Une autre Europe

Une autre Europe

La Russie et l’Occident

par Karl Müller

A la fin de l’année dernière, divers médias ont fait entendre des voix européennes ou les ont citées, exprimant leur désaccord avec la politique d’affrontement contre la Russie.
Voici quelques exemples:
«Je ne puis l’ignorer, et ce n’est pas un hasard, Henry Kissinger, Helmut Schmidt, Hans-Dietrich Genscher, y compris bien sûr Helmut Kohl et sans oublier Michael Gorbatchev. Certes ce sont des personnes âgées, mais qui partagent toutes la même opinion: il n’y aura pas de stabilité en Europe sans la Russie, mais seulement avec la Russie. Et je me sens fort bien en leur compagnie.» Ce sont les paroles d’Egon Bahr dans une interview accordée à la revue Compact (édition 1/2015). Il est âgée de 92 ans et fut un des fondateurs de la politique de détente dans les années soixante et soixante-dix. Sa parole est toujours reconnue au niveau international.
Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, s’est exprimé à la télévision hongroise une nouvelle fois sur le rôle des Etats-Unis en Europe tout en les critiquant. («Deutsch-Russische Wirtschaftsnachrichten» du 24/12/14). Orban reproche aux Etats-Unis «de se mêler de façon inadmissible de la politique intérieure des pays d’Europe centrale». En ce qui concerne l’accord TTIP, il s’est exprimé ainsi: «Il est indéniable qu’il s’agit des intérêts américains quand il s’agit de politique commerciale et énergétique.» Les Etats-Unis tentent, au travers du conflit ukrainien, «de nous entraîner dans un conflit qui ne peut que nous être dommageable. Une guerre froide a éclaté entre la Russie et les Etats-Unis, nous ne voulons pas y participer.»
Les informations de la «Frankfurter Allgemeine Zeitung» du 20 décembre sont également intéressantes. Il est vrai qu’en sous-titre on prétend de façon péjorative que «La droite française vénère la Russie en tant que défenseur de la civilisation chrétienne». Mais le texte donne la parole aussi à des personnes d’autres camps politiques. «L’un des critiques les plus virulents de la politique de sanctions [contre la Russie] est le député UMP Thierry Mariani. Cet ancien ministre des Transports jouit de bons contacts dans les milieux économiques dont il profite pour maintenir des relations avec la Russie malgré les sanctions. ‹Ce qui s’est passé lors de la destitution de Ianoukovitch en Ukraine n’est rien d’autre qu’un coup d’Etat soutenu par l’Occident et l’OTAN›, a déclaré Mariani.»
Le Français Mariani n’est pas du tout seul en Occident a exprimer une telle opinion. Il suffit de rappeler la contribution du politologue américain John J. Mearsheimer estimant dans son analyse intitulée «La responsabilité de l’Occident dans la crise en Ukraine» (cf. original anglais dans Foreign Affairs de septembre/octobre 2014, traduction française dans Horizons et débats no 22 du 15/9/14) que «Washington a clairement soutenu le coup d’Etat.»
Toujours selon la «Frankfurter Allgemeine Zeitung», Mariani trouve au sein de son parti un fort soutien, tout particulièrement de la part de ceux qui sont restés fidèles à la politique du général de Gaulle, ayant exigé une «Europe allant de l’Atlantique à l’Oural».
L’ancien ministre de la Défense Jean-Pierre Chevènement, représentant de la gauche française, s’exprime en faveur d’un partenariat stratégique avec la Russie. Le porte-parole de la gauche française, Jean-Luc Mélenchon, est tout aussi clair dans sa critique de la politique officielle. La France se comporte envers Moscou «beaucoup plus comme un vassal des Etats-Unis».
Dans un article de la «Frankfurter Allgemeinen Zeitung» du 27 décembre, on a pu lire que le président de la République tchèque Milos Zeman est également critique face à la politique occidentale envers la Russie. Le président Zeman aurait dit que la vérité concernant la situation ukrainienne est plus facile à obtenir de la part du ministre des Affaires étrangères russe, Lavrov que des services de renseignement de l’OTAN. En Ukraine, on aurait en réalité à faire à une «guerre civile» et non pas à une agression de la part de la Russie. Les sanctions contre la Russie sont en opposition au «dialogue des civilisations.»
