Politique agricole suisse: une question touchant à la sécurité et à l’indépendance du pays

Politique agricole suisse: une question touchant à la sécurité et à l’indépendance du pays

Interview de Rudolf Joder (UDC), conseiller national et président de l’Association pour une agriculture productive

Horizons et débats: Pourquoi faut-il une initiative parlementaire à côté de l’initiative populaire fédérale pour renforcer la production agricole nationale?

Rudolf Joder: Si nous voulons limiter le processus de réduction de l’agriculture suisse et maintenir une agriculture indépendante, il nous faut absolument une meilleure protection contre l’importation de produits agricoles étrangers. La Suisse est le pays important le plus de produits alimentaires par habitant au monde. C’est vraiment au détriment de l’agriculture suisse qui doit produire à un coût plus élevé et n’arrive donc pas à concurrencer les produits étrangers bon marché. Par conséquent, en complément à l’initiative populaire, il est nécessaire de fixer dans la Loi sur l’agriculture une disposition prévoyant la protection de l’agriculture et la limitation des importations de produits agricoles lors de futures négociations d’accords de libre-échange. Cela signifie une restriction des compétences de négociation du Conseil fédéral avec les pays étrangers. Je m’attends à un effet préventif efficace.

Quelles sont les compétences du Conseil fédéral dans ce contexte?

Aujourd’hui, la situation juridique est telle que le Conseil fédéral peut négocier en toute liberté. Le Parlement ne peut plus que dire oui ou non aux accords en question. Malheureusement, lors de nos négociations sur les formulations du texte constitutionnel de l’initiative populaire, l’Union suisse des paysans ne voulait pas introduire de passage demandant une meilleure protection contre les importations agricoles. C’est pourquoi je suis amené à atteindre ce but à l’aide d’une initiative parlementaire demandant une révision partielle de la Loi sur l’agriculture.

Qu’est-ce qui devrait changer concrètement?

Le but de l’initiative parlementaire est d’empêcher une réduction du taux d’autoapprovisionnement alimentaire. Au cours des dernières années, celui-ci a constamment diminué en raison de l’augmentation des importations. En garantissant les surfaces arables nécessaires, il s’agit d’atteindre qu’au moins 50% des produits alimentaires soient produits en Suisse. Ce taux est assez bas en comparaison internationale. Il s’agit également de la question de la sécurité, (et) de l’indépendance de la Suisse et donc de notre avenir: pouvons-nous, au moins partiellement, subvenir aux besoins de notre population avec une bonne agriculture productive?

Peut-on dire que les importations bon marché ont directement contribué à la réduction de l’autoapprovisionnement alimentaire?

Oui, et cela correspond aux buts et aux objectifs du Conseil fédéral disant que l’agriculture est une partie du système alimentaire mondial et que ce n’est pas le devoir de chaque Etat d’approvisionner individuellement sa population en nourriture.

Cela rappelle le débat sur l’armée suisse. On parlait de «sécurité collective», menant à la situation que l’Etat n’est plus en mesure de se défendre lui-même et de protéger ses citoyens. Donc, on se place dans une situation de dépendance totale. Comment analysez-vous cette approche du Conseil fédéral?

J’ai personnellement une vision fondamentalement différente. Je suis d’avis que les denrées alimentaires ne peuvent pas être comparées avec des produits industriels ou des produits chimiques. Il faut planter et produire là où l’on consomme. Ce principe devrait être valable dans le monde entier. Vu le développement actuel, l’agriculture dans les pays émergents et en développement est détruite par des importations bon marché de l’étranger, de sorte que les populations locales ne peuvent pas se nourrir suffisamment. Ce développement au profit des pays industrialisés et des multinationales de l’agroalimentaire doit être corrigé. C’est également l’opinion des milieux de gauche et des Verts. Voilà pourquoi ce principe a déjà par deux fois réuni une majorité au Parlement suite à des interventions parlementaires. On est d’avis que les pays émergents et en développement doivent pouvoir se nourrir eux-mêmes grâce à leur propre production agricole. On a également déclaré que cela n’avait aucun sens de transporter des denrées alimentaires de base 10-, 20- ou 30 000 kilomètres autour du monde. Cela crée d’énormes problèmes de pollution pour le transport de produits qui pourraient tout aussi bien être cultivés localement ou régionalement.

