Le point de vue du président Poutine est compréhensible?

Le point de vue du président Poutine est compréhensible?

«Le pivot de la crise actuelle est l’expansion de l’OTAN et les manœuvres de Washington pour soustraire l’Ukraine à l’influence de Moscou et l’intégrer à l’Ouest. Les Russes ont détesté mais toléré l’expansion de l’OTAN, y compris lors de l’adhésion de la Pologne et des pays baltes. Mais quand l’OTAN a annoncé en 2008 que la Géorgie et l’Ukraine ‹deviendraient membres de l’OTAN›, la Russie a tracé une ligne rouge dans le sable. La Géorgie et l’Ukraine ne sont pas seulement des Etats proches de la Russie, ils sont à sa frontière même.»

par John J. Mearsheimer* ?

Le président Obama a décidé d’être ferme avec la Russie en imposant des sanctions et en amplifiant son soutien au nouveau gouvernement de l’Ukraine. C’est une grave erreur. Cette réaction est basée sur la même logique erronée qui a contribué à précipiter la crise. Au lieu de résoudre le différend, cela aggravera les problèmes.?
Le point de vue de la Maison Blanche, largement partagée par les initiés de Washington, est que les Etats-Unis n’ont pas de responsabilité dans la crise actuelle. A leurs yeux, toute la faute incombe au président Vladimir V. Poutine – et ses motivations sont illégitimes. Ceci est faux. Washington a joué un rôle-clé dans le déclenchement de cette situation dangereuse, et le comportement de M. Poutine est motivé par les mêmes considérations géopolitiques qui influencent toutes les grandes puissances, y compris les Etats-Unis.?
Le pivot de la crise actuelle est l’expansion de l’OTAN et les manœuvres de Washington pour soustraire l’Ukraine à l’influence de Moscou et l’intégrer à l’Ouest. Les Russes ont détesté mais toléré l’expansion de l’OTAN, y compris lors de l’adhésion de la Pologne et des pays baltes. Mais quand l’OTAN a annoncé en 2008 que la Géorgie et l’Ukraine «deviendraient membres de l’OTAN», la Russie a tracé une ligne rouge dans le sable. La Géorgie et l’Ukraine ne sont pas seulement des Etats proches de la Russie, ils sont à sa frontière même. En effet, la réponse énergique de la Russie lors de sa guerre avec la Géorgie en août 2008 a été due en grande partie à la volonté de Moscou d’empêcher l’adhésion de la Géorgie à l’OTAN et ainsi son intégration à l’Ouest.?
En Novembre dernier, quand il semblait que le président Viktor F. Ianoukovitch signerait un accord avec l’Union européenne, accord conçu pour accélérer l’intégration de l’Ukraine avec l’Occident et réduire considérablement l’influence de Moscou, M. Poutine proposa alors à l’Ukraine une meilleure offre que M. Ianoukovitch accepta. Cette décision a suscité des protestations dans l’ouest de l’Ukraine, où il y a un fort sentiment pro-occidental et une forte hostilité à Moscou.?
L’administration Obama a ensuite fait une erreur fatale en soutenant les manifestants, contribuant à l’aggravation de la crise et conduisant finalement à la chute de M. Ianoukovitch. Un gouvernement pro-occidental a pris le relais à Kiev. L’ambassadeur américain d’Ukraine, qui avait encouragé les manifestants, parla «d’une journée historique».?
M. Poutine, bien sûr, ne voit pas les choses de cette façon. Il considère ces développements comme une menace directe pour les intérêts stratégiques fondamentaux de la Russie.?
Qui peut le blâmer? Après tout, les Etats-Unis qui ont été incapables d’abandonner la thématique de la guerre froide, ont continué à traiter la Russie comme une menace potentielle depuis le début des années 1990 et ont ignoré ses protestations contre l’expansion de l’OTAN et ses objections au plan américain de construction du système de défense antimissile en Europe de l’Est.?
On pourrait s’attendre des décideurs américains qu’ils comprennent les préoccupations de la Russie avec une Ukraine rejoignant une alliance hostile. Après tout, les Etats-Unis sont profondément attachés à la doctrine Monroe, avertissant les autres grandes puissances à rester en dehors de leur zone d’influence occidentale.?
