Réflexions sur le diagnostic préimplantatoire

Réflexions sur le diagnostic préimplantatoire

par Erika Vögeli

Lorsque le 14 juin, nous devrons voter sur le projet du diagnostic préimplantatoire, nous nous trouvons face à une question complexe. Il s‘agit d’un amendement de l’article 119 de la Constitution fédérale pour que des tests génétiques – le diagnostic préimplantatoire (DPI) – puisse être fait sur des embryons créés dans une éprouvette. Le DPI pourra alors être permis dans la Loi sur la procréation médicalement assistée (LPMA). La proposition initiale du Conseil fédéral voulait autoriser le DPI uniquement pour les couples porteurs d’une maladie génétique grave, pour qui le recours au DPI devrait permettre d’empêcher la transmission d‘une maladie héréditaire.

Le processus en tant que tel soulève déjà de nombreuses questions éthiques. Mais suite aux amendements de la LPMA effectués par le Parlement en dernière lecture, le tout a pris une dimension nouvelle: dorénavant tout embryon produit artificiellement pourrait faire l’objet d’un dépistage de maladies héréditaires, de chromosomes surnuméraires ou manquants. Alors que l’article constitutionnel en vigueur permet la fécondation in vitro pour un nombre d’ovules humains «pouvant être immédiatement implantés» à la femme, l’amendement constitutionnel soumis à votation permettrait de développer le nombre d’ovules humains «nécessaires à la procréation médicalement assistée». Que veut-on dire par là? A quoi sert cette extension non-définie ainsi que ce découplement de la femme et de la grossesse? Aujourd’hui l’embryon est encore protégé avant qu’il soit placé dans l’utérus. Mais combien de temps encore et à quoi faut-il s’attendre par la suite?

Le débat sur l’élevage d’hommes dans le sens d’une sélection génétique est déjà lancé dans les médias principalement alémaniques. Dans les années trente, on appelait cela «eugénisme» – notion éveillant le fantasme abject d’une «race maître». C’est pourquoi les partisans de l’amélioration «technologique» de l’être humain tournent plutôt autour de la notion de «transhumanisme». Le progrès technique devraît ainsi obligatoirement entraîner la «progression» de la nature humaine. L’homme de demain devra être «post-humain». On peut dès lors se demander: A quelle humanité aspire-t-on? Qu’est-ce que le vrai progrès? Qui doit donner la direction?

Jusqu’à présent, le rêve de développer de prétendues thérapies génétiques ne s’est pas réalisé, malgré les milliards investis. Et de vastes recherches sur le cerveau comme le «Human Brain Project» nous font prendre conscience que nos connaissances sont encore extrêmement maigres. Tout en respectant les possibilités des connaissances scientifiques et le développement technique,  j’estime que la création du cosmos, de notre planète ou de la vie ainsi que la conception de la nature humaine ne relèvent pas des facultés humaines. Sans aucun doute, la recherche médicale nous a apporté beaucoup de bienfaits sans lesquels beaucoup de gens parmi nous et dans le monde ne pourraient vivre, ou alors avec de grands handicaps. La médecine nous permet la guérison là où jadis tout était sans espoir. Elle soulage les douleurs et les souffrances les plus insupportables. Elle nous facilite la vie et nous en sommes tous très reconnaissants. Mais les souffrances humaines, les maladies ou les troubles de vie font partie de notre existence et chacun de nous devra les affronter tôt ou tard.

Au-delà de la faisabilité, il faut s’interroger sur l’impact possible du Human Enhancement («l’amélioration humaine») sur nos sociétés. Loin d’être seulement technique, le débat réside plus profondément dans la perception que nous avons de la vie, de la condition humaine et de son inévitable imperfection. Il n’a guère été dit, dans ce débat, à quel point le génôme humain est plus complexe que ce qu’on avait imaginé. On ne peut pas simplement repérer et simplement disposer des différentes qualités sur les chaînes de chromosomes. Et de même, l’on ne tient pas assez compte de ce que différents scientifiques rapportent, par exemple de la perspective de l’épigénétique. Ils ont observé qu’au cours d’une vie il y a une interaction continue de données génétiques et d’influences de l’environnement biologique et social, rendant très vagues des pronostics qualifiés pourtant de sûrs.

Du point de vue psychologique j’aimerais ajouter ceci. Là, comme presque nulle part ailleurs, l’expérience montre que chaque être humain est depuis le premier jour un individu unique qui, en interaction constante avec ses semblables, forme sa propre personnalité et ses caractéristiques uniques. Malgré la similarité fondamentale de tous les êtres humains, la vision de l’hérédité du caractère et de la personnalité – d’ailleurs aussi de l’intelligence – ne resiste pas à cette réalité. Cela ne veut pourtant pas dire que nous ne pouvons pas identifier des conditions favorables à un bon développement physique, psychique, intellectuel et social. Les êtres humains luttent pour cela depuis qu’ils existent et nous profitons aujourd’hui des connaissances d’innombrables spécialistes ayant travaillé dans ce domaine.

Etant tous des êtres sociaux incapables de survivre sans autrui, nous ne pouvons nous épanouir que dans le rapport avec nos semblables. Nous ne sommes pas nés d’une simple accumulation de gènes idéaux et choisis. Nous sommes enchâssés dans le tissu de l’histoire humaine, faisons partie d’un développement historique, culturel et au sein des relations avec les autres – nés hic et nunc et grandis dans un entourage humain spécifique.

Ces interactions devraient davantage être prises en considération pour expliquer maintes maladies et développements. La seule considération de données génétiques nous a rendus aveugles dans beaucoup de domaines. Un exemple: aucune recherche génétique ou amélioration humaine ne saurait éliminer de notre planète l’impact de toutes les bombes et missiles,dont les particules fines radioactives se propagent dans les pays en guerre – mais aussi chez nous – et peuvent mener un jour ou l’autre dans la vie des personnes affectées à des ruptures et des défauts génétiques provoquant des tumeurs (multiples) malignes, des malformations et d’autres dommages. Depuis des années voir des décennies, on tente d’étouffer tout débats sur ce sujet. Un jour cependant, nous y serons confrontés.

«L’amélioration humaine» ne peut être un projet censé qu’à la condition de ne pas servir à la «progression» de l’individu en concurrence avec ses semblables, à la sélection des «meilleures» gènes, mais de favoriser une meilleure prise en conscience de notre nature humaine et un développement de tous les êtres humains vers davantage de solidarité et de compassion, de justice et de paix pour tous.

 

Génie génétique: «… jusqu’à présent rien d’applicable sur le plan thérapeutique n’a été développé …»

«Malgré d’énormes investissements publics et privés dans la recherche de la thérapie génétique et le versement de milliards de capitaux-risque à d’innombrables start-up dans le domaine de la biotechnologie, rien d’applicable n’a été développé à ce jour sur le plan thérapeutique.» (p. 32)
«Qu’en est-il de la ‹révolution génétique proclamée›, se demande dans une interview du Spiegel le philosophe spécialisé en éthique médicale Urban Wiesing. ‹Il y avait […] des prédictions que dans 15 à 20 ans la médecine consisterait essentiellement de thérapie génétique. A ce que je sache, jusqu’à présent il n’y a aucune étude qui examine la thérapie génétique sous l’aspect d’une utilisabilité thérapeutique et son application. Bref: Dans le domaine de la génétique, vu les nouvelles découvertes, on fait courir des pronostics bien loin de la réalité.›» (p. 32)
«Bien qu’on n’ait aucune idée vers quel but on court, on court toujours plus vite.» (p. 34)

Felix Hasler. Neuromythologie. Bielefeld 2012

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