N° 31, 29 décembre 2014

«Die Leuenhofer» de l’auteure zurichoise Ida Bindschedler – un livre pour les jeunes qui réchauffe le cœur

par Marianne Wüthrich

Le «Leuenhof» du roman pour les jeunes d’Ida Bindschedler est un ancien couvent en dehors de la petite ville de Heimstetten. Là se trouve la salle de classe de M. Schwarzbeck qui transmet à ces 37 élèves des cinquième et sixième classe primaires le bagage dont ils ont besoin pour leur vie future: une base solide de connaissances et d’aptitudes scolaires, une formation de l’esprit profondément humaine et un enseignement moral et éthique pour résoudre les devoirs que la vie pose déjà à l’adolescent. S’attaquer ensemble à ces devoirs dans une relation de confiance avec l’instituteur permet aux enfants de s’accoutumer à leurs semblables au sein de la communauté de classe et au village pour plus tard prendre leurs responsabilités en tant que citoyens.
Une année scolaire des Leuenhofer est le contenu de ce roman pour les jeunes, roman sensible et touchant, une année avec les changements des saisons, avec ses joies à l’école et pendant les temps libres, mais aussi avec beaucoup d’épreuves que la vie leur apporte, surmontées avec l’aide de leur instituteur et de leurs parents. Qui connaît le roman des «Turnachkinder» se rappelle que l’humour est aussi de la partie dans les livres d’Ida Bindschedler.
Un livre magnifique pas seulement pour la lecture en classe ou pour lire aux adolescents mais aussi un joyau pédagogique pour réconforter les parents et les éducateurs.
Au fait: les 68ards et leurs successeurs qui se sont engagés contre la «pédagogie du bâton» et «l’accumulation de savoir inerte» et qui ont offert sur cette base douteuse à notre jeunesse d’invraisemblables réformes scolaires seront démentis avec ce livre – car il a presque 100 ans. Evidemment cela ne veut pas dire que nos écoles devraient retourner à cette époque car beaucoup de choses se sont depuis développées positivement.

Enseignement et maîtrise de la vie

Les enfants grandissant au tournant du XIXe au XXe siècle étaient confrontés à des problèmes sérieux dans leur vie quotidienne tandis que la plupart des jeunes d’aujourd’hui grandissent dans des représentations irréelles de la vie et sont rattrapés par le vent cru de la réalité. Ainsi, le chapitre «Inondation» décrit le danger que la pluie durant des jours entiers représente pour le village: les habitants craignent que la rivière Illig brise les digues et inonde ainsi des quartiers entiers et détruise le pont. L’instituteur Schwarzbeck en parle tout naturellement et relie cette actualité à son enseignement:
«A l’école les enfants venant de la basse ville ont raconté que dans la Riedau les gens commençaient à quitter leurs maisons, il y aurait déjà de l’eau dans la cave du cordonnier Burnlich.
M. Schwarzbeck se rendant compte que les garçons et les filles ne pensaient qu’à l’eau montante, les a pris par ce bout-là. Il leur a parlé des fortes pluies d’été et de la rivière Illig, où elle prenait sa source, où elle allait et des dommages qu’elle avait déjà causés à d’autres occasions. Les enfants ont pu dire ce qu’ils savaient et ensuite ils ont écrit une rédaction sur ce thème.» (p. 24)

Dans l’après-midi, l’instituteur s’est rendu compte que les élèves ne saisissaient pas vraiment le sérieux de la situation. Ils s’amusent à imaginer qu’un camarade aurait pu faire du bateau avec le baquet à lessive dans la cave inondée de sa grand-mère.
«Alors M. Schwarzbeck a amené les enfants à saisir le sérieux effroyable de la situation d’une vraie inondation. Il leur a raconté l’histoire de la brave Johanna Sebus qui a sauvé sa mère des eaux et qui est retournée dans l’eau tempétueuse et mugissante pour y chercher aussi la voisine avec ses trois petits enfants. Et ensuite M. Schwarzbeck a pris son livre et leur a lu le poème dans lequel Goethe a décrit cet exploit. C’était lugubre à écouter:
‹La digue se rompt, la campagne mugit, les flots déferlent, la plaine rugit.›
Et puis lorsque la mère de Johanna demande apeurée: ‹Vas-tu vraiment y retourner?› Et Johanna, déterminée répond: ‹Ils doivent être sauvés!›

