Renforcer les enfants pour le contact avec les médias

Interview de Uwe Buermann, conseiller pédago-thérapeutique dans le domaine des médias*

Horizons et débats: Aujourd’hui, les médias sont omniprésents dans le quotidien. Pour nombre de parents, la question se pose de savoir comment aider leurs enfants à développer les compétences médiatiques nécessaires. Que faut-il à votre avis?

Uwe Buermann: Nous vivons à l’ère des médias. Et c’est bien ainsi, mais c’est un défi. Pour anticiper disons: les débats menés tel l’«Internet est-il bon ou mauvais, les smartphones sont-ils bons ou mauvais?», ne mènent à rien. En réalité, la question est: «Quelles capacités et compétences me faut-il pour utiliser les différents appareils et offres de façon sensée?» Les problèmes sont omniprésents et aussi l’urgence de se poser cette question. La problématique du cyber-harcèlement, par exemple, nous montre que ce n’est pas si simple avec la compétence médiatique qu’on a tenté de nous le suggérer, à nous parents, enseignants et éducateurs. L’argument «Il faut tout simplement confronter les enfants le plus tôt possible aux médias et ils vont automatiquement développer les compétences nécessaires» ne tient pas la route.

A votre avis, quelles sont les conditions pour un usage compétent des médias?

Les adultes commettent une erreur de transfert fatale. Je m’explique: les adultes utilisent et appliquent les appareils de manière sensée dans le domaine privé et professionnel et pensent que les enfants les utilisent de manière aussi sensée qu’eux. C’est un pêché envers nos enfants, car nous ne savons pas exactement ce qu’ils en font et ce qu’ils veulent exactement. Les enfants n’apprennent pas la compétence médiatique à l’ordinateur, mais dans la famille et à l’école. C’est là qu’on les initie au savoir et aux valeurs sociales et qu’on les rend aptes à utiliser les médias de manière appropriée.

Qu’est-ce qu’il faut savoir pour être capable d’utiliser les médias de manière appropriée?

Lors de mes conférences, j’ai l’habitude de poser la question des conditions d’utilisation. Presque toujours, il s’avère que les utilisateurs d’un smartphone n’ont que très rarement lu et compris les conditions d’utilisation de Facebook, WhatsApp et Instagramm. Je veux également savoir qui a lu son contrat de travail ou de location. Cela c’est évident qu’on le fait mais on ne lit pas les conditions d’utilisation de Facebook bien qu’elles soient un contrat valide. Cela se comprend en partie car, quand je lis mon contrat de travail ou de location, je peux à la rigueur le renégocier alors que ce n’est pas le cas avec Facebook. Pour tous les contrats sur Internet, je ne peux qu’accepter ou refuser.
Sur Internet, jusqu’à un stade avancé de l’inscription, j’accepte d’emblée les conditions générales mais, la partie juridique me trouble plus que ne m’informe et le choix entre «refuser» ou «accepter» est si difficile qu’«accepter» s’impose pour moi.
Maintenant, pensez à vos enfants! La question est la suivante: ils signent déjà dix ou douze contrats par semaine. Au fond, ils n’en ont pas le droit, mais ils le font quand même. Toute appli qu’ils téléchargent, les contraint d’accepter les conditions d’utilisation et ils signent un contrat sans en avoir lu un seul mot. Ils font comme nous. En imaginant nos enfants devant leur premier contrat de location ou de travail, d’où leur viendrait donc l’impulsion de lire un seul mot de ce contrat? Cela veut dire qu’ils le signeront tout comme ils signent les conditions d’utilisation d’une appli sans en avoir lu un seul mot. Nous en portons la responsabilité.

Vous mentionnez la responsabilité des adultes. Il en va dès le moment où nous donnons un smartphone à nos enfants et adolescents?

