Le canton de Thurgovie veut supprimer le français du programme scolaire de l’école primaire. Le conseiller fédéral Berset voudrait imposer, si nécessaire par le «haut», l’introduction du français en première langue étrangère dans nos écoles. Les médias se sont largement emparés de ces nouvelles ces dernières semaines et celles-ci ont été la source de différents articles, commentaires et courrier de lecteurs. Ainsi, une discussion sur l’enseignement précoce de langues étrangères a été entamée. Celle-ci avait déjà eu lieu, il y a environ 10 ans lors de son introduction. Récemment, une étude a été publiée à la demande de l’Association des enseignants schaffhousois; elle s’intitule «Fremdsprachenunterricht in der Volksschule. Ein Überblick über die Argumente und den Forschungsstand»1 [Enseignement des langues étrangères à l’école primaire. Un aperçu sur les arguments et l’état de la recherche]. Elle pourrait être maintenant la base d’une discussion objective.
Même si la question de l’enseignement précoce des langues étrangères est importante, le débat autour du Plan d’étude 21 (Lehrplan 21), clé de voûte de l’avenir de notre système éducatif, ne doit pas être repoussé au second plan: le Lehrplan 21, au moyen duquel l’ensemble de notre paysage éducatif doit être transformé en un système éducatif selon les directives anglo-américaines et de l’OCDE. Cependant, la discussion sur l’enseignement des langues étrangères pourrait être un modèle sur la manière dont on prend des décisions dans une démocratie directe: des arguments fondés résistant à un examen objectif sont soigneusement comparés entre eux dans une discussion ouverte et sincère; ici, on doit tenir compte de la structure fédéraliste et du principe de subsidiarité qui caractérise notre culture politique. Les concepts de propagande élaborés par des spin-doctors, les objectifs dissimulés, les attaques personnelles et les foires d’empoigne n’ont pas leur place ici. Cela vaut aussi bien pour la discussion à propos du Lehrplan 21 que pour l’enseignement des langues étrangères: par amour de notre pays et pour nos enfants!
Il y a dix ans, la question de l’enseignement précoce des langues étrangères a fait déjà des vagues dans certains cantons: au parlement du canton de Thurgovie, une motion a été présentée exigeant seulement une langue étrangère. Les associations d’enseignants en Suisse orientale ont soutenu cette offensive. Dans le canton de Zurich, une initiative a été lancée prévoyant de ramener lors de l’introduction de l’anglais précoce, l’enseignement du français au secondaire, afin qu’il reste assez de temps à l’école primaire pour les cours d’allemand et les travaux manuels. Dans le secondaire, tous les élèves devraient avoir obligatoirement au moins deux ans d’enseignement solide en français pour garantir les liens importants vis-à-vis de la langue et la culture de nos compatriotes. Le canton d’Appenzell-Rhodes-Intérieures avait déjà mis cela en pratique il y a quelque temps. Dans le canton de Zoug, un groupement d’intérêts indépendant en faveur d’une formation globale se fonda à cette époque-là. Il voulait s’opposer à l’introduction d’une deuxième langue étrangère à l’école primaire, au cas où les résultats de la consultation des communes ne soient pas pris en compte par le gouvernement. Dans le canton de Schwyz, un sondage à la demande de l’Association des enseignantes et enseignants SZ a montré également que 85% des enseignants ne veulent une deuxième langue qu’à partir du secondaire. Mais les directeurs cantonaux de l’instruction s’étaient mis d’accord sur l’enseignement futur aussi bien de l’anglais que du français à l’école primaire – et c’est ce qui s’est passé!
Au moyen de gros efforts personnels et financiers, on a chamboulé les grilles scolaires des classes primaires lors de l’introduction de l’enseignement des langues étrangères pour, selon le canton, introduire l’anglais ou le français dès la troisième classe en première et l’autre en seconde langue étrangère dès la cinquième classe.
Depuis, on a assemblé et évalué les expériences; elles confirment en grande partie les appréhensions exprimées au préalable. Le travail de recherche de l’Association des enseignants de Schaffhouse a examiné les études essentielles. Elles montrent:
Conclusion: Les résultats sont désenchanteurs. Les enfants commençant à apprendre tôt une langue étrangère n’ont pas d’avantages par rapport à ceux qui débutent plus tard. L’ensemble de l’enseignement des langues étrangères pourrait être repoussé sans problème au secondaire. L’école peut difficilement offrir les conditions nécessaires au succès d’un enseignement précoce de langues étrangères. Des millions de francs issus des fonds publics ont été gaspillés pour la formation d’enseignants et des manuels scolaires!