Mais quelle terrible fin prit cette ballade [Johanna Sebus n’a pas pu sauver la famille et s’est noyée avec eux.]
Comme c’était triste, mais en même temps un geste magnifique; on voudrait bien être une fois aussi courageux et héroïque!»
Un exemple impressionnant d’un instituteur soutenant les élèves de sa classe dans leur compassion et leur sympathie – il n’a pas à éveiller la compassion, il y en a déjà beaucoup! Il contribue ainsi à la consolidation de leur formation morale.
Ensuite, lors de la leçon de dessin, les élèves demandent à dessiner Johanna Sebus et la maison de la famille noyée. Mais là aussi, l’instituteur montre la direction – non pas de grandes idées mais l’intérêt pour la réalité de leur propre quotidien: «‹Ne serait-il pas dommage pour cette belle poésie de Goethe et cette cause magnifique de vous y mettre avec vos capacités encore limitées? Essayez de dessiner le pont de Ferlikon. Vous connaissez tous le pont de Ferlikon, n’est-ce pas? Et ensuite vous y mettez quelques voitures.› – ‹Oui, et en bas l’eau›, disent les garçons et les filles. ‹Ou bien l’eau qui passe déjà par dessus le pont. L’eau avec le crayon bleu. Non, bien sûr avec un crayon gris-brun.› Ils se donnent à fond dans leur représentation du pont de Ferlikon. […] M. Schwarzbeck passait dans les bancs et aidait ici et là. Mais la plupart des dessins, il les a trouvés réussis. Les enfants ont presque regretté que l’horloge sonne quatre heures.» (p. 25–26)

La responsabilité des élèves pour l’apprentissage en commun

Aujourd’hui, dans beaucoup de classes de primaire la situation suivante ne serait guère imaginable: l’instituteur Schwarzbeck doit s’absenter pour une affaire scolaire et ne reviendra que vers dix heures. Il avertit les deux classes de se tenir tranquilles et de continuer leurs devoirs de mathématiques. Dans chaque classe un des élèves est surveillant de semaine et fait régner l’ordre. En sixième tout le monde calcule tranquillement. En cinquième, lorsque quelques filles dérangent pendant un long moment, le plus âgé des surveillants aide le plus jeune afin que tout le monde puisse travailler en paix.
Un nouveau désordre naît lorsqu’un jeune homme arrive pour rendre visite à M. Schwarzbeck. Les enfants le prennent pour un remplaçant et les élèves de sixième, plus mûrs, se donnent de la peine de lui expliquer le déroulement de leur leçon de calcul. Dans la classe de cinquième, laissée sans surveillance, il y a de nouveau de l’agitation. Le visiteur n’intervient pas, alors quelques-uns des grands l’aident. Ils se sentent responsables de ce qui se passe en classe. Bien que l’instituteur présumé n’intervienne pas et prenne au contraire la chose à la légère, les enfants restent calmes et polis:
«‹Il faut leur donner un devoir›, dit Ernst Hutter lorsque l’étranger passa près de lui. Il avait réfléchi: devait-il s’en mêler? Mais si la cinquième n’avait rien à faire, le bruit recommencerait. ‹Avec M. Schwarzbeck, ils doivent parfois faire des exercices d’écriture lorsque nous avons le calcul.› ‹Des exercices d’écriture? D’accord, mettez-vous à la belle écriture›, lança le présumé instituteur à la légère à la cinquième.
Martin Imbach sortit les cahiers du placard et les enfants s’y mirent rapidement en prenant leurs plumes. Au fait, ils avaient bien l’habitude de travailler et ils avaient compris qu’une belle heure de la matinée ne devait pas être passée à faire des bêtises.» (p. 60)