Oui, je dois constater lors de mes conférences qu’adultes et enfants font certaines erreurs collectives de raisonnement. «A partir de quel moment, a-t-on le droit de participer à WhatsApp?», ai-je demandé aux enfants. A partir de seize ans, avant c’est impossible. Et puis, j’ai demandé qui possédait quoi. Beaucoup ont des smartphones. Puis, j’ai demandé individuellement: «A qui appartient cela?» Stupéfaction et réponse: «A moi!» Et moi de répondre seulement: «Je te donne une deuxième chance.» Alors là, on avance des théories intéressantes: «Google?» Finalement, on s’approche de la bonne réponse: «A mes parents?» Déjà mieux, mais toujours faux. Nous voilà au point crutial. Partout, je peux acheter sans problème une carte SIM pour mon portable prépayé, mais il faut toujours l’activer par Internet ou téléphone fixe. Et là, il faut donner les coordonnées d’une personne âgée d’au moins 16 ans. Chaque carte SIM est et reste enregistrée sous le nom d’une personne. Ce ne sont pas les parents, mais très concrètement le père ou la mère qui a signé. Si l’on veut conclure un contrat pour un portable ou un smartphone, on doit avoir 18 ans et présenter une carte d’identité. L’appareil est enregistré sous le nom de cette personne. L’erreur collective de raisonnement est que les parents pensent toujours qu’ils pourraient faire cadeau d’un smartphone à leur enfant. Juridiquement, c’est impossible. Ils peuvent le prêter, à qui que ce soit, mais la carte SIM reste enregistrée à leur nom et ceci pour une durée illimitée. Voilà le problème. Quant à WhatsApp, on ne doit indiquer ni son nom ni sa date de naissance lorsqu’on s’inscrit. Mais on a besoin d’un numéro de portable et comme celui-ci n’est attribué qu’à partir de seize ans, il est juridiquement garanti qu’aucune personne n’ayant pas atteint l’âge de seize ans participe à WhatsApp; car ce n’est pas votre enfant qui participe à WhatsApp, mais votre enfant participe à WhatsApp en votre nom. Si alors quelque chose tourne mal, s’il y a une plainte pour injure, sexting ou autre, cette plainte est adressée à papa ou maman, à la personne enregistrée sous ce numéro. Nombre de personnes ne se rendent pas compte de ce fait. En tant qu’adultes, nous sommes responsables de ce que nos enfants et nos adolescents font sur les appareils. Nous avons un devoir d'assistance envers eux.

Peut-on protéger ses enfants en tant que parents?

C’est une question difficile. Tous ceux qui vont sur Appstore ou Google-Playstore, savent bien qu’il n’y a pas de limite d’âge. Nos enfants ont accès à toutes les applis, en tout cas à celles qui sont gratuites. Ni Google ni Apple ni Microsoft, ont besoin de se préoccuper de la protection des mineurs parce que, au sens juridique, personne en dessous de seize ans a accès à ces offres. Les parents sont responsables de leurs enfants. C’est si simple que ça.

Ils faut donc assumer nos responsabilités comme dans d’autres domaines aussi.

Oui, prenons l’exemple de la voiture. En tant que propriétaire d’une voiture, elle est enregistrée à mon nom. J’ai le droit de la prêter à qui que ce soit. Mais au moment où elle est prise dans un radar, c’est moi qui reçois l’amende de la gendarmerie, c’est moi qui suis responsable. Il en est de même pour les smartphones et les portables. Ce qui est différent, c’est que le smartphone et aussi l’iPod-Touch offre l’accès incontrôlé à Internet. Il faut en être conscient. On ne peut pas compter sur les fonctions protectrices offertes. Sur YouTube, il y a un mode d’emploi pour déactiver la fonction parent-contrôle de tous les smartphones. En réalité, ces appareils permettent un accès incontrôlé à Internet.

Qu’est-ce que cela veut dire concrètement?

Par exemple: tout le monde a entendu que ces derniers mois, les terroristes de l’Etat islamique ont décapité plusieurs journalistes occidentaux et japonais. Tout le monde le sait, car les médias avaient informé que les vidéos respectives étaient sur YouTube. Soyons sincères, on apprend une telle chose et la trouve tellement épouvantable qu’on n’a même pas l’idée d’aller regarder la vidéo sur YouTube. Dans mes conférences, j’ai appris qu’il n’en est pas de même pour les adolescents. Plus de la moitié a regardé ces vidéos, que cela nous plaise ou pas. Et soyons honnête, si à l’époque, nous avions pu regarder des films porno, on l’aurait fait, nous aussi. Il ne faut pas faire de reproches aux jeunes. Mais actuellement c’est plus de la moitié des garçons et des filles. Cela fait également partie de la réalité des smartphones. Il s’agit de ce monde parallèle auquel nous devons faire face. Et du point de vue technique, nous sommes impuissants.

