Le coup de tonnerre provoqué par la décision de la Banque centrale européenne (BCE) d’inonder le marché des changes avec plus de 1000 milliards d’euros «pour empêcher une déflation et donner un coup de fouet à la conjoncture européenne» démontre un renversement dans la répartition des tâches de politique économique entre les gouvernements et la banque centrale.
Selon la loi fédérale sur les banques, la banque centrale allemande est destinée à «soutenir le gouvernement dans sa politique économique», mais elle reste, théoriquement, entièrement indépendante ayant pour but de prévenir la stabilité de la valeur de la monnaie, ce qui lui permettrait de prendre des mesures déplaisantes pour le gouvernement et même qui lui seraient opposées. L’indépendance de la souveraineté de la monnaie fut, lors de la création de la banque centrale, un devoir fondamental – en fait un quatrième pouvoir neutre dans l’Etat. Le but était d’empêcher que, comme du temps de Hjalmar Schacht, elle fût utilisée comme soutien du gouvernement. Elle devait offrir une sécurité à la stabilité de la monnaie, renforçant ainsi la confiance de la population dans sa monnaie et assurant les économies et les réserves pour la vieillesse.
Cette volonté d’assurer la sécurité de la monnaie et de veiller à l’indépendance de la banque centrale distinguait cette dernière des autres banques centrales. C’était le résultat des mauvaises expériences vécues dans le passé.
En ce qui concerne la Federal Reserve Bank (FED), il en fut autrement. Son indépendance résultait du fait qu’elle appartient aux banques privées qui en proposent le chef, lequel doit ensuite être nommé par le président des Etats-Unis. La FED n’a donc pas comme objectif primordial la stabilité de la monnaie, mais bien les intérêts de ses propriétaires. Ce fut particulièrement apparent en 2008 quand la FED dut sauver un grand nombre de banques et de groupes d’assurances, pris dans leurs spéculations, ce qui provoqua une inondation de monnaie destinée à neutraliser les dettes des banques.
Mais la FED passe aussi pour le fer de lance de la politique monétaire américaine dirigée par le secteur financier du pays. Depuis que le dollar a devenu, à plus de 70%, la réserve monétaire mondiale et que l’Etat a, depuis Nixon, supprimé la parité-or et la responsabilité de l’Etat pour sa monnaie (1971), la masse de dollars fut poussée à l’extrême, afin de s’approprier les crédits, donc la domination du crédit, de plus de 200 Etats du monde – autrement dit d’assurer la domination du dollar qui dirige ainsi la plupart des monnaies des pays satellites, donc aussi l’euro.
La banque centrale allemande, concentrée sur la stabilité de la monnaie, ne correspondait pas à ce schéma et apparaissait, surtout en Europe, comme élément dérangeant du fait que les autres pays de la zone euro ne restaient pas attachés à la chaîne de stabilité de leurs banques centrales, mais étaient en état d’imposer à leurs banques centrales leurs volontés d’endettement. C’est ainsi que la monnaie allemande (Deutschemark) devint un ancre de stabilité en Europe, alors qu’on assistait à une dévaluation des autres monnaies, du fait des endettements des pays, comme par exemple la lire italienne, le franc français, la peseta espagnole. Autrement dit, la force du mark allemand provoquait une dévaluation des autres monnaies européennes, ce qui amenait le capital international à se rapprocher du mark allemand au détriment du dollar pour en faire une monnaie mondiale de réserve, repoussant les autres monnaies européennes en seconde zone, du fait de leur faiblesse.
Il ne faut donc pas s’étonner que non seulement les Etats-Unis, mais aussi tous les pays européens souhaitèrent d’en finir avec la domination de la banque centrale allemande et que le projet de l’euro, avec la BCE, devait servir en premier lieu à neutraliser la banque centrale allemande.