Lors du retour de M. Schwarzbeck, il s’avère que l’étranger n’était pas un instituteur mais un ancien élève, un peu espiègle et pas très enclin au calcul et à l’écriture, mais qui avait appris chez M. Schwarzbeck l’amour de la musique. Il passait par là ayant joué comme soliste dans un concert à la ville voisine.
«‹Est-ce que vous avez toujours votre vieux violon, M. Schwarzbeck? Vous rappelez-vous à quel point j’étais heureux lorsque vous m’avez montré les premiers doigtés sur le violon? – M. Schwarzbeck sortit son violon du placard, bien sûr que je m’en souviens. Et il eut une idée: et si vous nous jouiez quelque chose, Hans? […] M. Mössmer prit le violon et accorda les cordes. Puis il commença à jouer. […]
Comment était-il possible de savoir jouer ainsi! Avec quelques larges coups d’archet comme une jubilation il a terminé. Les enfants ont repris leur souffle et l’ont regardé tout étonnés avec respect. Il leur semblait complètement changé et ils ne comprenaient plus comment ils avaient pu être aussi effrontés.
M. Schwarzbeck cependant qui avait écouté dans l’embrassure de la fenêtre a pris le jeune homme par les deux mains: ‹c’était beau!› dit-il, et sa voix était pleine d’émotion. ‹Merveilleux, quels sons vous avez sortis de mon vieux violon.›
‹Chers enfants, dit-il en se tournant vers ses élèves, vous ne le comprenez pas encore très bien, mais vous avez entendu un artiste. […] Plus tard, lorsque vous entendrez son nom, vous pourrez être fiers qu’il ait joué ici dans notre vieille école.›
‹Et avant tout qu’il vous ait enseigné le calcul et la belle écriture›, ajouta le musicien en clignant de l’œil vers les enfants.
‹Oui, on ne peut pas tout faire avec la même habileté›, répliqua M. Schwarzbeck en riant. ‹Qui sait conduire l’archet de main de maître, on lui pardonne la règle de trois à l’envers et un grand T pas écrit comme il faut – mais uniquement à celui-là, comprenez-vous?› s’adressa-t-il à ses filles et ses garçons. ‹Vous n’en êtes pas encore là.›» (p. 63–64)

Se réjouir des petites choses de la vie et être satisfait

En lisant les «Leuenhofer», le lecteur se rend compte que les enfants d’autrefois grandissaient de façon plus modeste et simple qu’aujourd’hui et que malgré cela – ou même grâce à cela! – ils étaient plus satisfaits et pouvaient se réjouir des petits plaisirs de la vie.
Chez les Leuenhofer, l’ennui n’existe pas: Avec un vif intérêt, ils élèvent des vers à soie, s’occupent de trouver leur nourriture et sous la direction de M. Schwarzbeck et grâce à ses informations, ils observent comment les chenilles se transforment en cocons et finalement en papillons. (p. 66–67) Ils se réjouissent de leur excursion scolaire – aucun enfant n’arrive en retard, mais tous sont même trop tôt à la gare. Lors de leur randonnée, ils observent avec joie la nature, par exemple en passant près d’une cascade: «C’était magnifique de voir l’écume blanche dans sa chute jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Puis suivait une nouvelle découverte et encore une autre, sans cesse; comme des voiles blancs et sauvages se densifiant et se dissolvant. Inimaginable que cela continue à s’écouler ainsi de suite toute la journée et toute la nuit et toutes les années, sans fin! – Mais ensuite, ils ont tenté de se rapprocher le plus proche possible de la belle merveille naturelle en sautant d’un bloc de pierre à l’autre dans le lit de la rivière pour respirer la bruine scintillante dans toutes les couleurs de l’arc en ciel, et alors comme c’était drôle de se laisser couvrir d’écume, encore et encore jusqu’à être mouillés.» (p. 82–83)
Les enfants se réjouissent des plantes et des animaux de la forêt, ils jubilent à la vue panoramique de la tour d’observation. Dans les ruines du château, ils jouent aux chevaliers et gentes dames, puis ils se régalent des quiches aux lardons et des tartes aux prunes qui leur sont servis pour les quatre heures dans l’auberge (p. 82–85). C’est pour les Leuenhofer une fête particulière lorsqu’en automne, leurs camarades de classe Eve et Martin les invitent à la récolte de poires. Là, ils aident à ramasser les poires à cidre et à les porter sur les chars, et ensuite, ils peuvent remplir leurs sacs à dos et leurs paniers avec des poires pour la table. (p. 106–107)
Certes, aujourd’hui nous vivons des temps différents et nous ne pouvons pas revenir en arrière. Mais prendre conscience d’une époque où il n’était pas question de vêtements de marque et de jeux video, mais où un panier plein de «Züri-Tirggel» (gâteaux au miel durs avec des images en relief) provoquait des hourras, cela ne gâte rien.
Et l’enseignant partage la joie des enfants, par exemple, quand il neige pour la première fois dans l’année: «Et puis, déjà à la mi-décembre, il y avait la première neige, tout comme il convenait à un vrai hiver à Heim­stetten. M. Schwarzbeck était en train de parler de Berchtold de Zähringen, du fondateur de villes, tandis que la sixième classe prenait des notes. Soudain, un murmure s’éleva dans les rangs des élèves. ‹Il neige! Il neige! […] Tous tournèrent la tête vers la fenêtre. Vraiment, il neigeait. Lentement, les flocons blancs et légers flottaient vers le sol. Les Leuenhofer pressaient leurs mains serrées contre leur poitrine; cela signifiait: c’est génial! C’est génial! Et ils ont regardé M. Schwarzbeck pour savoir si l’on pouvait regarder dehors et, quand on est assis loin de la fenêtre, se relever même un peu. D’abord, M. Schwarzbeck secoua la tête: ‹Il neigera certainement encore pendant la récréation.› Mais ensuite, il sourit se rappelant comme il était lorsqu’il était gamin, hors de lui de plaisir à cause de la première neige. ‹Eh bien, regardez trois minutes›, dit-il, en regardant les flocons qui tombaient de plus en plus denses, et il laissa ses petits élèves s’exclamer de leurs ah! et oh! Mais ensuite, ils reprirent sagement l’histoire du duc Berchtold et des contours de l’Europe.» (p. 161)