Les adolescents utilisent les médias donc différemment?

Oui, les adolescents n’envoient plus de courriels et attendent la réponse arrivant éventuellement dans quelques heures ou quelques jours. Avec WhatsApp, ils connaissent toujours le statut actuel du collègue. S’il est «en ligne» et qu’on lui envoit un message, il le recevra dans l’instant même et l’autre, selon le peer group, a environ cinq à dix minutes pour y répondre. Sinon, il y a un problème. Beaucoup de jeunes restent en ligne en permanence – même si l’école l’interdit.
Grâce à la recherche sur le sommeil, nous savons aujourd’hui, que cette utilisation «en ligne» des smartphones a des répercussions sur le sommeil des enfants et des adolescents. Ils se réveillent souvent la nuit pensant que le portable vibre. Les phases de sommeil profond sont réduites ce qui empêche l’assimilation de l’acquis durant la journée et diminue peu à peu la performance scolaire.

Quel conseil donneriez-vous aux parents?

Conseil d’urgence: si vous pensez que votre enfant devrait avoir un tel appareil, introduisez, dès le début, la règle que les appareils doivent être éteints et remis aux parents à une heure convenue en fonction de leur âge et qu’ils n’ont pas le droit de les garder dans leur chambre. Vos enfants vont peut-être vous faire la moue, c’est possible, mais c’est dans l’intérêt de vos enfants et aussi dans celui des adolescents.

Sous quelles conditions mettriez-vous un smartphone à la disposition d’un adolescent?

Voilà un autre conseil que je vous donne d’urgence si vous pouvez encore le suivre: il ne faut jamais donner les smartphones le 24 décembre ou à l’anniversaire de l’enfant. Cela favorise l’erreur de le considérer comme un cadeau. Je répète: vous ne pouvez pas le donner en cadeau, cela ne va pas du tout. Et cela veut dire que, si vous voulez absolument donner un smartphone à votre enfant faites-le un jour ouvrable normal, s’il vous plaît.
Et dans votre propre intérêt, faites un contrat de prêt par écrit. Vous en trouvez des modèles sur Internet (contrats de prêt entre parents et enfants pour la remise d’un smartphone). Dans ce contrat de prêt vous définissez de manière claire et nette sous quelles conditions vous êtes prêts de remettre un tel appareil à votre enfant. Vous, en tant que parents, avez naturellement à tout moment le droit de visionner les comptes-rendus pour savoir ce que votre enfant a écrit en votre nom. L’appareil est enregistré à votre nom! Faisant cela, dès le début, cela marchera encore à 15 ou 16 ans. Et puis, les enfants vont apprendre, qu’ici, il ne s’agit pas de sphères privées, car il n’y a pas de sphères privées sur Internet. Et là, vous avez l’occasion de définir exactement ce qui est permis: «Si j’apprends que tu regardes des films pornographiques, que tu as affaire avec sexting, que tu participes même passivement à un harcèlement, je vais confisquer l’appareil pour un certain temps.» En convenant cela, dès le début, cela pourra marcher.

Et si les enfants possèdent déjà un tel appareil?

Alors là, cela pose plus de problèmes. J’en conviens, vous ne pouvez pas rentrer à la maison et reprendre l’appareil. Cela ne marche pas. Il ne vous reste plus qu’à mener plusieurs conversations approfondies et à essayer de renégocier pour arriver à un règlement à posteriori.

Il y a aussi le problème de la surveillance des données.

