Non à la tromperie que représente l’«Arrêté fédéral concernant les soins médicaux de base»

Non à la tromperie que représente l’«Arrêté fédéral concernant les soins médicaux de base»

Votation populaire fédérale du 18 mai 2014

par Dr Susanne Lippmann

Le 18 mai 2014, l’«Arrêté fédéral concernant les soins médicaux de base» sera soumis au vote du peuple suisse. Il s’agit d’un contre-projet direct à l’initiative populaire «0ui à la médecine de famille» – signée par 200 000 citoyens voulant garantir qu’il y ait également à l’avenir assez de médecins de famille en Suisse – qui a été retirée par les auteurs en septembre 2013. Mais le contre-projet, qui sera soumis au vote le 18 mai, n’est en aucune façon adapté au but de l’initiative. Au contraire, il fait partie de l’agenda politique du conseiller fédéral Berset et de ses prédécesseurs qui ont profité de l’occasion de greffer sur le système de santé suisse des recommandations de réformes centralistes et étrangères à notre système élaborées par l’OCDE et l’OMS. De cette manière, l’administration fédérale, respectivement l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), s’arroge le pouvoir de définir ce à quoi le peuple doit s’attendre de notre santé publique à l’avenir. Voulons-nous cette infraction directe de l’OFSP dans chaque cabinet médical?
Tous ceux qui veulent que notre système de santé, reconnu de toute part comme excellent, reste aussi bon qu’il l’est à présent, doivent donc rejeter cette tromperie le 18 mai.
L’OCDE, l’OMS et même l’OFSP savent très bien que la santé publique suisse est l’une des meilleures au monde. Le Département fédéral de l’Intérieur (DFI) a précisé, il n’y a pas longtemps, en janvier 2013, dans «Santé2020» que «les personnes vivant en Suisse bénéficient d’un système de santé satisfaisant. C’est?la conclusion à laquelle ont abouti l’OCDE et l’OMS en octobre 2011, après analyse approfondie. Les experts internationaux ne sont pas les seuls à voir les nombreux avantages et atouts de notre système de soins. Le peuple suisse l’a fait aussi savoir lors de différentes votations populaires, montrant qu’il ne souhaitait pas de changements radicaux. A l’occasion d’une étude internationale menée par le Commonwealth Fund, 69% des patients suisses interrogés ont également jugé que leur système de santé fonctionnait globalement bien et que l’on était prié de n’y apporter que quelques modifications pour l’optimiser encore. A cela s’ajoutent d’autres études comparatives internationales, qui ont également confirmé que la population suisse était très satisfaite des prestations de son système de santé.»1
De ce fait, il est choquant que l’OFSP, sous la direction du conseiller fédéral Berset, ait adopté dans ce même document (Santé2020) un «agenda de la politique de la santé»2 qui anéantit radicalement notre système de santé. Le tout doit être entériné sans consulter le peuple. Cet agenda comprend un paquet de lois complet,3 dont l’«Arrêté fédéral concernant les soins médicaux de base» (contre-projet à l’initiative de médecine de famille) est un élément.
Qu’est-ce que toutes ces innovations ont en commun? Elles affaiblissent les cantons et conduisent à une centralisation et à une concentration du pouvoir au sein de l’OFSP, donc à une économie planifiée étatique. Elles enlèvent au peuple la souveraineté concernant la conception de la santé publique.
En Suisse, la santé publique fonctionne parfaitement, comme tout ce que le peuple a créé de bas en haut. La recette magique est toute simple: la démocratie directe et le fédéralisme sont les meilleurs moyens pour organiser une communauté solidement et durablement. Au sein de l’Etat fédéral suisse, il est tout naturel que la santé publique, d’ailleurs tout comme l’école, soit en main des cantons. Le principe de subsidiarité – la Confédération n’intervient que si les cantons ne parviennent pas à remplir leurs fonctions – a parfaitement fait ses preuves depuis 1848. Toute direction centralisée, nous rebute, en tant que Suisses, au plus haut degré.
En outre, il ne s’agit plus d’une santé publique solidaire au bénéfice de tous, mais plutôt de considérations coûts–avantages et rentabilité. C’est pourquoi la relation entre médecin et patient doit être radicalement défaite. Le Careum, institution responsable de la formation du personnel soignant suisse, déclare à ce sujet: «La relation individuelle entre le médecin ou le thérapeute et son patient doit être normalisée afin qu’elle suive comme d’autres services dans le domaine de la santé publique essentiellement les lois générales du monde des marchandises et de la consommation.»4 Des bouleversements aussi profonds doivent être déclarés ouvertement.
Le 11 mars 2014, le Conseil des Etats a traité comme première chambre le projet «Modification de la loi sur les professions médicales (LPMéd)». Ci-dessous, nous publions l’intervention remarquable du conseiller aux Etats Hans Hess qui s’est également prononcé clairement au sujet du contre-projet à l’initiative populaire «Oui à la médecine de la famille». Il y relève la différence fondamentale entre l’initiative «Oui à la médecine de famille» et le contre-projet.     •
1 «Politique de la santé: les priorités du Conseil fédéral». Rapport «Santé2020»; Département fédéral de l’Intérieur (impressum de l’Office fédéral de la santé publique, OFSP; janvier 2013, p. 4).
2 ibid., p. 3
3 S’y trouvent, outre le contre-projet à l’initiative populaire «Oui à la médecine de famille», les projets suivants: la loi sur les épidémies révisée, la révision planifiée de la loi sur les professions médicales, l’adoption d’une nouvelle loi sur les professions de la santé ainsi que la loi planifiée concernant le dossier électronique du patient. Planifié est également un institut de qualité ainsi qu’un institut HTA (Health Technology Assessement, une agence et une loi sur les analyses coûts-avantages).
4 Careum working paper 2, «Woher kommen die Besten?» Globaler Wettbewerb in der Ausbildung – wer bildet zukunftsfähige Health Professionals aus?, FHS St. Gallen 2009, S. 8. vgl. auch Careum working paper 7, 2013, «Die Gesundheitswelt der Zukunft denken – Umrisse einer neuen Gesundheitsbildungspolitik».