L’éducation aux valeurs

Les nombreux événements dans la vie des enfants qu’Ida Bindschedler utilise pour montrer comment un enseignant peut donner à ses élèves de l’orientation et du soutien pour trouver des solutions dignes et humaines sont particulièrement impressionnants. Qu’il s’agisse de situations avec leurs camarades ou avec d’autres personnes – les enfants demandent conseil à leur instituteur Schwarzbeck, ou ce dernier prend spontanément position. En raison de l’étroite relation de confiance entre l’enseignant et les élèves, il peut répondre aux nombreux aspects positifs des personnalités des jeunes et les renforcer. Les enfants tiennent compte de ses conseils et lors de merveilleuses conversations pendant la récréation ou après la classe, ils développent en commun des idées pour maîtriser les problèmes de la vie. Chez les Leuenhofer, les élèves les plus avancés et de caractère déjà ferme donnent souvent le ton. Après quelques discussions, les autres enfants se mettent d’accord. Ainsi, une communauté de valeurs laissant des traces pour la vie dans l’esprit de chaque enfant se développe.
Dans le chapitre intitulé «Le nouvel enfant», M. Schwarzbeck apprend aux élèves comment accueillir et introduire un enfant de cirque, orphelin et sans attaches, dans leur communauté. Lors des salutations, l’enseignant donne l’exemple: quand Nuschka refuse sa main tendue, il dit gentiment: «‹Oui, oui, l’enfant doit s’y retrouver et s’habituer […]. Elle a fait beaucoup d’expériences tristes. Mais nous voulons tout faire pour devenir de bons amis.›» (p. 148) Puis, il la place à côté de son «élève de cinquième la plus raisonnable.» Pendant la récréation, l’enseignant appelle certaines des filles de la sixième classe et leur dit de s’occuper de Nuschka et d’être gentilles avec elle. Mais Nuschka met la patience de ses nouvelles camarades de classe à l’épreuve: elle les regarde d’un mauvais œil et fait des grimaces quand elles essaient d’entamer une conversation amicale. Invitée à jouer avec elles pendant la récréation, elle dit: «Non, c’est un jeu stupide.» L’enseignant ne réagit pas aux plaintes de ses élèves décrivant combien il était difficile d’être gentil avec Nuschka: «Ce n’est pas le moment de se relâcher, de perdre la bonne volonté et la patience», rappelle-t-il. (p. 152)
En mathématiques et en langue, Nuschka est très en retard par rapport aux autres élèves de la cinquième classe étant donné qu’elle n’est jamais allée à l’école continuellement à un même endroit. Les enfants sont consternés par son orthographe incorrecte et par son niveau en mathématiques: «Ne pas encore maîtriser les tables de multiplication à onze ans!» (Petite remarque: ce que les enfants de onze ans étaient capables d’apprendre il ya 100 ans – et apparemment tous! – serait également possible aujourd’hui pour chaque enfant avec un enseignement bien structuré.)
Pendant la récréation, quelques garçons se moquent des connaissances scolaires insuffisantes de Nuschka, celle-ci griffe et mord les moqueurs. L’instituteur intervient et donne la marche à suivre aux deux parties: «M. Schwarzbeck était très en colère en apprenant ce qui était arrivé. Il gronda les garçons et les filles: ‹Ce n’est pas juste que tous soient contre un et s’en moquent. Si Nuschka était allée régulièrement à l’école et autant d’années que vous, elle saurait calculer et écrire comme vous!› Puis il s’adressa également à Nuschka et lui dit qu’elle ne devait plus jamais griffer ni mordre. Une fillette de onze ans! Ce n’est pas la coutume, nulle part dans le monde, ni à Vienne, ni à Prague, ni à Budapest ou à Timisoara!›» (p. 154)
Mais croyant l’enfant capable de rattraper son retard scolaire à l’aide d’une bonne initiation et d’une bonne volonté, il prend position dans ce sens envers le président de l’institution scolaire – Monsieur le prêtre: «‹Je la ferai rattraper› dit M. Schwarzbeck au prêtre – pendant que les deux hommes faisaient les cent pas devant le presbytère en s’entretenant. ‹Je la ferai facilement rattraper avec quelques heures de soutien, quand elle se sera d’abord habituée ici chez nous à Leuenhof et qu’elle aura gagné l’envie d’apprendre et d’aller à l’école.›» (p. 155) Mais Nuschka se montra rébarbative et récalcitrante pendant plusieurs semaines. Jusqu’à ce que les enfants la découvrent un jour funambulant et jonglant, et ils allèrent chercher l’instituteur.