Bien sûr, il faut prendre beaucoup plus au sérieux toute cette surveillance des données. Il y a des alternatives à WhatsApp. Je me rends compte que je ne peux pas dire tout simplement: effacez WhatsApp! Si les enfants sont déjà de la partie et en pleine dynamique de groupe, je ne peux pas leur dire qu’il faut laisser tomber. Du point de vue de la protection des données, WhatsApp pose un énorme problème depuis qu’il appartient à Facebook. C’est, du point de vue de la protection des données, la pire appli qu’il y ait en ce moment. Beaucoup ne le savent pas: depuis les deux dernières mises à jour obligatoires, ils ont ajouté le droit de prendre des photos. Cela veut dire que si l’appareil est équipé d’une caméra à chaque fois lorsqu’on démarre WhatsApp l’utilisateur est photographié. Depuis bien longtemps, on sait que Facebook édite toutes les photos de manière biométrique. C’est-à-dire, même si je n’ai pas remis de profil d’utilisateur, Facebook en connaît leurs visages. Depuis la dernière mise à jour obligatoire en janvier dernier, Whats­App a maintenant accès par microphone. Ne paniquez pas, cela ne se passe pas en permanence, le réseau de données n’en est pas capable, mais cela arrive.

Y a-t-il des alternatives à WhatsApp?

L’alternative que j’ai donnée aux élèves: selon ma connaissance et en mon âme et conscience, c’est Threema, un produit de qualité suisse. Les programmeurs sont à Zurich. Threema fait tout ce que fait WhatsApp – constituer des groupes, des messages vocaux, des photos, des textes. L’avantage est qu’après deux mois, les données sont automatiquement effacées sur le serveur. Donc personne ne pourra avoir, à l’avenir, des problèmes dans sa vie professionnelle pour ce qu’il a posté en tant qu’adolescent. Chez Threema, tout est crypté «peer to peer». Donc l’alternative actuelle, c’est Threema. Il n’y a pas de publicité et les données ne sont pas transmises à des tiers. Qu’est-ce qu’on veut de plus? «L’état actuel» veut dire bien sûr: si jamais vous prenez connaissance, dans les médias, que Threema a été rachetée, il faut bien sûr changer. Il serait bien que vous en tant que parents, souteniez vos enfants – s’ils utilisent actuellement WhatsApp – d’inciter leurs collègues d’aller sur Threema. Je sais bien que cela pose des problèmes. Si je dis à un adolescent de changer, d’aller sur Threema et ses camarades ne participent pas, ça ne sert à rien. C’est pourquoi j’ai animé les adolescents, d’envoyer, aujourd’hui, le dernier message WhatsApp de leur vie, à tous leurs contacts avec le contenu suivant: «Je ne suis pas dingue, je ne participe plus ici, dès maintenant vous allez me trouver sur Threema.»

Revenons à la surveillance des données, sujet important!

Il faut prendre au sérieux la surveillance des données ainsi que leur évaluation. Il faut mettre un terme à l’arrogance régnant dans le monde des adultes. Ce qu’on entend par ci par là: «Ça m’est égal, s’ils sont au courant, je ne suis tout de même pas un terroriste, je n’ai rien à cacher!» Bien, mais arrêtez. Il faut se rendre compte de la responsabilité qu’on a quand on distribue, en cours, des sujets d’exposé. Si je demande à un élève: «Fais un exposé sur les terroristes de l’EI» et je le laisse aller sur Internet, sans le prévenir, il peut alors être enregistré directement sur la liste noire des Etats-Unis. C’est un fait. Et moi en tant qu’enseignant, je suis responsable, pas juridiquement mais moralement. Et c’est la même chose pour vous en tant que parents, si vous êtes habitués à regarder tout sur Internet. Selon le sujet, vous vous manœuvrez sur un champs de mines. Vous ne pouvez pas surfer sous le couvert de l’anonymat, oubliez-le. Il en va de notre devoir d’assistance!

C’est l’homme transparent …??

Je l’expliquerai à l’exemple de Google. Vous tous, vous avez utilisé Google, au moins une fois, vous savez que YouTube appartient à Google. Alors vous savez que vos enfants ont quotidiennement affaire à Google. Là, vous taper un mot de recherche, disons «sch». Déjà au moment où vous êtes en train de taper «sch», vous obtenez un maximum de dix propositions. Et maintenant, c’est clair, lorsque je tape «sch» et vous aussi, on n’obtiendra pas les mêmes listes de propositions. Vous avez réfléchi à cela? Peu importe quel ordinateur j’utilise. J’obtiens mes propositions bien que je ne sois pas inscrit. Quel est le secret? Chaque clic de touche est transféré à Google, Ebay, Amazon, etc. Ce qui vaut pour le clavier vaut également pour la souris. Google sait exactement si vous lisez la liste des propositions. On voit cela à la vitesse de défilement. Le profil interne de Facebook enregistre combien de minutes et secondes vous avez passé sur quelle chronique et quels passages d’une chronique vous avez lus ou pas. Le véritable secret est que chaque individu qui maîtrise taper à l’ordinateur a une manière de taper absolument unique et identifiable, tout comme chacun a une écriture individuelle, absolument unique et identifiable. Lorsque je vous rends visite et travaille à votre ordinateur, après deux minutes, au plus tard, le système de Google sait que je suis actuellement devant votre ordinateur. Le système reconnaît dans l’instant qui est à l’ordinateur et envoie la publicité appropriée. Depuis longtemps, Internet est individualisé.