Les commentaires de la «Neue Zürcher Zeitung» du 27 décembre au sujet de l’Allemagne sont également fort intéressants. Cela commence par la constatation que «les sociaux-démocrates ont de plus en plus de peine à assumer les sanctions contre la Russie. […] Des personnes proches du ministre des Affaires étrangères [Frank-Walter Steinmeier du SPD] estiment qu’il serait temps d’alléger ces sanctions.»
Et la NZZ de rajouter qu’à «l’intérieur du SPD, on prête attention au fait qu’il y a dans d’autres pays membres de l’UE tels l’Italie, la Hongrie, la Bulgarie et la Slovaquie des forces importantes exigeant une levée rapide des sanctions». Le ministre des Affaires étrangères allemand se serait opposé à la chancelière fédérale, après que celle-ci a durci le ton contre la Russie lors d’une allocution à Sydney (Australie). «Il ne faut pas, par des déclarations publiques, «compromettre les possibilités de contribuer à la détente et l’apaisement dans ce conflit».
Une rencontre de représentants des médias allemands et russes le 18 décembre à Sotchi a eu lieu dans une atmosphère semblable. Cette rencontre eut lieu malgré, ou plutôt du fait des relations tendues et fut organisée par le «Dialogue de Petersburg». Il s’en suivit une brève résolution approuvée à l’unanimité par les journalistes allemands et russes présents:
«Le groupe de travail sur les médias du ‹Dialogue de Petersburg› a tenu une réunion le 18 décembre 2014 à Sotchi. Suite à une âpre discussion pleine de controverses et de passions concernant l’état des relations germano-russes, les deux parties exigent de maintenir le ‹Dialogue de Petersburg› en tant que possibilité d’échanges au niveau de la société civile entre les deux pays. On a actuellement plus que jamais besoin d’un tel dialogue vu la situation extrêmement tendue. Les participants veulent contribuer à placer le débat public sur des bases objectives. Ce sont particulièrement les journalistes qui doivent contribuer à une détente dans le dialogue. On n’a pas le droit de les empêcher d’accomplir cette tâche fondamentale. Pour la compréhension mutuelle, il est important de s’appuyer sur les bases communes existantes. L’approche du 70e anniversaire de la fin de la guerre et de la délivrance de l’Allemagne du régime national-socialiste en est une bonne occasion. C’est dans cet esprit que le groupe de travail médias du ‹Dialogue de Petersburg› continuera ses activités. Nous attendons le soutien de la part des gouvernements des deux pays.» (soulignements par l’auteur)
Le coordinateur allemand de la rencontre, le directeur de la station radiophonique Mitteldeutscher Rundfunk MDR Johann Michael Möller a été cité par la «Frankfurter Allgemeinen Zeitung»le 29 décembre comme suit: «Tout comme d’autres hôtes, le coordinateur de la partie allemande, le directeur du MDR Johann Michael Möller, regrette le ton résolument agressif à connotation morale des médias allemands dès qu’il s’agit de la Russie ou de l’Ukraine.»
Toutes ces voix, il faut le préciser, sont la cible de violentes polémiques de la part des médias soumis à la politique officielle des Etats-Unis. Mais il y a encore des personnalités ne se laissant pas intimider. On peut escompter que cette lutte continuera également en 2015. Pour nous citoyens et citoyennes, il se pose alors la question de savoir quelle doit être notre contribution pour donner davantage de poids à l’autre Europe.
On pourrait peut-être trouver une aide dans ce qu’a caractérisé la «Frankfurter Allgemeine Zeitung» le dernier jour de l’année, le 31 décembre, de «pragmatisme» dans les «milieux sécuritaires» britanniques. Tony Brenton, ancien ambassadeur britannique à Moscou, est cité à la fin de l’article de la manière suivante: «A une époque où les responsables de la politique extérieure avait encore une vision à long terme, l’idée que l’Europe pourrait affronter une Russie pleine d’amertume et dotée de l’arme atomique tout en développant parallèlement ses relations avec la Chine, aurait causé quelques inquiétudes. […] N’est-il pas temps de se diriger en direction d’une Russie, indéniablement affaiblie, et de trouver une voie de sortie de la crise ukrainienne en prenant en compte les intérêts de tout le monde?» •

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