Le Conseil fédéral croit-il sérieusement au système alimentaire mondial ou y a-t-il d’autres raisons?

Apparemment, la stratégie du Conseil fédéral consiste à dire que l’avantage, par exemple pour l’industrie des machines ou de l’industrie chimique, dont les échanges internationaux de marchandises doivent être évalués sous d’autres aspects, se fait au détriment de l’agriculture. Mais il y a une différence fondamentale entre les produits chimiques ou industriels et les denrées alimentaires. Il est bien compréhensible que les pays échangent des produits industriels entre eux et qu’on produise là où les meilleurs matériaux sont disponibles et où la meilleure qualité est garantie. Mais pour les denrées alimentaires de base, nous avons une situation complètement différente. Il est absurde de renoncer à la culture céréalière en Suisse et d’importer des céréales de l’Inde. Il est également absurde de renoncer à la culture de pommes de terre en Suisse et d’importer des pommes de terre égyptiennes avec ses énormes problèmes d’eau. Le Conseil fédéral ne s’en est pas encore rendu compte.

En vous entendant, on a l’impression que le Conseil fédéral veut affaiblir la Suisse en tant qu’Etat souverain en n’offrant ni sécurité, ni sécurité de planification à l’agriculture.

Oui, c’est clair. La politique du Conseil fédéral est en opposition totale avec cette initiative en ce qui concerne le système mondial de l’alimentation et l’offre de produits de niche, et que la Suisse devrait produire seulement une petite partie elle-même en important les marchandises principales de l’étranger. Notre initiative populaire a pour but de parvenir en Suisse à une situation alimentaire aussi autonome que possible et de permettre de produire les denrées de base à l’intérieur du pays. Le transport des produits de base à travers le monde est insensé en termes de politique de développement et de pollution et affaiblit la sécurité et l’indépendance de la Suisse, aussi à l’avenir.

N’est-ce pas également la tentative de lier la Suisse plus fermement à l’UE et de laisser l’approvisionnement agricole à l’Allemagne ou à la France?

Je consens à cette thèse. Le Conseil fédéral cherche à intégrer la Suisse au niveau international ce qui restreint massivement notre indépendance, notre autodétermination et la gestion démocratique de notre ordre public. Par conséquent, il est nécessaire de corriger cette situation par une initiative qui sera forcément soumise au peuple.

Vous êtes président de l’Association pour une agriculture productive («Verein für eine ­produzierende Landwirtschaft» – VPL). Quels sont les buts de cette association?

L’association est née de la nécessité de lancer le référendum contre la Politique agricole 2014–2017 après notre défaite au Parlement. Un petit groupe d’hommes politiques a décidé de soumettre la Politique agricole 2014–2017 au peuple. Malheureusement, nous étions trop peu (de gens) pour récolter les 50 000 signatures nécessaires dans le délai imparti de 3 mois. Nous n’en avons atteint que 40 000. Nous avons donc décidé dans le même groupe de lancer une initiative populaire fédérale puisque nous aurons alors davantage de temps pour faire aboutir une telle initiative, c’est-à-dire de récolter 100 000 signatures en 18 mois. En termes d’organisation, cela devait être possible. En même temps, l’Union suisse des paysans discutait d’une initiative constitutionnelle, et au cours de trois réunions de négociations, nous avons finalement pu nous mettre d’accord sur un texte constitutionnel commun. C’est ainsi que l’initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire» est née. Le travail a eu pour conséquence la fondation de l’Association pour une agriculture productive (VPL). Maintenant, nous poursuivons notre objectif au sein de cette structure associative et essayons de trouver de nouveaux membres.

Quel est le but de l’association après que l’initiative populaire ait été déposée aujourd’hui?

La tâche principale de l’association est de soutenir et de promouvoir la nouvelle orientation politique de l’agriculture suisse vers la production. Il s’agit essentiellement de développer notre agriculture dans cette direction, par des mesures politiques à différents niveaux.

