La déclaration du sommet de la zone euro du 12 juillet est, en fait, un aveu d’échec

La déclaration du sommet de la zone euro du 12 juillet est, en fait, un aveu d’échec

Il est temps de réfléchir à un développement socialement acceptable de la zone euro

par Karl Müller

On a beaucoup parlé et écrit au cours de la semaine qui a suivi la déclaration du sommet de la zone euro du 12 juillet 2015. Les résultats eux-mêmes et le chemin suivi pour y arriver ont été soumis à une forte critique. Toutefois, il est remarquable qu’aucune voix ne se soit permise de remettre en question le système en tant que tel.

Les voix critiques plutôt de gauche voient dans la déclaration prise au sommet de la zone euro un pas vers la destruction de l’espace sacré de l’euro et de l’intégration européenne vers un Etat fédéral UE. Le gouvernement allemand est particulièrement visé par ces critiques. On parle clairement d’une atteinte à la démocratie, d’un avilissement, d’une humiliation et d’une mise sous tutelle de la Grèce. Mais, en même temps, on demande davantage d’UE. Est-ce logique?
D’autres esprits critiques s’en prennent avec arrogance au gouvernement grec et à sa politique suivie jusqu’à présent. Selon eux, la Grèce doit être exclue de la zone euro, cette dernière ne pouvant pas jouer le rôle d’une union de transfert avec une péréquation financière entre des Etats totalement hétérogènes au niveau économique. Par contre, l’UE aurait besoin de plus de discipline et d’une meilleure conduite, de préférence une discipline et une direction allemandes. Est-ce vraiment une perspective équitable et démocratique?
Pourquoi ne parle-t-on pas de ce qui saute aux yeux? Par exemple de ce que prédisent certaines personnes, dont le groupe autour du professeur Karl Albert Schachtschneider, depuis plus de 15 ans: cette construction artificielle – décidée d’en haut, d’une monnaie unique destinée à des Etats fondamentalement différents les uns des autres, ayant des traditions et des modes de vie fort différents, avec des structures et des forces économiques divergentes, avec des mentalités politiques disparates – ne peut aboutir qu’au prix de bouleversements importants, voire d’une dictature renforcée imposant ses volontés aux Etats et aux peuples; donc la fin de toute liberté et de la souveraineté démocratique.
A vrai dire, la déclaration du sommet de la zone euro du 12 juillet 2015 est un document de honte. 19 chefs d’Etats et de gouvernements de pays européens ont signé une déclaration que l’on ne peut prendre que comme un diktat envers la Grèce et comprendre comme une exigence envers elle de s’abandonner elle-même et de se soumettre.
On désigne le gouvernement actuel de la Grèce comme seul responsable de cette situation du pays. Ce gouvernement se retrouve dans l’obligation de se renier lui-même parce que, dans un langage orwellien, «la confiance envers le gouvernement grec doit absolument être rétablie.» C’est grotesque. Les mesures dictées à la Grèce vont toutes dans le sens de celles qui ont plongé la Grèce dans la crise au cours des cinq dernières années. Les 19 chefs d’Etat et de gouvernement se permettent même d’écrire «que les Etats membres de la zone euro ont, tout au long de ces dernières années, adopté une série impressionnante de mesures pour soutenir la viabilité de la dette de la Grèce, qui ont allégé le service de la dette de la Grèce et sensiblement réduit les coûts.» Puisque les «sérieux doutes concernant le caractère soutenable de la dette grecque» sont dû «au relâchement des politiques [du gouvernement grec] au cours des douze derniers mois, entraînant la dégradation récente de l’environnement macroéconomique et financier du pays.»
Comme il ne semble pas possible d’avoir confiance dans le gouvernement grec et du fait que ni le Parlement et encore moins le peuple grec – s’étant comporté dans un esprit d’insubordination le 5 juillet, selon le groupe euro – n’ont le droit de décider souverainement, il y aura des «réductions quasi-automatiques du budget grec», au cas où les «excédents primaires ambitieux» ne seraient pas atteints – toutefois «uniquement suite à l’accord des institutions [FMI, BCE et Commission de l’UE]». Etant donné qu’on ne peut faire confiance aux Grecs, il faut envisager que toutes les mesures futures seront prises «en accord avec les institutions». Les actifs grecs de valeur doivent être transférés dans un fonds afin qu’ils puissent être «monétisés» à l’aide de privatisation, c’est-à-dire probablement vendus à des investisseurs étrangers. Et comme, on ne peut là non plus faire confiance aux Grecs, ce fonds sera mis «sous la supervision des institutions européennes concernées». Même la «modernisation» de l’administration publique grecque, laquelle entraînera des suppressions d’emplois massives dans le service public, sera placée «sous l’égide de la Commission européenne.»
La Grèce doit fondamentalement se soumettre: «Le gouvernement doit consulter les institutions et convenir avec elles de tout projet législatif dans les domaines concernés dans un délai approprié avant de le soumettre à la consultation publique ou au Parlement.»
On laisse toutefois la porte ouverte à des négociations sur les nouvelles «aides financières» (de la monnaie pour payer les anciennes dettes). Mais «c’est la Grèce qui porte la responsabilité de mener rapidement ces négociations à terme.»
En fait, il s’agit d’un document honteux destiné à abaisser la Grèce, dévoilant l’arrogance insupportable des autres Etats de la zone euro. Mais plus encore, c’est la manifestation d’un échec. Ce texte ne vaut pas le papier sur lequel il a été écrit. Cette façon d’afficher la dictature aura pour effet de diviser davantage encore qu’auparavant l’Europe et de monter les Européens les uns contre les autres. C’est ce qui apparaît au vu des réactions enregistrées depuis. On ne peut que constater la dislocation étape par étape de ce qui ne fonctionne pas ensemble. La seule question qui se pose et de savoir quel est le coût de l’opération. On ne peut que souhaiter à la zone-euro une insolvabilité ordonnée – sans trop gros sacrifices pour les populations. Ce qu’on fait actuellement est simplement un retardement de l’insolvabilité.
Pourquoi ne pas commencer à réfléchir à la façon de transformer la zone euro (et peut-être aussi toute l’Union européenne dans sa forme actuelle) de façon ordonnée et socialement acceptable. Pourquoi ne pas attribuer aux Etats de la zone euro et de l’ensemble de l’UE davantage de souveraineté et donc d’indépendance et de responsabilité individuelle? Les profiteurs de la zone euro et de l’UE doivent eux aussi se mettre à réfléchir à la hauteur du prix final de leur projet au niveau économique, politique et humain. Est-ce que cela en vaut la peine? Ne serait-ce pas pour tous une situation beaucoup plus supportable si l’Europe retrouvait à nouveau plus de liberté, de droit, de souveraineté démocratique et de dignité humaine? Même si cela devait déplaire au grand frère d’Outre-Atlantique.    •

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