La responsabilité des adultes envers leurs enfants est donc essentielle?

Oui, d’un côté par rapport aux données collectées sur les enfants et les adolescents. Les traces sur Internet sont ineffaçables. Plus nous sommes âgés, plus proche de la fin de vie nous sommes, moins cela nous concerne. Nous avons notre emploi, notre appartement, nous avons notre assurance. Mais je vous rappelle votre devoir de soins pour les enfants. De plus en plus de chefs du personnel font recours aux données d’utilisation d’Internet pour décider qui va être embauché. Cela joue également un rôle pour les assurances. En Allemagne, par exemple, en cas de cambriolage, une assurance a le droit de demander au preneur d’une assurance-ménage s’il est chez Facebook ou WhatsApp. S’il répond par non et s’il s’avère qu’il n’a pas dit la vérité, il perd les droits à des prestations d’assurance. S’il répond par oui, l’assurance a le droit d’acheter les communications des trois derniers jours auprès de Facebook. Tout ce qu’a écrit cet utilisateur sur Facebook ou WhatsApp! Et s’il a, par exemple, écrit, «nous partons pour le weekend», cela compte pour une négligence grave et il perd sa couverture. Jusqu’alors nous n’avons pas de précédent, mais il ne va pas tarder de se produire. C’est comme si vous laissez sur votre messagerie: «Les deux semaines à venir nous serons à Majorque». Dans ce cas, vous perdrez également votre couverture. Ce n’est que le début. D’autres assurances, les assurances responsabilité civile, par exemple, vont avoir recours aux données enregistrées des clients pour ne pas devoir rembourser. Il faut prévoir cela pour nos enfants. Alors, ne le prenez pas à la légère, s’il vous plaît!

Quelle est donc la bonne voie vers la compétence médiatique?

Avec ce que j’ai dit au début, je suis très sérieux. Je ne veux pas dire que les smartphones sont mauvais. Je ne veux pas dire que l’internet est mauvais. Je me rends parfaitement compte que tout cela présente aussi des avantages. Réfléchissez à ce que je viens de dire. La question qui se pose est la suivante: «De quelles compétences et de quelles capacités, l’utilisateur doit-il disposer afin de pouvoir l’utiliser de manière sensée?» Je ne dis pas, il ne faut pas utiliser Facebook. Mais il faut bien faire attention à ce que j’y écris. En résumant tout cela, nous voyons que nous sommes confrontés à un dilemme. C’est cela que je critique dans l’éducation aux médias. La question est réduite à: suis-je capable de manier les appareils? Ce n’est pas de la compétence médiatique, déjà les gamins de trois ans savent le faire. Mais les faits que je viens de présenter montrent clairement qu’il s’agit de questions beaucoup plus importantes telles que «Est-ce que j’ai la capacité de juger mon propre comportement?» «Suis-je capable de distinguer quels sujets je peux rechercher sur Internet et quels sujets il vaut mieux rechercher dans une bibliothèque?» «De quels sujets puis-je discuter avec mes camarades sur Internet, qu’est-ce qu’il faut plutôt dire de bouche à oreille ou au téléphone ou par courrier?» «Il y a des choses qu’il vaut mieux écrire dans une lettre que sur Internet, même en 2015.» Même les adultes ne se rendent pas compte de tous ces contextes, comment donc les adolescents de 14 ans pourraient être en mesure. Nous savons tous qu’à l’âge de 14 ans, le premier objectif est d’avoir 16 ans et les utopistes de la classe envisage l’âge de 18 ans et tout ce qui vient après, c’est de la science fiction. Bien sûr, que je peux dire à l’adolescent: «Pense à ta carrière professionnelle.» C’est ce que nos parents et professeurs nous ont également dit. Cela entre par une oreille et sort par l’autre. Et là, nous avons un autre dilemme historique. Nous, on pouvait se le permettre. Nous tous, on a fait pas mal de bêtises. Et ce qui est le plus beau, personne ne sait tout ce qu’on a fait. Même nos conjoints et conjointes ne savent pas quelles bêtises on s’est racontées. Le problème des jeunes gens d’aujourd’hui est le suivant: en utilisant Internet et les smartphones de manière insouciante, comme ils le font en ce moment, ils seront potentiellement vulnérable au chantage. Voilà le problème et cela veut dire que le règlement «smartphone seulement à partir de seize ans», n’est pas seulement correct au sens juridique mais aussi d’un point de vue de psychologie du développement. Nous devrions nous rendre compte – je sais bien que c’est tout à fait à contre courant – que lorsque je remets un smartphone à un jeune de 12 ans, l’une ou l’autre catastrophe est programmée (soit le sexting, le harcèlement ou des problèmes dans la vie professionnelle). La question est seulement de quelle catastrophe il s’agira.