Initiative populaire fédérale «Oui à la médecine de famille»*

La Constitution fédérale est modifiée comme suit:

Art. 118b (nouveau) Médecine de famille
1    Dans les limites de leurs compétences respectives, la Confédération et les cantons veillent à ce que la population dispose d’une offre de soins médicaux suffisante, accessible à tous, complète et de haute qualité fournie par des médecins de famille.
2    Ils encouragent la médecine de famille et veillent à ce qu’elle reste une composante essentielle des prestations de soins de base et constitue, en règle générale, la médecine de premier recours pour le traitement des maladies et des accidents et pour les questions d’éducation sanitaire et de prophylaxie.
3    Ils œuvrent à l’établissement d’une répartition équilibrée des médecins de famille entre les régions, créent des conditions propices à l’exercice de la médecine de famille et encouragent la collaboration avec les autres prestataires et institutions du domaine de la santé et du domaine social.
4    La Confédération légifère sur:
a.    la formation universitaire, la formation postgrade et la recherche clinique en médecine de famille;
b.    les moyens de garantir l’accès à la profession de médecin de famille et de faciliter l’exercice de cette profession;
c.    l’extension et la rémunération appropriée des prestations de nature diagnostique, thérapeutique et préventive fournies par les médecins de famille;
d.    la reconnaissance et la valorisation du rôle particulier qu’assume le médecin de famille auprès des patients en termes de conseil et de coordination;
e.    la simplification des tâches administratives et les formes d’exercice de la profession adaptées aux conditions modernes.
5    Dans sa politique en matière de santé, la Confédération tient compte des efforts déployés par les cantons, les communes et les milieux économiques dans le domaine de la médecine de famille. Elle soutient leurs démarches en vue d’assurer l’utilisation économique des moyens et de garantir la qualité des prestations.
*    Retirée par les auteurs en septembre 2013

Contre-projet: Arrêté fédéral concernant les soins médicaux de base

(Contre-projet direct à l’initiative populaire «Oui à la médecine de famille») du 19 septembre 2013

L’Assemblée fédérale de la Confédération suisse, vu l’art. 139, al. 5, de la Constitution, vu l’initiative populaire «Oui à la médecine de famille» déposée le 1er avril 2010, vu le message du Conseil fédéral du 16 septembre 2011, arrête:

I    La Constitution est modifiée comme suit:
Art. 117a (nouveau) Soins médicaux de base
1    Dans les limites de leurs compétences respectives, la Confédération et les cantons veillent à ce que chacun ait accès à des soins médicaux de base suffisants et de qualité. Ils reconnaissent la médecine de famille comme une composante essentielle des soins médicaux de base et l’encouragent.
2    La Confédération légifère:
a.    sur la formation de base et la formation spécialisée dans le domaine des professions des soins médicaux de base et sur les conditions d’exercice de ces professions;
b.    sur la rémunération appropriée des prestations de la médecine de famille.
II    Le présent contre-projet sera soumis au vote du peuple et des cantons […]

Prise de position de Hans Hess concernant la «modification de la Loi sur les professions médicales» au Conseil des Etats du 11 mars 2014

