Attribuer la priorité à la souveraineté étatique

Attribuer la priorité à la souveraineté étatique

par Thomas Kaiser

Cette année, se pose pour la Suisse et ses habitants une question cruciale: voulons-nous être «un peuple de frères que nul malheur et nul danger ne séparera. Nous serons libres comme nos pères l’ont été; plutôt la mort que l’esclavage»? (Friedrich Schiller: Guillaume Tell; 2e acte, 2e scène) Ces mots choisis, prononcés sur le pré du Grütli par le pasteur Rösselmann, expriment quelque chose de fondamental et contiennent une importance universellement valable. Friedrich Schiller a écrit ce drame classique en 1804 et y a analysé une matière historique. Au premier plan se trouve l’exigence des trois cantons fondateurs à la liberté et au droit d’autodétermination, longtemps avant que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, formulé par le président américain Woodrow Wilson dans son plan de 14 points à la fin de la Première Guerre mondiale, soit devenu un principe du droit international. Etant donné que Schiller reprend dans son œuvre la tradition de liberté des Confédérés, cette pièce de théâtre fut interdite par les nazis. Même si la genèse de l’œuvre remonte à plus de 200 ans en arrière, le contenu et le message n’a rien perdu de son actualité. Le pays et la population se trouvent aujourd’hui comme jadis devant la même question: voulons-nous rester un Etat souverain et indépendant ou préférons-nous être davantage dépendants d’autres Etats et de leur législation?
L’ancien président du Conseil national Ruedi Lustenberger a clairement déclaré dans son interview accordée à Horizons et débats que pour lui ces questions étaient cruciales pour l’avenir de la Suisse. (cf. Horizons et débats no 31 du 29/12/14) Voulons-nous nous rendre dépendants de juges étrangers en acceptant une juridiction supranationale à l’instar de la Cour de justice européenne de Bruxelles ou de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg ce qui reviendrait à nous soumettre à l’avenir à une juridiction définie par des «juges étrangers»? La conséquence serait la fin de la démocratie directe et le Parlement perdrait de son importance, puisque la législation nationale devrait se soumettre aux règlements supranationaux. Ce n’est pas un hasard que Daniel Kübler, professeur à la faculté de sciences politiques de l’Université de Zurich, parle d’une époque de «démocratie post-parlementaire», dirigée avant tout par le pouvoir exécutif. Le véritable souverain en démocratie, c’est-à-dire le peuple, n’a plus d’importance politique. Les dispositions de Bruxelles ou de Strasbourg sont intégrées dans le droit national et mises en vigueur par le pouvoir exécutif. C’est exactement l’amère réalité dans les Etats de l’UE. Par exemple, en République fédérale d’Allemagne 80% des lois sont décidées à Bruxelles et approuvées sans aucune discussion par le Parlement allemand, le Bundestag.
Ainsi la souveraineté d’un Etat disparaît, le Parlement, étant le représentant de peuple au sein d’une démocratie représentative, et le premier pouvoir responsable de la législation au sein de l’Etat, est destitué de sa tâche principale. Ce que la Charte de l’ONU garantit, à savoir le droit à l’autodétermination des peuples, est ignoré par une élite politique décalée, sans que les populations concernées aient été consultées. La résistance se forme, de nouveaux partis sont créés dans les pays de l’UE les plus touchés, ayant pour objectif le retrait de l’UE ou de la zone euro. En Autriche, une initiative populaire à été réalisée, demandant le retrait du pays de l’UE. Le mécontentement des gens est de plus en plus palpable.
La Suisse est aussi affectée par cette perte de souveraineté. Depuis l’acceptation des Accords de Schengen lors du vote populaire en 2005, il y a eu plus de 100 amendements de lois, ayant été acceptées avec plus ou moins d’opposition par les Chambres fédérales. En ce temps-là, personne n’avait mentionné que suite à l’acceptation des Accords de Schengen toutes les autres lois décidées par l’UE par la suite devraient être reprises.
Cette année, une autre décision est en suspens. Ce qui est nommé par euphémisme «clarification des questions institutionnelles» contient la question de savoir quel droit aura cours en Suisse à l’avenir? Qui rendra justice lors de litiges entre la Suisse et l’UE?
Pour l’UE cette question ne se pose pas: c’est la Cour de justice européenne. Pour la Suisse cependant, cela signifie de devoir déléguer la juridiction à Bruxelles. Les difficultés que cela engendrait de vouloir modifier un traité spécifique avec l’UE en faveur de la Suisse sont illustrées par les massives réactions face à l’initiative populaire contre l’immigration de masse que l’UE ne veut pas accepter. On menace la Suisse de conséquences. Au plus tard maintenant, il est clair pour quiconque a les yeux ouverts que sous la férule de l’UE, il n’y a plus guère de place pour la démocratie directe.
En Suisse, l’année 2015 est une année électorale. Les élections pour les deux Chambres fédérales sont certes importantes mais pas tant que dans les démocraties représentatives, car les droits populaires, tels l’initiative et le référendum, donnent encore diverses possibilités de corrections politiques. Néanmoins, il sera important de savoir si la majorité du Parlement préfère la souveraineté étatique du pays ou si elle veut se soumettre à l’UE ou à d’autres formations étatiques ou Etats puissants. Nous en tant que citoyens et citoyennes devons prendre nos responsabilités. Que voulons-nous et où sont les représentants du peuple qui – comme le Conseil national Ruedi Lustenberger – reconnaissent et défendent notre souveraineté nationale, notre fédéralisme, notre démocratie directe et notre neutralité en tant que base inaliénables de notre Etat? Cela doit être la ligne directrice de notre politique fédérale si nous voulons contribuer à promouvoir la paix dans le monde et maintenir des conditions stables à l’intérieur du pays. Au delà de nos frontières, les pays amis réalisent parfaitement si la Suisse tient ferme dans le concert des pays internationaux et si elle prévoit de continuer de défendre la démocratie directe en tant que modèle d’avenir. Tout comme Schiller l’a décrit, le clientélisme, l’opportunisme et l’égoïsme vont mener à l’oppression et à la dépendance. Ce qu’il nous faut, ce sont des citoyennes et des citoyens sérieux, s’engageant pour le maintien de notre Etat et ne fléchissant pas devant les puissances étrangères. Cela sera aussi enregistré positivement par les peuples dans le reste du monde.     •

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