Cela veut dire que les adultes doivent agir de manière préventive et prendre au sérieux notre devoir de soins à leur égard?

Oui, il faut espérer que les futurs parents soient plus fermes que la génération de parents concernée actuellement. A cet âge, la pression du groupe a toujours existé. Il y a les fringues de marque, les skateboards, et maintenant les smartphones. On ne pourra pas empêcher cela. Mais que ce soit les smartphones, c’est fait maison. Dans chaque classe, il y a eu un couple de parents qui a eu l’idée de rendre heureux son enfant en lui donnant un smartphone; ensuite, il y en a eu deux, puis trois. Tous rentrent à la maison en disant: «Tout le monde a un smartphone, j’en ai besoin, moi aussi.» Et une famille après l’autre craque. Pourquoi? Parce qu’on a tous été infectés par cette propagande: «Qui n’habitue pas assez tôt son enfant aux médias met en danger son avenir.» Il faut comprendre que le contraire est le cas. Les enfants ne doivent pas apprendre cela très jeunes. Autre exemple: la conduite de la voiture. En Suisse, le permis de conduire présente également un avantage professionnel. Mais jamais personne n’a demandé qu’on fixe des pédales aux tables du primaire afin que les enfants apprennent à conduire en jouant. Et aussi en Suisse, on n’a pas de débat par rapport au «permis à 14 ans». On demanderait à un adolescent de 13  ans: «Préfères-tu conduire toi-même?» On peut être sûr qu’il le ferait volontiers et démarrerait. Mais personne ne discute de cela parce qu’on sait qu’il faut plus de connaissances que de savoir quel levier il faut manier dans la voiture pour pouvoir participer au trafic. Je dois savoir agir de manière proactive. A l’âge de 14 ans, je n’en suis pas encore capable, il y en a qui ne le sont pas même à vingt ans. Et voilà pourquoi on est d’accord: pas de permis avant 18 ans!

Pourtant les enfants sont avec nous dans la voiture! …

Bien sûr que cela ne veut pas dire qu’on ne prend pas les enfants en voiture. Il ne faut pas voir ici une fausse pédagogie préventive. Mais tout comme on conduit ses enfants et les empêche de prendre le volant eux-mêmes, on devrait traiter Internet qui est incontrôlable. Lorsque mon enfant me pose une question et je ne connais pas la réponse, alors c’est moi le père qui regarde sur Internet, et pas mon enfant de 8 ans. Ainsi les enseignants se procurent des documents sur Internet, aujourd’hui. Les enseignants les choisissent de la même manière qu’ils choisissent les documents à photocopier. Le moment de passer du «nous utilisons Internet avec et pour nos enfants» au «je permets à mon enfant d’utiliser Internet de manière autonome» dépend de l’âge et du développement de nos enfants.

Cela veut dire que là aussi, il faut que nous assumions nos responsabilités.

