuelle!»
    L’auteure, qui peut s’appuyer sur toute une vie d’expérience accumulée, montre à l’aide d’exemples que l’éducation à la capacité de paix est un devoir de l’enseignement primaire humaniste dans une démocratie. Les enfants sont réalistes, ils aiment réfléchir aux questions de la vie, bien sûr sous une forme adaptée à leur âge. C’est ce que les programmes scolaires, jetés comme désuètes par-dessus bord chez nous, appelaient d’antan «l’éducation des forces émotives». Le chant, les poèmes appris par cœur, les sorties pédagogiques dans la nature en faisaient partie et, surtout, le dialogue de tous avec tous, entretenu en permanence dans la classe par l’enseignant, formé à cet effet. Le livre récemment publié par Eliane Perret en collaboration avec Rüdiger Maas, intitulé «Wie ich mit Kindern über Krieg und andere Katastrophen spreche » (Comment parler avec nos enfants de guerre et autres catastrophes)3, est un véritable trésor d’informations sur la manière dont cela peut se faire dans les conditions actuelles.

Autres catastrophes …

Les catastrophes naturelles ont toujours existé. Mais elles prennent souvent un essor dramatique supplémentaire du fait des guerres. Plus récemment, les éboulements, les coulées de boue et les inondations se sont multipliés, alternant avec d’amères périodes de sécheresse. Ses conséquences sont particulièrement pénibles dans les pays moins développés. Dans le monde non occidental, plus touché encore, de plus en plus de voix s’élèvent pour parler là aussi d’injustice. Les pays qui, en tant qu’anciennes colonies, n’ont pas atteint le niveau égal face à l’économie occidentale, ressentent comme un double fardeau le fait de devoir compenser, en plus de leur endettement souvent élevé, des inconvénients majeurs, sont souvent liés à l’exploitation abusive de leurs ressources.
    Réchauffement de la planète, décarbonisation, croissance zéro des gaz à effet de serre, neutralité climatique et atteinte ou non des objectifs «climatiques mondiaux» ambitieux, tous ces termes feront bientôt à nouveau la une des médias internationaux, en plus des gros titres guerriers. Du 30 novembre au 12 décembre 2023, se tient à Dubaï (EAU) la 28e Conférence mondiale de l’ONU sur le climat, abrégée «COP28». Pour la première fois, cette conférence a été précédée d’un sommet des plus hauts dignitaires religieux (Faith Leaders) du monde entier. Comme indiqué dans le préambule de l’appel de Jeffrey Sachs (voir l’édition actuelle, page 1), les chefs spirituels de différentes confessions ont appelé l’humanité entière à se pencher sur la question du changement climatique et de ses conséquences dans un esprit de paix et de coopération.
    Le secrétariat de la conférence de l’ONU sur le climat se trouve à Berlin. En amont de la conférence de Dubaï, le Ministère des Affaires étrangères du gouvernement fédéral allemand a invité à un «briefing» sur les buts de la conférence. Ils ne se trouvent guère dans le sillon de l’esprit de la paix mondiale et de la coopération dont font appel les dignitaires religieux, mais dans celui du dogmatisme vert. Dans sa prise de position à cette occasion, Annalena Baerbock (Les Verts) a notamment insisté sur les objectifs de Paris visant à «réduire les émissions de gaz à effet de serre à zéro net d’ici 2050».4

Désigner les «coupables» ne suffit pas
pour entamer réellement la question climatique