Tous sont très impressionnés du haut niveau de ses acrobaties, ils applaudissent et crient «‹bravo!›» Et l’instituteur renforce cette nouvelle impression positive: «‹Oui, vous pouvez bien applaudir votre camarade›, dit-il. ‹Elle a accomplit des choses difficiles! Et maintenant, je suis convaincu que Nuschka sera bientôt une élève tout à fait vaillante. Quelle endurance, quelle ardeur a-t-elle utilisé pour apprendre cela. Les balles et le couteau sont cent fois tombés au sol et cent fois, elle a recommencé au début. Et les pas sur la corde! De quel courage a-t-elle besoin! Comme on doit rassembler son courage! Se mordre les dents et penser, je veux, je veux! L’exercice de calcul le plus difficile est un jeu d’enfant à côté de cela! Et je connais certains élèves qui disent très vite: M. Schwarzbeck, je ne comprends pas, je ne sais pas comment on fait ça!» (p. 159) Nuschka est tout heureuse quand l’instituteur lui tend la main et dit: «Maintenant, nous essayons ensemble, Nuschka. Veux-tu?», et elle accepte volontiers. «A partir de ce jour, Nuschka devint un autre enfant; certes, les lettres n’étaient pas alignées comme elles auraient dû l’être et cela a duré encore quelque temps jusqu’à ce qu’elle ait la même assurance avec sa table de multiplication qu’avec ses balles de toutes les couleurs. Mais Nuschka était de bonne volonté.» (p. 160)
On devrait montrer à quelques-uns de ces prétendus «experts en pédagogie» d’aujourd’hui, l’importance de cette attitude de l’instituteur et des institutions scolaires concevant comme leur devoir – et cela est possible – de ne laisser aucun enfant en arrière: cela ne peut pas être le but de laisser notre jeunesse abandonnée à elle-même et à ses «compétences», et ensuite de la classer dans une société de 20/80!
Rencontrer des personnes âgées à l’hôpital (aujourd’hui, ce serait plutôt une maison de retraite) est un autre exemple de la manière dont l’éducateur peut conduire ses élèves vers ses prochains. M. Schwarzbeck apprend que quelques enfants se moquent de ces personnes âgées. Il les réprimande et exige qu’ils leur apportent des fleurs et qu’ils se lient d’amitié avec eux. L’instituteur se réjouit de chaque progrès et continue à initier les filles, et après quelques difficultés de départ, il se crée lentement et réellement une amitié entre les enfants et les résidents âgés. Lors de leurs visites à l’hôpital, les filles aident à remonter les mailles dans les tricots, lisent des histoires et récitent des poèmes. Quelques-uns des résidents qui ont de la peine à écrire se laissent aider par les enfants pour la rédaction de leurs lettres. Les garçons trouvent de l’intérêt dès qu’ils apprennent que l’un des résidents sait raconter des aventures avec les indiens et les bisons. Quand les Leuenhofer découvrent que les résidents de l’hôpital recevront certes un bon repas pour la Sainte Catherine mais qu’il n’y a pas de programme pour la fête, ils en conçoivent un de leur propre initiative: de la ronde, en passant par la chorale, jusqu’à une présentation théâtrale. L’instituteur se réjouit de voir l’activité de ses élèves: «M. Schwarzbeck a promis de venir donner le ton et battre la mesure, en passant inaperçu. ‹Préférez-vous que nous vous disions ce que nous faisons ou préférez-vous la surprise?› ‹Bien sûr une surprise!›, déclare M. Schwarbeck joyeusement. ‹Je suis tout à fait curieux de voir vos créations artistiques!›».
Mais aussi la direction de l’école, quelques parents et d’autres habitants du village arrivent et – à la grande fierté des élèves de cinquième et de sixième – un certain nombre d’élèves du supérieur, d’abord dédaigneux, mais à la fin exprimant leur reconnaissance; «‹On doit le dire, vous étiez très bien …›»
Après la présentation réussie, qui leur vaut une reconnaissance enthousiaste de tous côtés, les enfants hument l’oie rôtie et prennent congé: «Alors: ‹Bonne nuit!› Ainsi, ils prennent congé des résidents. ‹Bonne nuit! Et bon appétit!› ‹Comme ça sent bon!› A la maison, il n’y avait peut-être qu’une soupe à la farine ou de la semoule. Mais c’était bon aussi. Aujourd’hui particulièrement. Que c’était bien! Tout a bien réussi; et la gloire! Et les gens de l’hôpital, quelle joie ils avaient!» (p. 141)

