hd. Environ trois semaines avant la 28e Conférence mondiale sur le climat (COP28), qui se tiendra cette année du 30 novembre au 12décembre à Dubaï, dans les Emirats arabes unis (EAU), plus de 200 représentants de haut niveau représentant de différentes religions du monde enier – entre autres des représentants du bahaïsme, du bouddhisme, du christianisme, de l’hindouisme, de l’islam, du judaïsme et du sikhisme – se sont réunis, les 6 et 7 novembre 2023, à Abu Dhabi avec des personnalités issues de groupes de populations indigènes, des scientifiques et des politiciens. L’objectif de la conférence était de donner une impulsion spirituelle mondiale sur le climat. Vingt-huit représentants de communautés religieuses ont adopté et signé une déclaration détaillée sur la protection du climat (Déclaration interreligieuse d’Abu Dhabi sur le changement climatique pour la COP28)1, qui va bien au-delà des questions techniques abordant des questions fondamentales. On y lit par exemple: «Nous reconnaissons les liens entre le changement climatique, les migrations et les conflits, et nous voyons le potentiel des personnes de foi en tant que ‹pacificateurs environnementaux›, qui s’efforcent de créer de la compassion et des voies de médiation dans les conflits.»
L’un des orateurs de cette conférence dont les représentants se dénommaient «pacificateurs» fut Jeffrey Sachs, directeur du groupe d’étude «Réseau de solutions pour le développement durable des Nations unies». Jeffrey Sachs est connu de nos lecteurs comme ambassadeur de la paix de renom international. Dans son discours du 6 novembre2, documenté dans son intégralité ci-dessous, il est également question de la paix – et du lien intime qui existe entre une politique orientée vers la paix et la protection de l’environnement naturel.
Nous sommes confrontés
à la plus grande épreuve de l’humanité
Votre Sainteté, Éminences, Excellences, Mesdames et Messieurs, Nous sommes confrontés à la plus grande épreuve de l’humanité: vivre en paix dans un monde durable sur une planète surpeuplée et interconnectée. Cette épreuve, nous sommes en train de la perdre. Le monde est en proie aux conflits. Les destructions environnementales causées par l’homme s’accélèrent. La température sur Terre est aujourd’hui la plus élevée qu’elle l’a été depuis 125000 ans.
Je condamne les hommes politiques, en particulier ceux des pays riches et puissants. Au moment même où nous aurions besoin que les dirigeants du monde entier se penchent sur la crise climatique en prévision de la COP28, nous sommes au contraire plongés dans une guerre dévastatrice au Proche-Orient.
Bien qu’il ait déjà causé la mort de 10000 civils innocents à Gaza, le gouvernement israélien rejette les appels au cessez-le-feu lancés par la communauté internationale. Israël commet des crimes de guerre, assiège Gaza tout en bombardant des hôpitaux, des ambulances, des écoles et des quartiers, et provoque un véritable carnage.
Le gouvernement des Etats-Unis, pour sa part, oppose son veto aux appels du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale des Nations unies en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza, prolongeant ainsi les ravages causés par Israël. En outre, alors même que la guerre fait rage à Gaza, les Etats-Unis poursuivent leur tentative inconsidérée d’élargir l’OTAN à l’Ukraine, en dépit des vigoureuses protestations de la Russie. Il en résulte une guerre par procuration entre les Etats-Unis et la Russie qui détruit complètement l’Ukraine.
Les hommes politiques des grandes puissances, en particulier la mienne, nous ont entraînés dans des guerres dont les peuples ne voulaient pas et ont retardé les mesures de lutte contre le changement climatique au point que ce dernier met en péril notre survie. Par leur incessante corruption, les politiciens ont ruiné les efforts de milliards de personnes.
Pour quelles raisons agissent-ils ainsi? Les réponses sont tout aussi anciennes qu’elles sont adaptées à la réalité d’aujourd’hui.
On pèche d’abord par arrogance. Netanyahou croit que lui et lui seul est en mesure de décider de la vie et de la mort à Gaza. Il estime qu’il n’a pas besoin de négocier avec qui que ce soit, et surtout pas avec les Palestiniens. Il se méprend totalement sur ce qui constitue la clef de la véritable sécurité pour Israël, qui passe par la justice et non par la guerre.
Vient ensuite le second péché, l’appât du gain. Nombre de nos guerres sont motivées par la recherche du profit, mais elles détruisent des richesses bien plus considérables que celles résultant de la conquête.
La corruption occupe la troisième position. Les campagnes des membres du Congrès américain sont financées par la machine de guerre américaine, c’est-à-dire par des multinationales qui ont conclu des contrats d’armement pour des centaines de milliards de dollars, pour lesquelles la guerre est une affaire et pour lesquelles les contributions aux campagnes sont le moyen d’encourager la poursuite des conflits.
Et le quatrième péché, c’est l’hérésie. Les hommes politiques sont à l’écoute de faux prophètes qui proclament que leurs nations sont les souveraines naturelles des autres. Qui donc a dit au Président Biden que les Etats-Unis étaient le pays «indispensable»? Ce n’est pas le cas. Ils ne sont qu’un pays parmi 193 autres. Ils ne représentent que 4,1% de la population mondiale. Le monde n’a pas besoin du leadership des Etats-Unis, par contre le monde a besoin de la coopération pacifique des Etats-Unis.
