«Nous devrions automatiquement adopter le droit futur»

«Nous devrions automatiquement adopter le droit futur»

Interview du conseiller national Roland Rino Büchel, UDC/SG, vice-président de la Commission de politique extérieure

Horizons et débats: Qu’est-ce TTIP, qu’est-ce TiSA?

Roland Büchel: TTIP est un accord de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis, négocié depuis environ deux ans à huis-clos. TiSA (Trade in Services Agreement) est l’Accord sur le commerce des services négocié par 23 parties membres de l’OMC.

Les négociations sur TiSA sont aussi secrètes. Depuis quand durent-elles?

Depuis trois ans. Les participants principaux sont l’UE et les Etats-Unis. A la table de négociation se trouvent en outre la Suisse, le Japon, la Chine, la Turquie et d’autres Etats comme le Panama et le Paraguay. Avant toutes choses, il est question de la libéralisation des services.

De telles négociations secrètes sont-elles monnaie courante?

Les négociations sont souvent tenues secrètes dans une première phase. Ce qui me laisse quelque peu perplexe est que les résultats des négociations seront publiés que cinq ans après la fin des discussions. Et cela indépendamment du fait de la mise en vigueur ou non.

Pourquoi garde-t-on le secret?

Dans les deux séries de négociations, il y a des points du contenu où une participation démocratique pourrait apparemment «gêner». C’est pourquoi on veut introduire ces points de vue dans le processus le plus tard possible.

N’est-ce pas problématique?

Si, cela est très délicat. Le fait que les citoyens veuillent savoir quels sont les contenus des négociations correspond à la conception démocratique des Suisses. C’est bien ainsi. Pour le citoyen, il est important d’être impliqué à temps. Plus encore lors de processus avec de telles conséquences.

Quels sont les domaines que l’on ne veut pas thématiser ouvertement?

Concernant TiSA, il s’agit d’internet, de la formation, des services postaux, des prestations juridiques, des transports publics etc. On reconnaît à la réaction critique de la gauche qu’on s’attend à une réduction des services publics.

Que se passe-t-il avec cette énorme quantité d’informations récoltées?

J’ai de grands doutes là où il est question d’échange de données électroniques. Le flux des données risque d’être énorme. Les grandes multinationales américaines s’intéressent surtout et fortement à cet accord.

Peut-on dire que des pans entiers de ce que la Suisse a développé dans le domaine du service public va être livré au prétendu marché?

On peut supposer que notre infrastructure unique serait en danger. Spécialement lors de gros bouleversements, nous devrions pouvoir nous décider librement de ce que nous voulons ou ne voulons pas. En clair: nous ne devons pas nous soumettre à tout prix à un accord international.

Revenons au TTIP: quelles seraient les conséquences pour la Suisse, si les Etats-Unis et l’UE concluent un tel accord?

A première vue, pas grand-chose. Mais c’est un fait, que les deux partenaires de négociation sont prêts à ouvrir la plateforme pour la Suisse, le Canada et d’autres Etats. Là, nous aurions un problème, que nous avons déjà en partie avec l’UE: nous devons automatiquement adopter le droit futur.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement?

Pour la décision fondamentale le processus démocratique fonctionnerait encore. Le Parlement et probablement aussi le peuple pourraient décider si nous voulons y participer ou non. Mais la participation démocratique finirait au plus tard avec la mise en vigueur de l’accord. Dans tous les développements ultérieurs le peuple n’aurait plus voix au chapitre.
Est-ce comparable avec certaines parties des accords bilatéraux que nous avons avec l’UE?
Oui, prenons par exemple les accords de Schengen. Depuis la votation d’il y a 10 ans, il y a eu plus de 100 adaptations législatives, où le peuple n’avait plus rien à dire. En tant que membre du TTIP, nous aurions ce problème plus seulement avec l’UE mais également avec les Etats-Unis.

Comme il s’agit du libre-échange, cela revient à dire que les grands blocs économiques aux Etats-Unis et dans l’UE contrôleraient l’économie de la Suisse. Peut-on le voir ainsi?

Cette façon de voir les choses me semble réaliste. Dans ce contexte, nous parlons des plus grandes entreprises internationales. Elles ont un énorme intérêt à cet accord, surtout les multinationales américaines. Cela est évident aujourd’hui déjà.

Peut-on donc dire que ce n’est plus la politique qui décide mais l’économie qui dicte ce que la politique a à faire?

On entend souvent cette objection de la gauche. Je ne peux pas dire que les critiques n’aient pas raison.
En rapport avec TiSA, il faut se demander si l’on n’essaie pas de libéraliser les domaines qui étaient jusqu’à présent exclus des accords bilatéraux avec l’UE.
Cela est absolument possible.

Le Conseil fédéral est assis à la table de négociation pour TiSA. Est-ce sur la base d’un mandat qu’on lui a délégué ou agit-il ici en son propre nom?