Mais peu d’hommes politiques américains sont capables de se mettre à la place de M. Poutine. C’est pourquoi ils furent si surpris quand il déplaça des troupes supplémentaires en Crimée, menaçant d’envahir l’est de l’Ukraine, et précisant que Moscou userait de son influence économique considérable pour saper un régime à Kiev qui serait hostile à la Russie.?
Lorsque M. Poutine a expliqué pourquoi il réagissait aussi fermement, M. Obama a répondu que le leader russe «semblait avoir une équipe d’avocats faisant des interprétations contradictoires». Mais le président russe ne demande évidemment pas leurs avis à des avocats, il voit ce conflit en termes géopolitiques et non pas juridiques.?
L’avis de M. Poutine est compréhensible. Parce qu’il n’y a pas de gouvernement mondial pour protéger les Etats les uns des autres, les grandes puissances sont extrêmement sensibles aux menaces – en particulier à proximité de leurs frontières – et agissent parfois de façon implacable pour résoudre les dangers potentiels. Les problèmes de droit international et de droits de l’homme passent en deuxième position lorsque des questions vitales de sécurité sont en jeu.?
M. Obama ferait bien d’arrêter de parler à des avocats et à commencer à penser comme un stratège. S’il le faisait, il se rendrait compte que punir les Russes, tout en essayant de tirer l’Ukraine dans le camp de l’Occident ne fera qu’empirer les choses.?
L’Occident a peu d’options pour infliger des punitions à la Russie, alors que Moscou a beaucoup de cartes à jouer contre l’Ukraine et l’Occident. Il pourrait envahir l’est de l’Ukraine ou annexer la Crimée. L’Ukraine qui a malheureusement renoncé à son arsenal nucléaire hérité de l’Union soviétique n’a pas l’armement conventionnel pour s’opposer à la Russie.?
En outre, la Russie pourrait cesser de coopérer avec l’Amérique concernant l’Iran et la Syrie, elle pourrait endommager gravement l’économie en difficulté de l’Ukraine et même causer de graves problèmes économiques dans l’Union européenne en raison de son rôle majeur en tant que fournisseur important de gaz. Sans surprise, la plupart des Européens ne sont pas très enthousiastes au sujet de l’application de sanctions coûteuses contre la Russie.?
Mais même si l’Occident pouvait imposer des sanctions coûteuses à la Russie, il est peu probable que M. Poutine fasse marche arrière. Lorsque les intérêts vitaux sont en jeu, les pays sont toujours prêts à accepter de grands sacrifices pour assurer leur sécurité. Il n’y a aucune raison de penser que la Russie, compte tenu de son histoire, sera une exception.?
M. Obama devrait adopter une nouvelle politique envers la Russie et l’Ukraine – qui vise à empêcher la guerre en reconnaissant les intérêts à la sécurité de la Russie et au respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine.?
Pour atteindre ces objectifs, les Etats-Unis devrait souligner que la Géorgie et l’Ukraine ne deviendront pas membres de l’OTAN. Il conviendrait de préciser que l’Amérique n’interférera pas dans les futures élections ukrainiennes ni ne sera favorable à un gouvernement antirusse à Kiev. Il devrait aussi exiger que les gouvernements ukrainiens à venir respectent les droits des minorités, en particulier en ce qui concerne le statut de la langue russe comme langue officielle. En bref, l’Ukraine doit rester neutre entre l’Est et l’Ouest.?
Certains pourraient dire que ces prescriptions politiques constituent une défaite pour l’Amérique. Au contraire, Washington a un intérêt profond à mettre fin à ce conflit et à maintenir l’Ukraine comme un Etat souverain, tampon entre la Russie et l’OTAN. En outre, de bonnes relations avec la Russie sont essentielles, car les Etats-Unis ont besoin de l’aide de Moscou pour traiter avec l’Iran, la Syrie, l’Afghanistan, et éventuellement pour aider à contrer la Chine, le seul véritable rival potentiel des Etats-Unis.?    •

Source: © The New York Times du 14/3/14
(Traduction Horizons et débats)

* John J. Mearsheimer, Professeur de sciences politiques à l’Université de Chicago, est l’auteur de «The Tragedy of Great Power Politics».

