«En guerre, la première victime est la vérité»

Trente ans de guerre sanglante pour les matières premières dans l’est du Congo

par Peter Küpfer

Le 9 décembre 2024, la cour d’appel de Paris a sanctionné un chercheur et auteur émérite de parenté camerounaise, jugement basé sur tout sauf les faits importants. Ses ouvrages de fond, bien documentés, démontrent depuis des années que la minorité tutsie rwandaise, sous le régime de fer de Paul Kagame, fait tout pour enjoliver la véritable histoire de la catastrophe rwandaise de 1994, ses causes et ses conséquences. Le gouvernement de Kigali se présente ainsi, malgré des déficiences démocratiques évidentes, comme un sauveur qui, en prenant le pouvoir au dernier moment, aurait mis fin aux massacres. Mais la réalité n’était pas aussi noble que les texte font croire dans ses fibules et ses inscriptions gravées sur les entrées  des mémoriaux faisant les homélies du gouvernement tutsi installé précairement – depuis trente ans.

Les jours du procès du  verdict ont été suivis avec beaucoup d’intérêt, notamment en Afrique. L’accusé et désormais «officiellement» dénigré, Charles Onana, y est bien connu pour ses livres minutieusement documentés. Ces dernières années, il a publié à plusieurs reprises des livres fondés sur la crise permanente dans l’est du Congo. Dans des livres plus récents, il a documenté encore mieux ses doutes quant à l’histoire officielle du Rwanda en accédant à des documents d’archives jusqu’alors inconnus. Le bras long de Kagame l’a désormais touché. Des cercles français de la «culture woke» (des militants plutôt jeunes présumément anti-racistes selon les concepts généralisants importés des Etats-Unis désignant comme «fasciste» celui ou celle qui ne partage pas ou partiellement seulement leurs vues souvent manichéennes et dépourvues  d’analyses sérieuses dans chaque cas). Ces cercles proches de Kagame, avec leur concept flou de racisme, ont porté plainte avec succès contre Onana et son éditeur. Onana «nierait» dans son livre «Rwanda, la vérité sur l’Opération turquoise»1, paru en 2019, «le génocide rwandais», le «relativiserait» et «porterait ainsi atteinte aux sentiments des familles des victimes». La Cour d’Appel a donné raison à l’accusation sur tous les points et a infligé à l’auteur des amendes considérables. Quiconque a déjà lu ne serait-ce qu’un seul livre d’Onana mesure l’absurdité de ce jugement.

Onana n’est pas un «négationniste»

Onana ne nie pas que de massifs massacres ont eu lieu à l’époque (au Rwanda entre le 6 avril et le 15 juillet 1994) et que des centaines de milliers de personnes en ont été victimes. S’appuyant sur des recherches approfondies, il insiste toutefois sur trois faits inébranlables. Lors du «génocide rwandais» de 1994, toujours présenté en version occidentale comme un massacre des Tutsis par des Hutus, il y a eu parmi les victimes également de très nombreux Hutus assassinés par des groupes de Tutsis. Ensuite, les troupes de Kagame elles-mêmes ont perpétré des massacres comparables contre les Hutus avant, après et pendant les «100 jours du Rwanda». Enfin, selon Onana, c’est négliger gravement les véritables raisons de la catastrophe de l’époque que de la qualifier exclusivement de conséquence du prétendu «racisme». C’est pour ces raisons que l’opinion publique africaine critique et informée parle avec indignation d’un jugement embarrassant. L’auteur, désormais violemment attaqué en Occident par les grands médias, a immédiatement déclaré qu’il ferait appel du jugement.

Tout tourne autour
des richesses minières convoitées

Comme pour tous les excès de violence guerrière, la clé de la compréhension réside, ici aussi, dans les faits précédents. Au printemps, l’UE a signé avec le Rwanda un pacte de préférence qui, si l’on décrypte un peu le jargon juridique, vise principalement à garantir à l’Europe de l’UE un approvisionnement à long terme en matières premières «critiques». En l’occurrence, il s’agit avant tout de la tantalite, une matière rare et très recherchée dans le monde entier. Sans tantalite, l’industrie moderne de l’armement n’est plus que ferraille. En raison de son extrême conductivité et de sa résistance à la chaleur, la tantalite est indispensable à la fabrication d’appareils informatiques, de téléphones portables et surtout d’ordinateurs puissants (y compris les consoles de jeux vidéo), mais aussi de drones, de missiles téléguidés et de technologies spatiales, sans oublier les gaines de protection des réacteurs nucléaires. La tantalite est rare dans le monde. Elle se présente le plus souvent sous la forme d’un composé minérais appelé «coltan» (colombo-tantalite) d’où il faut ensuite extraire la tantalite.