Baerbock sait d’avance qui doit être considéré comme maîtres pollueurs, priés avec insistance de passer à la caisse lors de la prochaine COP28. Dans son optique, il s’agit en particulier de la Chine et des Etats du Golfe. Comme l’a dit Baerbock, «historiquement», ils feraient «partie des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre».
    Les Verts continuent donc de provoquer des querelles et des disputes. Or, attiser les querelles et les accusations ne résoudra pourtant rien, ni le problème mondial de l’échauffement de notre planète, ni celui de la paix mondiale. Pratiquer le «je sais tout» n’aide en rien les peuples les plus touchés par les catastrophes environnementales. Elles sont nourries par l’esprit profond d’arrogance. Jeffrey Sachs désigne l’esprit hautain et excluant «les autres» comme le principal problème de notre monde déchiré. En tant qu’attitude ainsi que du concept de notre monde unique, l’arrogance est un lourd héritage du colonialisme et donc maladie héréditaire européenne. Cette aberration a divisé, dès qu’elle existe, les peuples du monde en deux parties: les élites et les masses. Son idée directrice n’a fait qu’ouvrir grandement les fenêtres vers le racisme de façon simpliste et brutale: le monde se divise en dirigeants nés et en serfs nés. En revanche, la charte de l’ONU proclame: «Tous les hommes naissent libres et égaux en droits». Pourquoi? Parce qu’ils sont des êtres humains.
    Et puisque les Verts au pouvoir en Allemagne nous parlent de «responsabilité géostratégique» et de péchés climatiques historiques, une question se pose, face aux attitudes vas-t-en guerres affichées par Baerbock et consorts: Quelqu’un a-t-il tenté une seule fois d’extrapoler (outre les dégâts humains, industriels et sociaux) les dégâts écologiques des nombreuses interventions armées des Etats-Unis depuis 1945 – la plupart en violation flagrante du droit international, dont notamment les guerres d’agression contre la Yougoslavie, le Soudan, la Libye, l’Afghanistan, l’Irak, pour ne citer que les plus récentes? Dans au moins trois cas (Yougoslavie, Irak, Afghanistan), l’Allemagne a activement soutenu ces guerres illégales et porte donc une lourde responsabilité face aux dégâts, humains, culturels et environnementaux. Où, pensent les combattants de l’air pur et de la décarbonisation, se dissiperont bien les substances nocives des millions de tonnes d’explosifs, sinon dans la terre et l’atmosphère? Et que leur dit leur conscience environnementale face aux munitions à l’uranium appauvri, extrêmement cancérogène comme nous en instruit, entre autres, l’interview du professeur Srdan Aleksić publié dans cette éditon de Horizons et débats?(p.5) C’est d’ailleurs ce genre de munition qui est à nouveau utilisée en Ukraine.

Venir à bout avec les grandes crises humaines
présuppose l’esprit de la participation

Or, là aussi, le monde est divisé par une idéologisation précoce du débat. Là aussi, c’est la prise de position rapide, l’attribution des responsabilités qui prévaut. Sans l’effort principal d’atteindre une vision d’ensemble du problème, les autres seront voués à l’échec. Notre monde unique ne se sauve tant qu’un pays ne voit pas d’autre solution que la disparition de «son» ennemi. Autrefois déjà, les empires mondiaux étaient le fruit de la mégalomanie de leurs élites. Aujourd’hui, face à la menace d’une attaque nucléaire, la quête d’hégémonie militaire d’une puissance mondiale relève de la folie galopante tout court.
    L’intervention de Jeffrey Sachs lors de la pré-conférence d’Abou Dabisur la COP28 met en lumière l’arrière-plan profond de chaque problème mondial actuel, donc aussi de son réchauffement. Sachs, lui aussi, voit le danger de guerre principal dans nos âmes, alimentées par les péchés originaux actuels que sont l’arrogance, la jalousie, la cupidité et l’incapacité à reconnaître les faux prophètes (belligérants). Ainsi, Sachs dénomme implicitement les forces curatives, de nature psychique elles aussi: au lieu de l’arrogance, la modestie; au lieu de l’envie et de la cupidité, la joie de posséder ses propres biens, acquis de manière décente, et la satisfaction de voir que «les autres» jouissent du même droit de posséder eux-aussi; au lieu de la belligérance et de la volonté de domination, l’échange pacifique des biens et des connaissances acquis – en un mot: la coopération. L’aptitude primordiale première de la coopération, inscrite dans l’évolution de l’être humain, nous a fait survivre aux catastrophes d’antan. Face aux nouvelles, la coopération est plus crédible que la folie guerrière.

1 v. Müller, Karl-Jürgen. «Que faire lorsque la guerre fait rage?», ds: Horizons et débats, no 24 du 21/11/2023
2 v. Perret, Eliane. «La guerre n’est pas un mal inné à l’humanité»,ds: Horizons et débats, no 22 du 25/10/2023
3 Perret, Eliane et Maas, Rüdiger. «Wie ich mit Kindern über Krieg und andere Katastrophen spreche»; ISBN978-3-96890-115-2 
4 Bundesrepublik Deutschland, Auswärtiges Amt: Rede der Aussenministerin Annalena Baerbock zur Eröffnung des Briefings zur COP 28 «Globale Energiewende jetzt»;www.auswaertiges-amt.de 

 

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