Comment devenir citoyen?

Pendant l’avent, l’instituteur raconte à la classe l’histoire de Noël en déclarant «qu’à Noël les gens devraient toujours repenser à accomplir la volonté de Dieu et à créer la joie et la paix, comme et où ils peuvent, chacun comme et où il peut.» (p. 168)
Sur le chemin du retour, quelques filles y repensent et réfléchissent à la manière dont elles pourraient aider Anneli. Le père d’Anneli est décédé au printemps et la mère a dû prendre un poste de cuisinière à Münsterau. Les trois enfants vivent maintenant chez la grand-mère à Heimstetten; ils n’ont pas vu leur mère depuis ce temps-là. (Bien que Münsterau ne soit pas très éloigné, les gens ne pouvaient pas à cette époque rentrer si facilement le week-end à la maison: d’une part, ils travaillaient aussi le week-end, d’autre part, la plupart ne pouvaient pas se payer le voyage.) Anneli se languit de sa mère. Une camarade de classe remarque: «‹Quand je me réjouis follement de Noël, alors Anneli me revient toujours à l’esprit.›» (p. 169)
Alors qu’elles réfléchissent à ce qu’elles pourraient faire, un des garçons dit:
«‹On devrait déposer une pétition de masse –›, […] ‹Une – quoi?› Les filles se retournent. ‹Une pétition de masse›, répète Walter Kienast. ‹C’est quand on veut imposer quelque chose. Alors, on collectionne plein de signatures et on les donne au gouvernement.›
‹Le gouvernement –!› disent les filles en riant. ‹Ou bien à Madame Breitenstein [la patronne de la mère d’Anneli]. Essayez!› ‹Oui, oui, nous allons essayer!›, déclarent les filles enthousiastes. ‹On envoie une pé… de masse – Comment ça s’appelle Walter –? Comment fait-on ça? Une signature – c’est quand on écrit son nom. Mais sur quoi, Walter?› demandent les filles pêle-mêle. ‹Cela doit être une lettre dans laquelle tout est écrit à propos d’Anneli Hertig et sur la raison pour laquelle sa mère doit revenir. La lettre doit être assez longue afin que Madame Breitenstein s’aperçoive que vous le pensez sérieusement –›». (p. 169/170)