Le Conseil fédéral semble s’appuyer sur la partie des services du mandat de Doha de l’OMC. Ce qu’on peut remarquer de positif c’est que notre gouvernement est le seul membre parmi les nombreuses délégations laissant apparaître un peu de transparence; cependant, dans un cadre plutôt réduit.

D’autres pays sont-ils encore moins transparents que la Suisse?

D’autres pays ne voient aucune raison pour la moindre transparence. Elle ne fait pas partie de leur culture politique. Le citoyen n’apprend rien. Cela ne correspond certainement pas à la procédure démocratique comme nous nous la connaissons en Suisse. Si par hasard quelque chose est rendu public, c’est à cause d’une fuite.

Il va de soi que cette stratégie du «secret» rend méfiant.

Les négociations ne peuvent jamais être menées entièrement ouvertes. Mais un peu plus d’ouverture siérait bien à la Suisse. S’il y a peu de transparence envers les citoyens dans les autres Etats, cela «sert» nos diplomates suisses. Ils peuvent alors se cacher derrière les autres, pour ne pas devoir communiquer ouvertement leurs propres pas.

Sur l’agenda politique, on trouve divers objets parlementaires, comme par exemple le dossier électronique du patient, où il y va de la question de la confidentialité des données, mais aussi d’autres objets concernant la santé publique. Ne doit-on pas analyser tous ces changements de ce point de vue et faire preuve de la plus grande retenue?

J’attends des personnes participant à de telles négociations qu’ils prêtent la plus haute attention à ce point. Cependant quand on observe les intérêts énormes qui poussent à la libre circulation des données, il faut être vigilant.

Le Parlement remplit-il sa fonction dans ce domaine?

Guère. Il existe toujours un grand déficit d’information. Trop de parlementaires ne savent actuellement guère discerner entre TiSA et TTIP. Il n’est donc pas étonnant, qu’ils ne peuvent pas vraiment estimer les conséquences que cela aurait sur notre Etat et nos citoyens.

Quelle en est la raison? Pourquoi les médias ne traitent pas de ce sujet?

Les résultats définitifs sont encore loin. Ce sujet n’est actuellement pas vraiment dans le processus politique. Il se trouve sur le chemin technique. Celui-ci est emprunté par des personnes, qui se sentent souvent supérieur au «simple» peuple et aux politiciens. On croit tout savoir mieux – et on agit en conséquence.

On est tenté de dire que la politique agricole du Conseil fédéral va également dans la direction du libre-échange et de la libéralisation.

Concernant TTIP, l’accord entre les Etats-Unis et l’UE, l’agriculture dans des pays tels la Pologne, l’Allemagne ou la France a réagi de manière très critique. Mais elle aussi a le même problème que tous les autres intéressés – il est difficile d’obtenir des informations.

Si déjà ces pays se défendent, à plus forte raison cela va concerner notre pays, tout spécialement l’agriculture.

Si même les Français et les Allemands ont peur des «grands» Etats-Unis, alors il est compréhensible que nos paysans deviennent peu à peu nerveux. Il faut être réaliste: la petite Suisse, avec la forme de paysannerie que nous pratiquons, aura encore de plus grands problèmes que les grands pays européens.

Quels devraient être les prochains pas de la politique, notamment du Parlement, pour que ces négociations se déroulent dans la bonne direction ou sinon qu’elles puissent être stoppées suite à l’incompatibilité avec notre politique économique?

Concernant TTIP, il me semble primordial de sensibiliser l’opinion public. Concernant TiSA, nous devons exiger dans les commissions compétentes de nous tenir au courant des dernières informations. Nous devons à tout moment pouvoir aborder cet accord de manière critique et nous ne devons pas nous contenter d’informations partielles.

N’est-ce pas très inhabituel que le Conseil fédéral se comporte si passivement envers une commission?

Il est difficile de dire si le Conseil fédéral n’a réellement que peu d’informations ou s’il n’est pas disposé de les partager avec le Parlement ou la commission compétente.

Le peuple doit aussi être impliqué, car il est toujours directement concerné par de telles décisions politiques.

En tout cas. Je pense, que concernant TiSA, il y aura un référendum, s’il n’échoue pas déjà au Parlement. Concernant TTIP on verra, si, quand et comment nous y adhérerons.

Faudra-t-il également un référendum?

Sans aucun doute. Mais alors, ce sera déjà très tard. C’est maintenant qu’il faut ouvrir la discussion dans tous les pans de la population. Concernant TiSA ce sont jusqu’à présent avant tout des cercles de la gauche qui s’expriment d’une manière critique, grâce aux informations filtrées. La partie bourgeoise doit également bien comprendre, qu’il est grand temps de s’informer et de s’activer sérieusement.

Monsieur le Conseiller national, un grand merci pour cet entretien.     •

(Interview réalisée par Thomas Kaiser)

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