En théorie, la BCE doit aussi se préoccuper de la stabilité de la monnaie, mais dans la pratique elle s’orienta de plus en plus vers les vœux de la majorité des Etats membres de la zone euro et, depuis la mise en place de Draghi, l’ancien employé de Goldman-Sachs, notamment vers ceux de la haute finance américaine et de la FED. Cela apparut déjà en 2008 lorsque la BCE, comme la FED, dut financer par le mécanisme de sauvetage les banques européennes endettées, du fait que le représentant allemand dans le conseil de la BCE n’avait pas plus d’influence que Malte, restant seul parmi les 27 membres, et n’était donc pas en mesure de freiner les désirs d’entraide des banques surendettées et des pays du sud. Ainsi les dettes insurmontables des banques en péril et des pays du sud furent – malheureusement avec l’accord de l’Allemagne – reportées sur le mécanisme de sauvetage, en fait donc sur le dos des contribuables européens, ce qui facilita encore plus l’endettement des banques et des pays déjà surendettés à l’aide des mécanismes de sauvetage et des volumes de crédits Target.
Lors de la première crise, la Grèce avait une dette de 180 milliards d’euros, dont 100 milliards furent déduits. Mais la Grèce reçut, grâce au mécanisme de sauvetage, sur la promesse d’entreprendre des réformes qui ne furent pas tenues, 240 milliards en crédit, ce qui amena sa dette à 320 milliards d’euros, somme que la Grèce ne pourra jamais rembourser, n’étant même pas capable d’en payer les intérêts normaux.
Alors même que, selon les lois de la BCE, un financement des Etats est exclu et que le Traité de Lisbonne interdit la prise en charge des pays endettés de la zone euro par les Etats en bonne santé, la BCE a ignoré ces limites – avec l’accord de tous les gouvernements de la zone euro, puisque la plupart ne veulent ou ne peuvent pas faire des économies pour des raisons politiques –, passant même, avec l’inondation monétaire annoncée en janvier 2015, officiellement au financement des Etats. C’est ainsi qu’on rachète aux banques des actifs toxiques délivrés dans des affaires douteuses et des obligations d’Etats surendettés, finançant de ce fait de nouvelles dettes, notamment des Etats surendettés.
L’argument de la BCE, qu’il faut éviter une déflation, n’est qu’un prétexte et de surcroît théoriquement faux:
La question qui se pose est de savoir pendant combien de temps la BCE pourra encore reporter les corrections nécessaires suite à son inondation monétaire dans les pays endettés:
Un drogué est condamné et ne pourra guérir, si l’on ne l’enjoint pas à se sevrer. Il en va de même pour une monnaie solide, un système financer sain une économie performante et une croissance forte – sans sevrage des injections monétaires, des taux d’intérêts zéro et des cautions proposés par les pays solides aux pays faibles, une telle évolution positive est impossible.
La BCE s’est engagée, sous la pression politique en faveur d’impulsions conjoncturelles hasardeuses, à abandonner la stabilité de l’euro. Etant donnée que les Etats endettés détiennent la majorité au directoire de la BCE, ce sont les forces du marché (p.ex. augmentation des taux d’intérêts, explosions de bulles financières ou d’autres) qui doivent finalement mettre une fin aux inondations monétaires et imposer une réforme monétaire.
C’est exactement ce qu’avait annoncé l’ancien gouverneur de la FED, Alan Greenspan en prédisant que, dans la mesure où le dollar et l’euro s’effondreraient, une nouvelle monnaie unique mondiale «Euro-dollar» serait créée, avec la nouvelle centrale financière Banque des règlements internationaux (BRI) à Genève. A cette fin, la haute finance américaine a déjà racheté à temps les parts de la BRI afin de pouvoir gouverner en privé le prochain système monétaire mondial, à l’instar du précédent, pour en abuser une nouvelle fois à des fins d’enrichissement personnel.
Comment pouvons-nous nous protéger personnellement dans cette affaire?
(Traduction Horizons et débats)
1 Pour de plus amples informations cf. Eberhard Hamer: «Der Weltgeld-Betrug», 4e éd. 2012 et «Was tun, wenn der Crash kommt?» 1re éd. 2001, 10e éd. 2008
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