On a échoué pour toute une génération, soyons honnêtes, on a échoué. Les enfants ont les appareils. Pour cette génération, il faut tenter de limiter les dommages. Mais il faudrait apprendre et en tirer les conséquences le plus vite possible afin de ne pas faire les mêmes erreurs pour les générations qui suivent. Et c’est pourquoi nous devons penser autrement: une vraie compétence médiatique qu’on souhaite tous de tout cœur, commence par l’abstinence des médias – non pas dans le sens d’une pédagogie qui veut tout éviter, non, mais en faveur de la formation des capacités qu’il faut pour utiliser les médias de façon raisonnable.

Monsieur Buermann, nous vous remercions de cet entretien.     •

(Interview réalisée par Eliane Gautschi)

*     Uwe Buermann est de Berlin. Il travaille comme conseiller pédago-thérapeutique dans le domaine des médias à la Freie Waldorfschule Mittelrhein.
Il est cofondateur et collaborateur scientifique chez IPSUM. IPSUM, c’est l’institut pour la pédagogie, l’écologie des sens et des médias avec siège principal à Stuttgart et une succursale à Kiel. Depuis 19 ans, M. Buermann donne des conférences sur le sujet des médias dans des écoles maternelles,
des écoles, des seminaires, des hautes écoles et des universités en Allemagne, Autriche, Suisse et en Tchéquie. En 2012, il a développé en collaboration avec les autorités scolaires une conception des médias pour la ville de Wil SG.

Une étude de la «London School of Economics» démontre que l’interdiction des portables en classe engendre une hausse des performances scolaires et une plus grande égalité des chances

ev. Une étude du «Centre for Economic Performance» de la «London School of Economics» a analysé l’influence de l’utilisation des téléphones portable sur les performances scolaires des élèves de 11 à 16 ans. Elle a mis en évidence une hausse moyenne de 6.41% des notes des élèves, consécutive à l’interdiction de l’usage des portables, et qui pourrait toutefois aller jusqu’à 14.23% dans le cas des élèves en échec scolaire si l’interdiction était totalement respectée.
Ainsi, selon les termes de l’étude: «Suite à l’interdiction de l’usage des téléphones portables en classe, nous avons constaté une amélioration des notes de 6.41% sur l’écart-type lors des résultats des contrôles de classe. Nos résultats mettent en évidence l’absence d’amélioration significative des résultats des élèves si l’interdiction n’est pas globalement respectée. Ce résultat ne concerne toutefois que les élèves les plus défavorisés et les moins performants. Dans le panel concerné par l’étude, le quart inférieur des élèves ayant obtenu les notes les plus basses lors des précédents contrôles ont vu une amélioration de 14.23% de leurs résultats sur l’écart-type, alors que l’interdiction des portables n’a eu aucune influence, positive ou négative, sur les notes des élèves les plus performants. Les résultats suggèrent que l’attention des élèves les moins performants est plus susceptible d’être détournée par la présence d’un téléphone portable, alors les plus performants sont capables de se concentrer sur leurs cours indépendamment de toute réglementation concernant ces mêmes portables. Cela indique aussi que les effets négatifs de l’usage du portable n’impactent pas les élèves les plus performants. Les écoles peuvent sensiblement réduire les disparités en interdisant l’usage des téléphones portables à l’intérieur du périmètre scolaire, et New York [qui au contraire a supprimé en mars 2015 une interdiction du portable pour 10 ans afin d’améliorer l’égalité des chances] en autorisant le portable à l’école pourrait involontairement accroître l’inégalité des résultats scolaires» (p. 3)
Il n’est pas difficile de comprendre que les élèves qui ont des problèmes de concentration voient leur attention distraite par le portable – tout comme téléphoner lorsqu’on est au volant détourne la vigilance et augmente la probabilité d’accidents de la route. Dans une optique d’égalité des chances, une interdiction générale du portable à l’école serait par conséquent tout bénéfice et – comme le font à juste titre remarquer les auteurs de l’étude (p. 18) – également un moyen bon marché de réduction des inégalités.

Louis-Philippe Beland et Richard Murphy.
Ill Communication: Technology, Distraction & Student Performance. London School of Economics and Political Science. Centre for Economic Performance.
London 2015
(Traduction Horizons et débats)

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