Cela fait plus de 40 ans que je suis engagé dans le conseil politique. Je peux vous dire la cruelle vérité. Les nations riches et puissantes croient qu’elles peuvent dominer le monde par la ruse. Les Etats-Unis ont participé à des dizaines d’opérations secrètes visant à renverser les gouvernements d’autres pays, dont 64cas bien documentés d’opérations secrètes de changement de régime au cours de la seule période 1947–1989. Au cours des 20 dernières années, les Etats-Unis ont renversé des gouvernements en Afghanistan, en Haïti, en Irak, en Libye et en Ukraine, pour ne citer que quelques exemples. En 2011, le président Barack Obama aordonné à la CIA de renverser Bachar el-Assad, ce qui a conduit à une guerre prolongée en Syrie qui a fait un demi-million de morts.
Il faut mettre fin à ce bellicisme et à ces mensonges incessants.
Nous devrions nous conformer aux paroles du prophète Isaïe et transformer les épées en socs de charrue. Avec l’aide des technologies d’aujourd’hui, nos socs de charrue et nos serpes modernes seraient suffisamment puissants pour mettre fin à la faim dans le monde, pour nourrir l’ensemble de l’humanité et pour protéger l’environnement.
La guerre à Gaza doit immédiatement prendre fin, avant qu’Israël ne commette d’autres carnages et que nous ne nous retrouvions dans une guerre régionale. Israël ne trouvera sa véritable sécurité que dans la paix, et seulement dans la paix, avec la Palestine. Lorsque la Palestine sera en sécurité au sein de son propre Etat, avec sa capitale à Jérusalem-Est et le contrôle des lieux saints musulmans, Israël retrouvera lui aussi la sécurité et la paix, et la vision d’Isaïe se réalisera.
La guerre en Ukraine peut également prendre fin et le fera lorsque les Etats-Unis renonceront enfin à étendre l’OTAN à l’Ukraine et s’engageront directement avec la Russie sur des questions urgentes de sécurité mutuelle, notamment en relançant la diplomatie en faveur du désarmement nucléaire.
Votre Sainteté, Excellences, malgré les péchés des riches et des puissants, il y a de l’espoir pour la paix. Oui, il y a de l’espoir. Et vous êtes porteurs de cet espoir.
A une écrasante majorité, l’opinion publique mondiale réclame la paix. Vous, les chefs religieux du monde, demandez la paix et priez pour elle! Les Etats membres des Nations unies réclament massivement la paix, même si Israël et les Etats-Unis ont jusqu’à présent ignoré les appels lancés par la grande majorité des Etats membres des Nations unies en faveur d’un cessez-le-feu et d’une solution à deux Etats pour le conflit israélo-palestinien
Si le reste du monde faisait front commun en faveur de la paix, comme cela devrait être le cas, alors les Etats-Unis et Israël devront l’écouter et tenir compte de cet appel de l’humanité.
Dans son récent message mondial précédant la COP28, Laudate Deum3, le pape François appelle à un nouveau multilatéralisme, afin que les voix du monde entier soient entendues et que soient endiguées les manœuvres frauduleuses des puissants. Comme l’a écrit le Saint-Père: ‹Notre monde est devenu à la fois si multipolaire et si complexe qu’un nouveau cadre de coopération efficace s’impose. […] Tout cela suppose l’élaboration d’une nouvelle procédure de prise de décision et de légitimation de ces décisions, car celle qui a été mise en place il y a plusieurs décennies s’est révélée insuffisante et inefficace. Dans cette perspective, il faudrait impérativement prévoir des instances de dialogue, de consultation, d’arbitrage, de résolution des conflits et de contrôle et, en fin de compte, une sorte de «démocratisation» accrue du contexte mondial, afin que les différentes réalités puissent s’exprimer et être prises en compte.›
C’est pourquoi, ici à partir d’ Abu Dhabi, nous lançons un appel en faveur d’un dialogue franc et renouvelé entre les riches et les pauvres, entre les puissants et les sans-pouvoir, entre les nations les plus grandes comme les plus petites. Disons non aux guerres, oui à la paix et oui à la survie de la planète.
Entamons ce nouveau dialogue aujourd’hui même, ici, dans cette assemblée de dignitaires religieux, et dans les couloirs des Nations unies, la maison de ‹Nous les peuples›4 et le meilleur espoir de l’humanité pour un monde multilatéral et une planète durable.
Redisons aux dirigeants du monde, clairement et sans ambiguïté, ‹Vous devez faire votre travail, pour promouvoir le bien commun. Vous devez mettre de côté votre arrogance, votre cupidité, votre corruption et vos hérésies. Votre approche actuelle ne fonctionne pas, vous devez donc en changer›.
Mais soyons clairs: il n’y a pas de pays indispensable. Seul la justice est indispensable. Et concernant la justice, tous les pays sont indispensables.
Je vous remercie pour cette rencontre. Puissions-nous trouver dans le monde entier l’amour et le respect de nos semblables dont nous avons si urgemment besoin. •
Notes de l’éditeur:
1 dans l’original anglais: https://www.partner-religion-development.org/global-faith-leaders-summit-interfaith-statement-for-cop28/;
2 dans l’original anglais: https://www.newsmania.co.in/2023/11/17/jeffrey-sachs-speech-to-religious-leaders-at-the-pre-cop28-faith-leaders-summit-abu-dhabi-november-6-2023/;
3 Le pape François avait publié l’exhortation apostolique Laudate Deum en prévision de la conférence mondiale sur le climat. Début novembre 2023, il a annoncé sa participation à la conférence mondiale sur le climat. Il est ainsi le premier pape à participer à une conférence sur le climat.
4 La Charte des Nations unies commence par la phrase suivante: «Nous, peuples des Nations unies – fermement résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre […]».
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