Le Rwanda est le leader mondial du
marché de la tantalite – sans avoir une seule mine

Le Rwanda ne possède toutefois aucune mine dont l’exploitation serait rentable. Malgré cela, le petit pays est aujourd’hui le leader mondial du marché du coltan. En revanche, l’est du Congo, en particulier le Nord-Kivu, est parsemé de mines de coltan, dont on extrait la tantalite. Le coltan est souvent extrait à ciel ouvert et le travail des enfants est presque partout la norme. Pour de nombreux habitants qui n’ont pas encore été déplacés dans cette région en guerre depuis trente ans, c’est la seule maigre source de revenus. Beaucoup de ces sites d’extraction improvisés sont occupés depuis des décennies par des groupes de mercenaires anonymes. Ils s’appellent eux-mêmes, par tromperie délibérée, des «groupes rebelles»; en réalité, il s’agit principalement de mercenaires étrangers au service de consortiums internationaux de matières premières, dont beaucoup sont dirigés par les Américains. Le plus important d’entre eux est l’armée privée sous la désignation «M23». De l’avis unanime de tous les experts critiques, le groupement armé connu pour sa brutalité envers la population civile du Nord-Kivu est équipé et utilisé par le Rwanda. Beaucoup parlent dans ce contexte du «bras armé du Rwanda dans l’est du Congo».

De la malchance d’avoir
des richesses économiques dans son territoire

Selon Human Rights Watch, la guerre ininterrompue depuis 28 ans pour les «ressources économiques  stratégiques» dans l’est du Congo a entre-temps fait près de 10 millions de victimes humaines (dix millions!) dont une majorité de civils, en grand nombre des femmes et des enfants. Selon les termes de Charles Onana, il s’agit d’une guerre permanente entre la République démocratique du Congo et son voisin nain, le Rwanda, très bien équipé et doté d’une armée de 120000 hommes.
    L’armée congolaise n’a guère de chance face à l’occupation permanente d’armées fantômes dirigées par le Rwanda. Ces derniers mois, les rapports alarmants en provenance de l’est du Congo faisaient état d’attaques de la bande de mercenaires du «M23» en direction de Goma. Partout où il apparaît, le M23 déclenche la panique et des mouvements de fuite sauvages. Des souffrances indicibles de réfugiés ont été signalées cet automne dans la région de Goma, avec une concentration dans la ville voisine de Sake. Pourquoi cette initiative?
    Avec cette avancée concentrée sur le voisinage situé au nord-ouest de Goma, le «M23» détient désormais la plus grande mine de coltan du Congo, la mine de Rubaya. Elle se trouve dans les collines riches en coltan entre Goma et Sake, là où les tirs de roquettes et d’artillerie ont régné pendant des semaines, cet automne, avec des cibles essentiellement civiles. Elles ont été entre-temps vidées de leurs habitants. La tantalite extraite dans l’immense zone d’extraction de Rubaya rapporte 300000 dollars par mois aux occupants et ainsi, depuis peu, par le biais du M23, au Rwanda. Selon Radio France inter, Ribaya couvre à elle seule 15% de la production mondiale de tantalite. Les femmes et les enfants continuent de transporter les lourds sacs sur leur dos jusqu’au prochain point de collecte en empruntant des chemins de montagne souvent impraticables, escarpés et détrempés par la pluie. Sous régie congolaise, un mineur adulte était rémunéré de 1 dollar américain pour 14 heures de travail pénible dans les mines, les fréquentes ruptures de galeries restant à ses risques et périls. Ces conditions se seraient-elles améliorées sous le patronage rwandais? Les exactions des groupes «rebelles» sont commises quotidiennement, la misère des réfugiés reste une constante. On ne parle pas de la souffrance de l’Est du Congo. Lorsqu’elle devient évidente, on détourne vite le regard. C’est ce que les «familles» mafieuses caractérisent par le terme italien «Omertà»: Tu n’as rien entendu, tu n’as rien vu, tu ne dis rien – sinon ...