Hans Hess, conseiller aux Etats (PLR, OW): «Je pense que dans cette salle nous sommes tous d’accord que la Suisse a une santé publique qui fonctionne parfaitement avec une bonne formation universitaire. Selon l’OFSP et le rapport de l’OCDE, la population est très contente de ce système et ne souhaite pas non plus de changements radicaux. Dans le projet de loi à traiter on pose les bases pour une transformation étendue de notre système de santé qui a fait ses preuves. On prévoit de remplacer des notions, qui se sont avérées efficaces, par de nouveaux termes dont les contenus ne sont pour moi pas saisissables dans leur portée. Cela me rend dubitatif quand le terme ‹à titre indépendant› est remplacé par des formulations telles que ‹à titre d’activité économique privée, sous sa propre responsabilité professionnelle›; je renvoie à la page 6206 du message.1
Un autre point m’a frappé: c’est le terme ‹soins médicaux de base› qui serait introduit dans la Constitution lors de la mise en vigueur du contre-projet à l’initiative populaire ‹Oui à la médecine familiale›. Personne n’aura quoi que ce soit à objecter contre ce terme, mais presque personne ne sait vraiment ce qu’il comprend. Derrière cette notion se cachent des modifications fondamentales. Notre vision, selon laquelle un médecin de famille bien qualifié et responsable, ayant une relation de confiance directe avec son patient, élabore soigneusement un diagnostic et traite son patient selon les règles de l’art médical, n’y est plus contenue. Au contraire, on prône un ancien modèle de l’OMS, créé pour les pays en voie de développement dans les années soixante-dix, celui des ‹soins de base›. Les ‹Advanced Practice Nurses› doivent à l’avenir diriger une équipe interprofessionnelle, libre de toute hiérarchie, qui décide du patient compétent dans le domaine de la santé.
Ce modèle de l’interprofessionnalité est prôné au sein de l’établissement d’enseignement pour notre personnel soignant suisse et du Careum Zurich et doit être introduit par la loi en discussion dans la formation universitaire suisse.
Avec cet arrière-plan, les articles nouvellement introduits dans cette loi deviennent plus compréhensibles, par exemple l’article 4, alinéa 2, lettre d. Dans le message du Conseil fédéral, il est dit que les compétences dans le domaine des soins médicaux de base doivent être dorénavant définies par le modèle canadien CanMEDS. Le modèle CanMEDS subdivise l’activité professionnelle dans le domaine de la santé en sept rôles: expert médical (rôle central), mais également communicateur, collaborateur, gestionnaire, promoteur de la santé, érudit et professionnel. Ce n’est pas mon invention, c’est écrit ainsi dans le message à la page 6215.
La notion de médecin n’apparaît plus. Mais à qui pense-t-on réellement? Voyons les explications dans le Message concernant l’article 8, lettre k; là, il est dit: ‹Les soins médicaux de base ne sont pas seulement fournis par des médecins, mais aussi par des équipes interdisciplinaires constituées par d’autres membres des professions médicales universitaires (par ex. pharmaciens et chiropraticiens) et d’autres professionnels de la santé (par ex. personnel soignant, physiothérapeutes, sages-femmes, diététiciens, ergothérapeutes et podologues).› Ici aussi, j’ai cité le message, je vous renvoie à la page 6216. Là, on trouve noir sur blanc, que dans le système prévu des soins médicaux de base de nombreux autres métiers de la santé – jusqu’aux podologues que j’ai déjà mentionnés – seront quant à leurs compétences mis presque au même niveau que le médecin. Les premiers interlocuteurs du patient ne seront donc plus les médecins mais un ou une de ces ‹professionnels de la santé›.
La vison européenne et suisse, plaçant le médecin dans la tradition hippocratique, selon laquelle l’art médical est exercé dans une collaboration de confiance avec le patient, doit céder aux modèles des compétences technocratiques anglo-américains mentionnés ci-dessus. De tels modèles de soin ont déjà été introduits dans les pays scandinaves. Ainsi, par exemple un patient avec une diarrhée, qui prend rendez-vous chez le médecin pour se faire examiner, est pris en charge par une personne soignante. Celle-ci décide de faire des analyses de laboratoire, pose le diagnostic, donne des conseils thérapeutiques et émet l’ordonnance correspondante. Ces patients n’ont plus l’occasion de voir un médecin. La révision de loi présente contient encore autre chose: selon la proposition de la Commission du Conseil des Etats, on veut introduire dans l’article 33a un registre des métiers de la santé complet. Ainsi on anticipe concernant le projet du dossier électronique des patients.
Suite au document stratégique ‹Santé 2020›, on crée un programme de politique sanitaire totalement transformé, appliquant aux niveaux fédéral et cantonal et jusque dans les cabinets de nos médecins, les instructions de l’OMS et de l’OCDE. La compétence des cantons pour la santé publique – et en même temps le fédéralisme – est ainsi réduite sans que ce soit rendu public. Concernant d’ultérieures réformes dans le domaine de la santé publique, il faudrait au fond exiger un moratoire et analyser à fond le document du Conseil fédéral ‹Santé 2020›. A mon avis, il s’agit d’un cheval de Troie dont les contenus doivent être examinés soigneusement.
En raison de mes explications, il aurait été opportun de faire une demande de non-entrée en matière. Je suis néanmoins conscient qu’une telle demande n’aurait eu aucune chance de succès et maintenant je suis aussi confirmé dans mon opinion, après que seulement deux membres de la CSSS [Commission de la sécurité sociale et de la santé publique] se soient exprimés de façon très positive: ma demande n’aurait guère trouvé de soutien. Mais je pense que le Second conseil devrait se pencher intensivement sur les questions que je viens de soulever. Je peux le dire ouvertement: les doutes, que j’ai exprimés ici, m’ont été présentés par des médecins de famille du canton d’Obwald. J’assume: je reste fédéraliste également dans le domaine de la santé publique.»
(Traduction Horizons et débats)
1    Message du Conseil fédéral concernant la modification de la Loi sur les professions médicales (LPMéd) du 3/7/13

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