Günther Verheugen: «On a brisé un tabou car, pour la première fois au cours de ce siècle, on laisse s’installer au sein d’un gouvernement des idéologues nationalistes, de vrais fascistes»

km. L’«Occident», composé avant tout des USA et de l’UE – à ne pas confondre avec la «communauté internationale» – doit se prononcer «unanimement» contre la Russie. Voilà ce qu’exigent avant tout les Américains. La preuve en sont les prises de position d’hommes politiques européens renommés qui se sont exprimés à l’encontre de la position américaine. Celle-ci avait très rapidement honoré le coup d’Etat illégitime en Ukraine de sa reconnaissance diplomatique.
Günther Verheugen, ancien commissaire européen responsable de l’extension de l’UE et membre de la SPD, a jugé la situation tout autrement dans une interview sur Deutschlandfunk du 18 mars:
«Il faut chercher à Kiev même ce qui rend difficile aussi bien la situation actuelle que la discussion, car on a brisé un tabou et on a applaudi. On a brisé un tabou car, pour la première fois au cours de ce siècle, on laisse s’installer au sein d’un gouvernement des idéologues nationalistes, de vrais fascistes, et trop c’est trop!» […] Le site Internet de Swoboda est une véritable mine d’idéologie nationaliste. Ils sont animés par une haine contre les Russes, les Juifs et les Polonais. C’est un nationalisme pur et dur, un nationalisme excessif. Ils réclament des armes nucléaires pour l’Ukraine. […] Et je me défends contre cette thèse minimisant les faits qu’il ne s’agirait que de quelques personnes et contre la théorie classique de l’intégration. L’intégration de forces radicales a, plus d’une fois dans l’histoire européenne, tourné effroyablement mal. Ne l’oublions surtout pas.»
A la question de savoir si les nouveaux dirigeants de Kiev ont accédé de manière légitime au pouvoir, Verheugen répond: «Non, ce n’est pas le cas. On ne peut guère le contester. La Constitution ukrainienne est tout à fait claire sur cela. Il n’y a pas eu la majorité prévue par la Constitution et le Président n’a pas été élu en bonne et due forme.»
A propos des sanctions contre la Russie déjà décidées ou prévues par le gouvernement américain et ceux de l’UE, il a déclaré qu’il se souciait du fait «que la voie prise avec les sanctions nous éloigne toujours plus du chemin qu’on veut prendre en fin de compte et qui est une politique de partenariat et d’entente et qu’il sera de plus en plus difficile d’y retourner à mesure qu’on avance dans cette direction. Car tout n’est pas fini; d’autres décisions seront prises, des décisions qui ne conviendront ni à nous, ni à la Russie. Où cela nous mènera-t-il?»
Pro memoriam: Le ministre allemand des Affaires étrangères, Steinmeier, lui aussi, s’est prononcé au début pour une autre voie à prendre en Ukraine. Le 22 février, il a déclaré: «Tout dépendra maintenant de la question de savoir si les parties au conflit – aussi bien du côté du gouvernement que du côté de l’opposition – se tiendront à ce qu’elles ont conclu et commenceront à créer une atmosphère de confiance mutuelle. Y réussira-t-on?» L’accord entre le Président de l’Ukraine et les représentants de l’opposition politique était à peine signé que l’opposition l’a brisé. Le magazine Der Spiegel a publié une interview avec le ministre allemand des Affaires étrangères déclarant ceci: «Notre feuille de route est soutenue par la Russie. Le Président Poutine avait encore envoyé un émissaire à Kiev, qui avait participé aux négociations nocturnes et ceci de manière très constructive. Le représentant russe a aidé à construire des ponts et a finalement paraphé le texte. Mettre fin au bain de sang est aussi dans l’intérêt de la Russie.»

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