Seifhennersdorf, situé dans l’arrondissement Görlitz, est une commune de la Haute Lusace du land de Saxe, à environ 50 kilomètres au sud de Bautzen, directement à la frontière germano-tchèque. Depuis l’adhésion de la RDA au territoire d’application de la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne, cet endroit a perdu de nombreux habitants. Auparavant, il y avait 8000 habitants, aujourd’hui il en reste 4300. Le 7 novembre 2014, le quotidien «Badische Zeitung» de Fribourg-en-Brisgau a titré: «Seifhennersdorf semble être l’endroit le plus malheureux de Saxe». Dans le reportage il est dit que: «La femme maire se sent comme de nombreux maires vivant près des frontières orientales de l’Allemagne de l’Est. Elle est aux prises avec des puissances du mal […]. Des forces silencieuses sont à l’œuvre pouvant impitoyablement couper l’air à un tel endroit. Les jeunes et les familles quittent le lieu, les enfants et les adolescents manquent, il ne reste plus que les personnes âgées et celles dans le besoin.
Le pouvoir d’achat diminue, les magasins et supermarchés nouvellement installés n’arrivent pas à survivre. Les activités culturelles disparaissent, les prix des maisons et des terrains chutent. Les localités s’appauvrissent. En outre, on préconise depuis 1990 en Saxe une politique d’austérité. […] Depuis 1990, la Saxe a fermé plus de mille écoles, Seifhennersdorf a également été touchée. Le maire, Mme Berndt, a lutté jusqu’au bout contre la fermeture de son école secondaire, mais sans succès, actuellement elle est vide. Sa plainte contre le Plan scolaire du land de Saxe se trouve encore devant la Cour constitutionnelle fédérale. ‹On verra›, dit-elle.»
Les visiteurs de la commune parlent de la haute conscience des citoyennes et citoyens et du courage de leur maire. Depuis le 19 novembre 2014, ils ont écrit une pièce importante de l’histoire du droit fédéral allemand. Car ce jour-là, la Cour constitutionnelle fédérale allemande (2BvL 2/13) a déclaré que la loi scolaire de Saxe et la planification du réseau scolaire prescrit au niveau du district pour les écoles primaires et secondaires étaient anticonstitutionnelles. Elle a en outre reconnu aux communes en tant qu’organisme compétent un «droit de codécision efficace». Dans les principaux éléments de cet arrêt, il est indiqué que «la responsabilité pour les écoles primaires et secondaires, organisées dans le passé en tant qu’‹écoles publiques›, est historiquement une tâche appartenant à la communauté locale. Il fait notamment partie des tâches des instances scolaires responsables – normalement avec la participation de l’Etat – de décider si une école doit être établie ou fermée.»
La Cour constitutionnelle fédérale devait se prononcer sur une requête de la Cour administrative de Dresde. Celle-ci avait répondu à une plainte de la commune de Seifhennersdorf, déposée en mars 2011, dont l’école secondaire avait été fermée contre la volonté de la commune en arguant qu’il n’y avait plus assez d’élèves. La loi scolaire avait donné aux arrondissements du land, c’est-à-dire au niveau étatique supérieur à la commune, le pouvoir de décider, à l’aide de «plans de réseaux scolaires», quelles écoles allaient être maintenues et lesquelles devaient disparaître. Les communes n’y avaient pas droit au chapitre.
L’arrondissement auquel appartient la commune de Seifhennersdorf avait décidé en 2010 de fermer l’école secondaire de cette localité. L’opposition de la commune n’a pas été prise en compte. Elle a donc entamé une procédure au tribunal administratif compétent de Dresde. Ce tribunal avait décidé de faire vérifier la constitutionnalité de la loi scolaire en question étant à la base de la fermeture de l’école, avant de s’occuper de la plainte de la commune.
L’autonomie communale – comparable à la liberté des communes suisses ou à leur autonomie – a une longue tradition en Allemagne. Elle débuta avec les réformateurs prussiens du début du XIXe siècle. Leur mentor était Heinrich Friedrich Karl Freiherr vom und zum Stein. Après la dictature national-socialiste, la mise au pas de tous les échelons et niveaux étatiques et la centralisation du pouvoir politique, cela devint pour les créateurs de la Loi fondamentale allemande un devoir suprême d’empêcher une nouvelle centralisation du pouvoir entre les mains de quelques-uns et de construire le nouvel Etat de manière aussi décentralisée et proche du citoyen que possible. La consolidation de l’autonomie communale dans l’article 28 de la nouvelle Loi fondamentale avait ce sens: «Aux communes doit être garanti le droit de régler, sous leur propre responsabilité, toutes les affaires de la communauté locale, dans le cadre des lois.»
