«Donnez aux Suissesses leur histoire. Marthe Gosteli, ses archives et sa lutte méconnue en faveur du suffrage féminin».1 Voilà le titre d’un nouvel ouvrage rédigé par l’historienne et archiviste bernoise Franziska Rogger et paru aux Editons Neue Zürcher Zeitung. Le droit de vote et d’éligibilité des femmes ne fut introduit qu’en 1971. Donc, une des plus anciennes démocraties du monde doit expliquer ce fait. Franziska Rogger arrive à une conclusion surprenante: la lutte pour le suffrage féminin est en réalité une histoire à succès. «L’histoire occultée et autonome des femmes suisses, leur obstination, leur stratégie de résistance et leur victoire» sont soigneusement analysées et présentées. Rogger exploite pour la première fois les documents archivés de «la Communauté de travail des sociétés féminines suisses pour les droits politiques de la femme». Jusqu’à présent ceux-ci avaient été négligés dans l’historiographie suisse. Dans son livre, elle rectifie la surestimation de l’importance des femmes luttant de façon tapageuse pour le suffrage féminin à la suite du mouvement de 1968. Les moyens de manifestation très médiatiques – notamment la marche sur Berne du 1er mars 1969 avec son concert de sifflets – auraient prétendument persuadé les citoyens masculins à changer d’opinion, alors que les activités au niveau politique des sociétés féminines organisées semblaient n’avoir aucune importance. Les sources cependant disent autre chose. Ce sont les femmes engagées de l’ancien mouvement féminin qui ont gagné la lutte en faveur du suffrage féminin grâce à leur intransigeance et leur persévérance courageuse après des échecs. Selon Rogger, les termes «ancien/bourgeois» et «nouveau/de gauche» accolés au mouvement féminin (depuis 1968) est imprécis, favorisant une pensée étiquetée idéologiquement. Il n’y eut jamais une ligne de séparation claire entre les deux mouvements féminins.
Dans son livre, Franziska Rogger honore la vie et les riches activités de Marthe Gosteli comme l’une des représentantes les plus connues du mouvement féminin suisse. La première partie du livre est consacrée à la longue histoire semée d’embûches de la lutte pour le suffrage féminin. Avant la deuxième votation fédérale de 1971, Marthe Gosteli joua un rôle prépondérant en tant que présidente de la «Communauté de travail des sociétés féminines suisses pour les droits politiques de la femme». Elle négocia – d’un commun accord avec les représentantes des sociétés féminines organisées – avec le Conseil fédéral et le Parlement, le bon moment pour un plébiscite. La Suisse signera-elle la Convention européenne des droits de l’homme sans réserves afin d’accorder la priorité au vote sur le suffrage féminin? Les protocoles des séances se lisent comme un roman policier, même si l’on connaît déjà la fin.
Le bilan impressionnant de Marthe Gosteli en tant que châtelaine, archiviste et «historienne de cœur», dixit Mme Rogger, sont au centre de la deuxième partie du livre. Marthe Gosteli visita l’école supérieure pour filles à Berne et elle fût enchantée de ses deux enseignantes Louise Grüter et Helene Stucki – qui était, soit dit en passant, la sœur du grand ministre Walter Stucki. Une formation humaine très complète devait permettre aux jeunes filles de mener une vie autonome. Plus tard, Marthe Gosteli avancera sur les traces de ces deux militantes pour les droits des femmes. Avec ses archives sur l’histoire du mouvement féminin suisse, Marthe Gosteli leur édifia un monument, pour elles et de nombreuses autres femmes. La création de ces archives est le plus grand acte pionnier de Marthe Gosteli.
Dans la troisième partie, Franziska Rogger se penche vers les ancêtres de Marthe Gosteli: les familles Gosteli et Salzmann. La magnifique ferme sur l’Altikofen était déjà en possession de la famille Gosteli depuis 1735. Selon une particularité bernoise, c’était autrefois toujours le cadet de la famille qui héritait de la ferme. Les femmes représentaient une partie indispensable de la grande famille, mais on ne demandait guère leur avis concernant le développement du domaine. Les veuves, disposant de certaines ressources financières, avaient plus de latitude. Elisabeth Walther-Gosteli, la grand-tante de Marthe Gosteli, devenue veuve très tôt, se fit construire une belle maison sur l’Altikofen, qui accueille aujourd’hui les archives de l’histoire du mouvement féminin suisse. Dans les deux familles, existèrent à tous moments des promoteurs des droits des femmes. Le «vieux patriarche» (terme utilisé par Marthe Gosteli), le grand-père Christian Salzmann engagea la jeune Ida Somazzi comme première enseignante de l’école secondaire de Bolligen – et, fait notable, avec le même salaire que ses collègues masculins.
Avec son ouvrage, Franziska Rogger comble une lacune dans l’histoire de la lutte pour le suffrage féminin. On y évalue à sa juste valeur l’«ancien» mouvement féminin et surtout la pionnière Marthe Gosteli obtient une estimation bien méritée pour l’œuvre de sa vie.
1 Rogger, Franziksa, Gebt den Schweizerinnen ihre Geschichte. Marthe Gosteli, ihr Archiv und der übersehene Kampf ums Frauenstimmrecht, Verlag Neue Zürcher Zeitung, Zürich 2015.
(Traduction Horizons et débats)
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