Les premières expérimentations avec l’enseignement précoce de langues étrangères montrent que deux leçons par semaine sont insuffisantes.3 Pour que cet enseignement ait du succès, les enfants devraient avoir au moins un quart de l’enseignement dans cette langue. D’autres matières devraient être sacrifiées. De là est née l’idée de l’immersion, c’est-à-dire d’enseigner une autre matière dans une langue étrangère. Là aussi, on devrait remédier à une certaine obstination d’esprit. D’une part, on transpose à l’école un apprentissage global d’une langue comme cela se passe lors d’un «bain linguistique » en milieu familial, sans tenir compte des différences fondamentales. Pour ce bain linguistique, on a choisi la matière «science de vie» (l’être humain et son environnement). Les disciplines d’éveil devaient être traitées en langue étrangère; les manuels ont été conçus à cette fin.4 On s’exprime sur des sujets de science de vie en langue étrangère sans avoir élaboré solidement les termes et les rapports fondamentaux. Dans l’étude schaffhousoise, on commente ceci de la façon suivante: «C’est impossible que des enfants apprennent ‹Brother Sun and Sister Moon› et que l’on désigne cela comme cours d’astronomie. Cela est la cause de doubles dommages. Les enfants n’apprennent pas les véritables (nouveaux) termes allemands du système planétaire et de l’univers et ils ne profitent pas du contenu en anglais parce qu’ils ne comprennent pas le sujet.»5 Toutefois, les résultats désenchanteurs de l’étude de Schaffhouse ne suggère pas non plus que l’on prenne une autre matière pour l’enseignement immersif.
L’introduction de l’enseignement précoce des langues étrangères a été aussi d’un autre point de vue une intervention grave en conséquences dans l’enseignement scolaire et lié à la suppression d’heures dans d’autres matières (par ex. les travaux textiles et manuels). On devrait aussi songer à cela. On critique aujourd’hui le fait que ceux qui quittent l’école, s’intéressent moins à des apprentissages dans l’artisanat. Des cours de travaux manuels bien structurés posent déjà chez les petits enfants des bases fondamentales et éveillent des centres d’intérêt. Ils les initient à des activités artisanales à partir desquelles les enfants peuvent développer leur projet professionnel. Ils leur donnent les outils nécessaires pour pouvoir plus tard maîtriser leur vie quotidienne de manière indépendante. Précisément aujourd’hui alors que de nombreux enfants sont trop peu impliqués dans de telles activités dans leur environnement familial et n’ont que peu connaissance des métiers, l’école pourrait leur donner des motivations importantes. Au lieu de les supprimer ou comme dans le Lehrplan 21 de les reléguer à un niveau théorique, les travaux textiles et manuels, l’économie ménagère et la cuisine devraient de nouveau obtenir plus d’importance dans l’enseignement scolaire. Comme les résultats de l’étude de Schaffhouse suggèrent de renoncer à l’enseignement des langues étrangères au niveau primaire, les heures correspondantes seraient à nouveau disponibles.
Il y a dix ans, l’introduction de l’enseignement précoce d’une langue étrangère, reposait sur des résultats provenant de la recherche dans le domaine de la neurophysiologie. On parlait de «période d’âge» dont il fallait profiter et qui se fermeraient inéluctablement chez les enfants après leur dixième année. «Les jeunes cerveaux apprennent mieux!»6 Et comme pour justifier d’autres réformes scolaires, on parlait d’internationalisation des cadres de vie que l’on doit satisfaire, de la mobilité des travailleurs et des capacités communicatives grandissantes. C’est pourquoi on voulait introduire aussitôt que possible l’apprentissage des langues: L’apprentissage efficace reposant sur les résultats de la recherche en neurophysiologie était la raison essentielle pour laquelle les enfants devaient commencer dès la troisième classe du primaire avec les cours d’anglais.7 Les résultats de cette recherche ont été examinés depuis en détail. Les théories des neurologues, selon lesquelles on ne pourrait plus maîtriser complètement une langue acquise après la puberté, ne sont plus actuelles.8 Il est intéressant de voir comment on a modifié la ligne d’argumentation en faveur de l’apprentissage des langues étrangères. On évoque la cohésion du pays (par ex. le conseiller fédéral Berset) et l’esprit de découverte des jeunes pour d’autres pays et des modes de culture.9 Paradoxalement, cette argumentation provient d’un côté politique qui jusqu’à présent soulignait l’internationalisation et la compatibilité de notre système scolaire avec l’Union européenne. L’argumentation est-elle modifiée pour ne pas aborder la discussion nécessaire depuis longtemps? Ou bien la question sur les langues étrangères doit-elle détourner l’attention du Lehrplan 21? Les manœuvres d’intimidation du conseiller fédéral Berset d’imposer le cas échéant «d’en haut» l’introduction du français comme première langue étrangère déconcertent. Doit-on ici statuer un modèle éliminant les structures fédéralistes au moyen de règlements uniformes pour satisfaire à des intérêts supérieurs (par ex. l’OCDE)?