Après la guerre, on insista sur le fait que le droit à l’autonomie des communes était étroitement lié à l’engagement des citoyens. C’est en ce sens que s’est exprimée la responsable pour le droit communal, le droit électoral et les écoles de Bade-Wurtemberg lors de la journée des communes dans le journal «Die Gemeinde» (BWGZ 12/2009): «Les Constitutions communales sont le résultat de l’autogestion garantie dans la Loi fondamentale allemande. Qu’entend-on par autogestion? C’est l’idée que les citoyennes et les citoyens organisent eux-mêmes les affaires de la communauté locale de manière responsable. La coresponsabilité citoyenne est la clé de voûte de l’autonomie communale. Des citoyennes et citoyens, s’engageant au-delà du cercle étroit de leur famille, sont indispensables pour une société démocratique. La phrase centrale des statuts communaux explicite ce point: ‹La participation responsable à l’administration citoyenne de la commune est un droit et un devoir du citoyen› (§1 al. 3).» En juin 2014, la même publication (BWGZ 11-12/2014) écrit: «Les initiatives populaires et les votations populaires sont des éléments importants de la Constitution communale bade-wurtembergeoise et représentent la normalité dans ce land. Les pères fondateurs de cette constitution communale l’ont formulée sciemment de cette manière. Ils voulaient mettre le poids sur l’aspect fondamental de l’autonomie communal, c’est-à-dire la responsabilité citoyenne et éveiller l’intérêt des citoyennes et citoyens pour leur commune et son administration.»
Dans la pratique, les droits des communes et de leurs citoyens ont souvent été mis en question au cours des décennies passées. Avec son arrêt de novembre passé, la Cour constitutionnelle fédérale a cependant renforcé l’autonomie communale selon l’article 28 de la Loi fondamentale et mis en exergue sa grande importance pour le système politique de la République fédérale. Elle a ainsi valorisé la responsabilité communale pour les écoles et les droits des communes et des citoyens dans le cadre de droit à l’autonomie communale.
Suite à cet arrêt, tous les autres länder doivent également revoir leur législation et leur pratique politique – également le Bade-Wurtemberg limitrophe de la Suisse. Là, la procédure du «développement régional de l’école» est en train d’être examinée. Le 22 mai 2014, le landtag a réglementé le développement scolaire à l’aide d’une loi sur l’amendement de la loi scolaire, après que le ministre de l’Instruction publique et de la culture du land ait explicitement retenu que l’objectif est de créer des «établissements scolaires performants et efficaces» et qu’à l’avenir on voulait «éviter qu’il y ait des établissements scolaires toujours plus petits».
Un «droit de codécision efficace» pour la commune concernée, tel que l’exige la Cour constitutionnelle fédérale, n’est pas prévu lors de la fermeture planifiée d’établissements scolaires. Au contraire, la nouvelle loi de mai 2014 définit le nombre minimal d’élèves, exige des communes, lorsqu’elles n’atteignent pas ces nombres, de se tenir aux règles du «développement régional de l’école» – c’est-à-dire de se mettre d’accord avec les autres communes de la région pour décider quelles écoles doivent être agrandies, lesquelles maintenues et lesquelles fermées – et définit également que toute école qui s’y oppose ou qui n’atteint pas, à deux reprises, le nombre minimal d’élèves dans les premières classes soient fermées par le ministère de l’Instruction publique du land. Les communes ayant une «Hauptschule» [école secondaire, niveau réduit] sur leur territoire sont les plus concernées.
Même si le «développement régional de l’école» fraîchement créé est pro forma soumis à la compétence des communes, la limitation du droit à l’autogestion de celles-ci ne peut guère être niée. En effet, si dans le débat entre les communes de la région celles-ci ne peuvent pas se mettre d’accord – ce qui est assez prévisible, si aucune commune ne veut abandonner un établissement scolaire –, c’est le ministère de l’Instruction publique du land qui possède le pouvoir de décision finale – sans aucun «droit de codécision efficace» de la commune concernée.
Vu d’un point de vue politique, le «développement régional de l’école» au Bade-Wurtemberg est – de manière similaire à ce qui se passe dans tous les autres länder de l’Allemagne – un pas supplémentaire en direction de davantage de centralisation en direction d’un système scolaire à deux piliers. On prévoit, outre le gymnase (ou lycée), plus qu’un seul type d’école pour tous les élèves et tous les niveaux. Consciemment, on veut créer de grands établissements scolaires, consciemment, on veut avoir dans les écoles un ensemble d’élèves aussi divers, aussi hétérogène que possible. Le résultat: dans les grandes unités, il y a un manque de relations humaines, un enseignement dirigé par le maître au sein d’une communauté de classe n’est plus possible. Les arguments économiques y jouent un rôle primordial – également en Bade-Wurtemberg. Là aussi, le gouvernement veut faire des économies dans le domaine de l’instruction publique. Plusieurs années en arrière, l’OCDE a fait des propositions dans ce sens. L’Etat doit faire des économies dans les domaines de l’instruction et de la santé publiques. En été 2013, le ministre-président du land, le Vert Winfried Kretschmann, a déclaré que vu la situation financière critique du land, il fallait avancer plus rapidement dans le domaine des «réformes scolaires» planifiées.