Pour que la pétition porte le plus de signatures possible, les filles exigent des garçons qu’ils y participent. Ceux-ci acceptent.
Pour l’organisation de la pétition, les enfants choisissent un comité de deux garçons et deux filles par classe, qui tient sa première séance déjà le soir même et décide de rédiger la lettre ensemble le lendemain soir. Un des bons élèves est nommé rédacteur, l’élève ayant la plus belle écriture doit rédiger la lettre au propre. L’affaire est tenue strictement secrète. «On révèle cela seulement à M. Schwarzbeck. ‹Ah, ah›, dit-il en souriant et il n’en dit pas plus. Il laissa volontiers faire les garçons et les filles en voyant qu’ils s’entraidaient. Cependant, le soir, ils auraient bien aimé avoir leur M. Schwarzbeck. ‹Le début – si seulement on avait un bon début›, soupiraient les huit enfants en se rongeant les ongles, tandis que le rédacteur taillait son crayon pour la troisième fois.» (p. 171)
Après de longues discussions sur le contenu de la lettre, le brouillon est terminé le soir même. Le lendemain soir, Hedwig arrive avec la copie déjà au propre à la séance du comité et devant la porte, tous les Leuenhofer attendent patiemment leur tour pour signer la lettre sous la stricte surveillance du comité.
Ici aussi, les jeunes d’aujourd’hui pourraient apprendre quelque chose: on n’hésite pas. Chaque soir, on a travaillé à la lettre jusqu’à ce qu’elle soit terminée.
La lettre a du succès et les Leuenhofer reçoivent une réponse chaleureuse de l’aubergiste chez qui la mère d’Anneli travaille. Il y est écrit entre autre: «‹Chers garçons et filles! – Je n’ai pas beaucoup de temps pour écrire. Mais je dois dire que votre lettre m’a procuré une vraie joie. C’est bien que vous pensiez à Anneli et que vous désiriez qu’elle passe aussi un joyeux Noël. Donc, je vais vous envoyer Madame Hertig. Cela m’intéresserait bien de venir vous rendre visite à votre Leuenhof.›»
Le soir de Noël, un comité d’accueil va chercher la mère d’Anneli à la gare et toute la classe se réjouit de la joie d’Anneli: «Les enfants se séparèrent, à la rencontre de leur propre joie de Noël; elle était restée un peu cachée derrière celle d’Anneli.» (p. 184)
C’est ainsi que les enfants suisses devenaient citoyens il y a 100 ans. A l’âge adulte ils étaient prêts et capables de prendre leurs responsabilités dans la famille, dans leur métier, dans la commune et dans l’Etat.
***
Aujourd’hui, on pourrait puiser dans le riche trésor qu’Ida Bindschedler et de nombreux autres écrivains et pédagogues des générations antérieures nous ont légué.
Utilisons ce beau livre comme guide pour initier notre jeunesse à la vie.     •

Ida Bindschedler, écrivaine pour la jeunesse zurichoise, est connue de générations entières comme auteure des «Turnachkinder». Elle vécut de 1854 à 1919, fut institutrice et écrivit à l’âge mûr les deux livres «Die Turnachkinder im Sommer» et «Die Turnachkinder im Winter», dans lesquels elle raconte ses expériences de jeunesse. Alors que les «Turnachkinder» sont réédités encore et toujours, son troisième livre pour la jeunesse, «Die Leuenhofer», a paru l’année de son décès en 1919, est malheureusement tombé dans l’oubli. C’est justement avec cet ouvrage-là qu’Ida Bindschedler prouva, qu’elle était une excellente pédagogue, elle – et probablement encore beaucoup d’autres instituteurs d’antan.
La maison d’éditions de Hambourg tredition GmbH remet ces derniers temps à disposition des milliers de livres épuisés. Les ouvrages originaux sont scannés et numérisés, mais aussi publiés comme livre-papier. Le scanner produit des fautes d’orthographe, qui n’ont pas pu être tout à fait éliminées dans «Die Leuenhofer», on en trouve encore. Voilà une bonne occasion de les dépister avec les jeunes lecteurs et d’allier cette lecture à l’enseignement de la langue.

Ida Bindschedler: Die Leuenhofer, Verlag trediton Classics, ISBN-10: 3-8424-0357-7

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