Les connaissances en langues étrangères sont importantes et ont une longue tradition dans notre pays multilingue. Les citoyennes et citoyens suisses aiment en général apprendre les langues étrangères. Toutefois, les conditions nécessaires doivent être mises en place. L’étude schaffhousoise attire l’attention sur le fait qu’une base solide dans la langue maternelle est décisive pour l’apprentissage d’une seconde langue. Seulement de cette constatation, il résulterait déjà actuellement une tâche difficile pour les écoles. Améliorer les connaissances en allemand nécessite aussi des heures d’enseignement correspondantes. Beaucoup d’enfants, même de langue allemande, ont aujourd’hui d’importantes difficultés à s’exprimer de manière différenciée et soigneuse. On constate chez un nombre croissant de petits enfants un retard dans le développement en langue, ils ont besoin de soutien thérapeutique. Rechercher sincèrement les origines d’un enracinement linguistique manqué serait la première condition pour améliorer véritablement cette situation.
Lors de la discussion sur l’introduction d’une autre langue étrangère dans le primaire, c’est à peine si on tient compte du fait que les enfants en Suisse alémanique doivent déjà apprendre une première langue étrangère lors de leur scolarisation à savoir le bon allemand. Le dialecte suisse allemand est un facteur important pour réunir les enfants suisses avec leurs nombreux camarades étrangers et pour aider ceux-ci à se sentir bien et à s’intégrer dans notre pays et notre culture. Beaucoup d’enfants suisses ont des problèmes pour apprendre le bon allemand, car celui-ci se distingue nettement au niveau du vocabulaire, de la syntaxe et de la grammaire du dialecte. Ce n’est pas par hasard que la traduction de textes du dialecte en bon allemand et l’apprentissage de nombreux termes différents faisaient partie du programme de l’école primaire. Beaucoup d’enfants ne s’acclimatent pas vraiment à cette langue pendant leur scolarité.
La maîtrise insuffisante de la langue allemande écrite et parlée est aujourd’hui pour beaucoup de jeunes en fin de scolarité un obstacle pour trouver un métier. Ici, il faut agir!
On se réfère souvent à la plus forte mobilité de l’homme d’aujourd’hui quand il s’agit de défendre l’enseignement précoce de langues étrangères. La question se pose toujours de savoir s’il en est vraiment ainsi, car faire des expériences professionnelles à l’étranger, vouloir connaître d’autres pays et acquérir préalablement ou sur place les connaissances linguistiques nécessaires – organiser sa vie selon son gré – faisaient partie de la carrière de nombreux jeunes gens déjà autrefois.
L’enseignement actuel des langues étrangères est conçu de telle façon que les enfants et adolescents puissent apprendre à se faire comprendre dans différentes situations de la vie.
Des phrases, comme on les connaît dans des guides de voyages au moyen desquelles nous pouvons apprendre les formules rhétoriques rudimentaires pour les vacances. Si on en reste là, les objectifs d’apprentissage restent à un bas niveau.
Veut-on créer avec cette forme de cours de langues les conditions pour pouvoir envoyer les gens au service d’un groupe multinational par ci et par là? Les élèves doivent-ils simplement apprendre à se débrouiller dans la vie quotidienne et dans l’environnement de l’entreprise d’un pays étranger? L’enseignement en langues orienté vers les compétences se base-t-il sur l’image utilitariste de l’homme? L’éducation sert-elle à nous faire devenir des esclaves modernes du travail? Un tel enseignement en langue n’a pas pour objectif, une compréhension profonde de la culture et de l’histoire en relation avec la langue. Cela pourrait éveiller chez les enfants et les adolescents la joie et l’intérêt pour les gens dans un autre espace linguistique et créer des liens sociaux. Le respect devant le prochain, tel qu’il est fixé dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme comme base d’entente entre les peuples, deviendrait une dimension émotionnelle ressentie.