Toute personne de gauche devrait soutenir activement cet objectif pour éviter que les multinationales puissent s’enrichir encore davantage, notamment sur le dos des pays en développement et pour éviter que les marchés de ces derniers soient détruits, afin qu’ils puissent se développer; ce sont tous des sujets primordiaux pour la gauche. Il y a encore d’autres initiatives de gauche. Soutenez-vous également ces activités?

Les autres initiatives montrent l’actualité du sujet. Soudain, dans l’agenda politique la situation alimentaire est au centre de l’intérêt de divers groupes politiques. Cela a toujours un effet positif et représente certainement un soutien au débat politique concernant la mise en œuvre de l’initiative d’alimentation. Notre initiative aura le plus grand impact sur l’agriculture, donc je la considère comme prioritaire. Il est évident que la coopération et les discussions communes sont non seulement très importantes dans le processus politique, mais aussi avec les groupes de gauche et les Verts.

Quelle est l’influence de l’UE sur la politique agricole?

Nous combattons très clairement un accord de libre-échange agricole avec l’UE. Cependant, cela n’est plus prioritaire après la votation du 9 février car le Conseil fédéral doit d’abord traiter les questions institutionnelles. Mais l’objectif d’un accord de libre-échange agricole entre l’UE et la Suisse n’est pour le Conseil fédéral que remis à une date ultérieure. Donc, nous devons rester prudents et vigilants et exercer une pression politique avec cette initiative.

L’ouverture prévue du marché laitier fait partie du même ordre d’idées.

Cela montre aussi que jusqu’à ce jour, le Conseil fédéral n’a pas encore pris connaissance de l’initiative «Pour la sécurité alimentaire» déjà déposée pour laquelle près de 150 000 signatures ont été récoltées en 5 mois. Rien n’a changé pour le Conseil fédéral, celui-ci continue à poursuivre sa politique et à tenir le cap comme si de rien n’était. Il est d’autant plus important que les associations et les citoyens continuent à faire pression. Moi, de mon côté, je le fais en ­lançant des initiatives et d’autres interventions parlementaires. Il faut utiliser le temps entre le dépôt de l’initiative et sa mise en œuvre. Si nous ne le faisons pas, il ne se passera presque rien et le Conseil fédéral pourra réaliser ses plans sans restrictions importantes.

M. Joder, je vous remercie beaucoup de cette interview.

(Interview réalisée par Thomas Kaiser)

Dépôt de l’initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire»

thk. C’était un moment très émouvant: malgré une pluie battante, de nombreux délégués de tous les cantons se sont rendus à Berne pour déposer les signatures recueillies à la Chancellerie fédérale. Des représentants de divers cantons ont présenté leurs spécialités agricoles qu’ils avaient chargées sur de petits chariots décorés avec amour et qu’ils tiraient derrière eux lors du cortège à travers la vieille ville de Berne. Enfants, jeunes et personnes âgées, portant solennellement les costumes traditionnels, étaient présents et attendaient malgré le vent et la pluie devant l’aile ouest du Palais fédéral. Encadrés de musique joyeuse, tout le monde voulait assister à l’acte souverain de la remise des signatures. Les 26 drapeaux des cantons ainsi que le drapeau suisse soulignaient l’atmosphère digne de cet acte politique. Un canton après l’autre a remis les boîtes avec les signatures recueillies au représentant de la Chancellerie fédérale. Près de 150 000 signatures authentifiées ont été récoltées en seulement 5 mois – un signal fort à l’adresse de la politique agricole du Conseil fédéral et en faveur du renforcement de l’agriculture nationale, car c’est exactement cela que veut atteindre l’initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire grâce à la production nationale» en proposant un amendement de l’article constitutionnel actuel. Le conseiller national Markus Ritter, président de l’Association suisse des paysans (USP), et le directeur de l’USP, Jacques Bourgeois, ont valorisé dans leurs interventions l’engagement et le grand soutien ainsi que l’importance internationale et nationale de cette initiative populaire. «Ensemble», a expliqué Markus Ritter, «nous pouvons gagner.»

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