La «loi du silence»
favorise les crimes contre l’humanité

Depuis des années, des analystes, historiens et politologues courageux dévoilent la construction mensongère rwando-américano-européenne, parmi lesquels des Africains courageux à mort. Charles Onana fait clairement partie de cette légion d’honneur dans cette sale guerre économique. Son livre, désormais «banni» par la décision du tribunal de Paris, est un autre ouvrage important dans le cadre de la laborieuse reconstruction des réalités.
    Le thème du printemps sanglant rwandais de 1994 et de ses conséquences a déjà été abordé en détail par le passé par Horizons et débats.2 Onana ne nie en aucun cas les  massacres commis au Rwanda en 1994. Mais il montre et justifie, faits et documents à l’appui, que lors des massacres de 1994 au Rwanda, ce ne sont pas seulement des membres de la population tutsi qui ont été tués, mais aussi des Hutu et des Twa. Onana en conclut que les massacres étaient réciproques et que si l’on considère toutes les victimes du côté hutu, leur nombre égalisait ou fut même supérieur à celui des victimes du côté tutsi. En plus, les forces armées de la guerre civile (déclenchée par Kagame) du FPR (armée privée, privilégiée et équipée par les Etats-Unis, bientôt sous le commandement du jeune Kagame) avaient systématiquement commis des crimes horribles contre la population civile hutu lors de la guerre qu’elles avaient menée contre leurs propres compatriotes, de 1990 à 1994. Les hommes des habitations reconquises, majoritairement peuplées de Hutus, ont souvent été exécutés en masse, les femmes et les enfants capturés. Onana en témoigne, dans d’autres de ses analyses, confirmées d’autres auteurs renommés qui en témoignent également, y compris dans le «Rapport Mapping» de l’ONU, désignant les noms des auteurs d’atrocités, les données et les faits à la disposition de toute personne intéressée sur Internet (Mapping Report A/HRC/25/53, en anglais et en français).
    La procureure en chef suisse du Tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha, Carla Del Ponte, avait en main des preuves prêtes à en ouvrir des procès concernant treize massacres, donc des crimes graves contre l’humanité, commises sous l’ordre des officiers supérieurs de l’armée tutsie de guerre civile (FPR). Sur la plus haute intervention du Président américain (Carter), chacun de ces procès fut annullé. Lorsqu’elle s’y est opposée, son mandat n’a pas été renouvelé (voir encadré). De plus, en prenant le pouvoir rwandais en juillet 1996 par les armes, le FPR n’avait en aucun cas mis un terme aux tueries des «Cent jours» du 6 avril à la mi-juillet 1994 au Rwanda, comme Kagame l’affirme à chaque occasion. Ses troupes avaient encerclé la capitale de Kigali depuis des semaines, mais ont laissé les massacres suivre leur cours pendant de longues semaines.
    Si Kagame n’engage que maintenant des poursuites judiciaires contre Onana, précisément contre ce livre paru en 2019 déjà et aucun autre, ce n’est pas parce qu’il souhaite rendre justice aux victimes tutsies. C’est au contraire une tentative de faire taire une voix qui nomme et documente les terribles antécédents et les circonstances exactes de la catastrophe de 1994. Onana a révélé les responsabilités du gouvernement rwandais dans de nombreuses études. Le fait que le Rwanda prenne justement prétexte du livre de 2019 pour ternir sa réputation a des raisons purement tactiques. Dans le dernier livre d’Onana, Holocauste au Congo (2023, ISBN 9782810011452), il expose sur 480 pages qu’il existe aujourd’hui un holocauste de la population civile de l’est de la RDC, dans lequel les mercenaires dirigés par le Rwanda et leurs fournisseurs anonymes en Occident portent une lourde responsabilité. Cependant, là aussi la Commission européenne, dans son aveuglement, a conclu des accords de sang avec ce gouvernement qui est au courant de tout ce qui n’est pas dit, mais l’occulte – se comportant en receleur.

1 Onana, Charles. La Vérité sur l’Opération Turquoise. Quand les archives parlent, L’Artilleur, 2019, ISBN 2810009171, édition française disponible à la Fnac Suisse.
2 «Les Etats-Unis misent sur la carte rwandaise; Congo – kleptocratie sans fin? partie IV», ds.: Horizons et débats, n° 3 du 06/02/2018; «Le conflit sans fin qui affecte le Congo oriental est basé sur un tissu de mensonges», ds: Horizons et débats n° 9 du 6/05/24

Les Etats-Unis ont bloqué l’action de la procureure en chef Carla Del Ponte

«Pour le dire très clairement – nous n’avons pas pu enquêter sur les Tutsis parce que le gouvernement dominé par les Tutsis, dont le Président, Kagame, en son temps l’un des pires commandants du FPR, nous en ont systématiquement empêchés – mais surtout parce que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont soutenu les Rwandais dans leur refus de notre démarche.
   Alors qu’il avait coopéré lors de la procédure d’enquête sur les meurtres commis par les Hutus, Kagame a cessé toute coopération dès qu’il s’est agi des massacres commis par les Tutsis. Et il s’en est sorti grâce à ses amis américains et britanniques, bien qu’il soit tenu de coopérer en vertu du statut. [...] Je regrette que par leur faute, le Tribunal rwandais n’ait jamais pu travailler de manière vraiment indépendante et remplir son devoir envers les victimes de l’autre camp ».

Extrait tiré de l’autobiographie de Carla Del Ponte: Ich bin keine Heldin. Mein langer Kampf für Gerechtigkeit (Je ne suis pas une héroïne. Mon long combat en faveur de la justice); Frankfurt/Main 2021, p. 84 et suivante)

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