Un autre argument à discuter est l’exigence d’enseignants de langue maternelle. Même si un éventuel fondement linguistique pour les cours est garanti, ce sont pourtant d’autres aspects qui jouent un rôle important. Récemment, dans le canton de Zurich, une expérimentation a été lancée désignée comme «relations d’apprentissage fortes». Celle-ci reposait sur le fait que trop de personnes sont présentes dans une classe et que les enfants n’ont pas une relation sûre avec un enseignant. Pour tous les enfants, les forts ou les faibles, une base affective comme élément essentiel du processus d’apprentissage manque. Un problème qui doit être examiné d’urgence sur ses conséquences durables! Il est donc peu compréhensible pourquoi encore un autre enseignant soit engagé pour les cours précoces de langues étrangères.
Ce ne sont que quelques questions devant être abordées dans un débat sincère. La discussion de l’enseignement précoce des langues étrangères doit être menée de manière objective et sans œillères idéologiques. Ceci d’autant plus que le Lehrplan 21 prévoit l’introduction définitive de l’enseignement précoce des langues étrangères.10 L’étude des enseignants de Schaffhouse en serait une bonne base.
Prescriptions? Des faits au lieu d’idéologies! Le moment est venu! •
1 Kübler, Markus et al. «Fremdsprachenunterricht in der Volksschule. Ein Überblick über die Argumente und den Forschungsstand».
www.lehrerverein.ch (accès 23/8/14).
2 Kübler, Markus. Präsentation Expertise.
<link http: www.lehrerverein.ch>www.lehrerverein.ch (accès 23/8/14).
3 Un exemple est le projet scolaire 21 au moyen duquel dans le canton de Zurich entre autre l’anglais à partir du cours élémentaire a été introduit à l’essai. Déjà dans la phase d’essai, les évaluations montraient que le succès d’apprentissage était très modeste et qu’au niveau du temps, un nombre d’heures supplémentaires beaucoup plus élevé devrait être investi pour un enseignement réussi. Il a quand même été généralisé.
4 Cela ne touche pas seulement les manuels d’anglais mais aussi les manuels de langues et de mathématiques dans lesquels les sujets servent de prétextes ou sont effleurés superficiellement. Une compréhension profonde des rapports n’est pas prévue.
5 Kübler, Markus et al. «Fremdsprachenunterricht in der Volksschule. Ein Überblick über die
Argumente und den Forschungsstand». p. 11.
<link http: www.lehrerverein.ch>www.lehrerverein.ch (accès 23/8/14).
6 La Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) argumentait à cette époque de cette façon: «L’apprentissage précoce est, pour des raisons neuropsychologiques, particulièrement important et profitable en ce qui concerne l’acquisition des langues. Il s’avère plus efficace, constitue chez l’enfant des dispositions intellectuelles favorables à l’étude d’autres langues et renforce le développement de stratégies pour l’apprentissage linguistique en général.» Conférence suisse des Directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) 2004. Enseignement des langues à l’école obligatoire: Stratégie de la CDIP et programme de travail pour la coordination à l’échelle nationale. Décision de l’Assemblée plénière du 25 mars 2004. <link http: edudoc.ch record files sprachen_d.pdf>edudoc.ch/record/30008/files/Sprachen_d.pdf (accès 23/8/14)
7 La base pour la décision d’introduire dans le canton de Zurich dans les écoles primaires une deuxième langue était par exemple l’expertise d’Otto Stern, maître de conférence à l’école pédagogique de Zurich. L’expertise lui a été confiée par la Direction de l’instruction publique du canton de Zurich. Stern poursuivait dans son travail la ligne d’argumentation suivante, «qui remplit le but de son expertise, soit d’opposer des arguments fondés aux objections critiques au sujet de la réforme scolaire prévue [cela signifie l’introduction de l’anglais précoce].» L’objectivité de l’expertise de Stern a été rapidement remise en question par ses autres collègues spécialisés comme expertise d’insider.»
8 cf. Böttger, Heiner. In: Kübler, Markus et al. «Fremdsprachenunterricht in der Volksschule. Ein Überblick über die Argumente und den Forschungsstand». p. 4 et p. 9 <link http: www.lehrerverein.ch>www.lehrerverein.ch (accès 23/8/14).
9 cf. Kübler, Markus et al. «Fremdsprachenunterricht in der Volksschule. Ein Überblick über die Argumente und den Forschungsstand». p. 5. <link http: ww.lehrerverein.ch>ww.lehrerverein.ch
(accès 23/8/14).
10 Pour justifier le Lehrplan 21, on mentionne souvent la mission d’harmonisation donnée par la Constitution fédérale. Ici, il faut remarquer que le Lehrplan échoue justement sur ce point où il pourrait harmoniser en fixant la première langue étrangère.
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