La Cour constitutionnelle fédérale a rejeté cet argument. Elle a formulé les réflexions suivantes: «La garantie de l’autogestion communale est l’expression de la décision constitutionnelle pour une administration organisée de manière décentralisée et soutenue par les citoyens. […] L’image de l’autogestion […] est fortement influencée par le principe de la participation. L’autogestion locale signifie, selon son intention, d’activer les participants à s’occuper de leurs propres affaires, de regrouper la communauté locale pour résoudre les tâches publiques avec l’objectif de promouvoir le bien-être des habitants et de préserver les spécificités historiques et locales.»
La Cour n’accepte pas non plus l’affirmation que l’Etat doive s’occuper de l’accomplissement des tâches parce que l’argent nécessaire manque aux communes. Au lieu de cela, il stipule que «quand il s’agit de la détermination des tâches de la communauté locale, il n’importe pas de savoir si la force administrative d’une commune est réellement suffisante pour accomplir ces tâches. Il est déterminant de savoir si une tâche communale représente un avantage pour les intérêts spécifiques des habitants et si elle permet également de faciliter l’accomplissement d’autres tâches. La solidité financière des communes individuelles n’a au fond aucune influence sur la définition des affaires de la communauté locale; selon art. 28 al. 2 de la Loi fondamentale, c’est, le cas échéant, à l’Etat de mettre à disposition des communes les moyens financiers dont elles ont besoin pour accomplir leurs tâches.»
Selon la Cour, l’«efficience» ne doit jamais être le seul critère. Au lieu de cela, la Cour constitutionnelle fédérale considère que: «Le législateur doit trouver une équité raisonnable entre les aspects de l’efficience administrative et de la proximité par rapport au citoyen.» Le législateur n’a pas le droit de soustraire des tâches locales aux communes uniquement pour des raisons touchant au bien commun. «Le seul but de simplifier les activités administratives ou de concentrer les compétences – notamment par souci de clarté au sein de l’administration publique – n’est jamais une raison pour justifier le retrait d’une tâche […].» La Constitution oppose «les aspects politico-démocratiques de la participation des citoyens locaux à l’accomplissement des tâches publiques aux considérations économiques et donne la priorité aux premiers.»
Seifhennersdorf se bat depuis 2010 pour pouvoir garder son école secondaire. Avant l’arrêt de la Cour, cette école était vouée à la fermeture. Tous les efforts de la commune pour garder ouverte cette école malgré le nombre insuffisant d’élèves (pendant 2 ans, des parents ont organisé eux-mêmes l’enseignement de leurs enfants avec l’aide d’enseignants retraités ou indépendants; les parents ont planifié la création d’une école privée pour pouvoir continuer à scolariser leurs enfants dans la commune) n’ont pas été pris en compte par le gouvernement du land de Saxe et de ses autorités. Le dernier espoir des citoyennes et citoyens de cette petite localité en Saxe était la Cour constitutionnelle fédérale.
Le 14 avril 2014, le quotidien «tageszeitung» de Berlin a publié une prise de position du maire de cette localité: «Karin Berndt s’est adressée au tribunal administratif au nom de sa commune pour s’opposer à la fermeture de l’école. Pourquoi les enfants devraient-ils parcourir de longs trajets en bus et y perdre de leur temps de vie si nous avons chez nous une école intacte? Pourquoi devoir attendre le bus dans le froid? Les bâtiments scolaires appartiennent de toute façon aux communes. Pourquoi n’auraient-elles rien à dire lorsqu’il s’agit de fermetures d’écoles? En bref: Les communes doivent financer leurs écoles, mais sans avoir voix au chapitre – voilà une violation de l’autogestion communale.»
A la suite de l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale, cela doit changer – et pas seulement à Seifhennersdorf. •
«La responsabilité pour les écoles primaires et secondaires, organisées dans le passé en tant qu’‹écoles publiques›, est historiquement une tâche appartenant à la communauté locale. Il fait notamment partie des tâches des instances scolaires responsables – normalement avec la participation de l’Etat – de décider si une école doit être établie ou fermée.»
Extrait de l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale
«L’autogestion locale signifie, selon son intention, d’activer les participants à s’occuper de leurs propres affaires, de regrouper la communauté locale pour résoudre les tâches publiques avec l’objectif de promouvoir le bien-être des habitants et de préserver les spécificités historiques et locales.»
Extrait de l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale
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