Récemment, la nécessité d'un nouveau serment contraignant a été postulé et les premiers débats ont débutés.1 Cela est justifié par des questions actuelles, telle la financiarisation de la médecine. Parallèlement, on tente de relativiser le serment d’Hippocrate et de le considérer comme une relique obsolète. La «Société hippocratique suisse» démontre qu'il n'a rien perdu de son actualité.
Le serment d’Hippocrate est un des plus importants fondements éthiques de l’art médical depuis presque 2500 ans. Les valeurs exprimées sont indépendantes de l’esprit du temps et ont survécu à des époques historiques très diverses. Ce serment représente donc une éminente force normative. Il est indépendant de la religion et contient les valeurs principales de la médecine. Tout médecin devrait connaître et intégrer ce fondement et agir selon sa référence. Pour cette raison, nous voulons rappeler le texte et l’importance de ce document demeurant toujours d’une grande actualité (cf. encadré).
Le serment d’Hippocrate constitue une obligation morale volontaire à laquelle est soumis le médecin. Le serment par les dieux montre le sérieux inconditionnel de ce code de comportement. L’obligation est entièrement construite sur le «nihil nocere»: apporter un avantage au patient, ne pas nuire. L’interdiction de tuer est au centre du serment; c’est la protection inconditionnelle de la vie comme base de toute activité médicale. Le médecin doit avoir un respect inébranlable de la vie et ne pas connaître des hésitations à ce propos, car, autrement, une relation de confiance entre médecin et patient est impossible. De plus, l’obligation précise de garder le secret médical est également un élément nécessaire à cette relation de confiance.
Le serment demande au médecin une vigilance absolue dans sa pratique professionnelle. Il doit connaître ses limites et n’a pas le droit de courir trop de risques. Ainsi, dans le serment, le médecin promet de ne pas opérer des calculs vésicaux, ce qui, à l’époque, n’était pas compris dans la formation des médecins. De plus, le serment demande au médecin un comportement et une manière de vivre exemplaires. Déjà à l’époque, l’interdiction d’attouchements sexuels envers les patients en était un élément. Pour Hippocrate, l’apprentissage des étudiants, dans une relation personnelle avec le médecin enseignant, est primordial. Hippocrate compare le respect et l’estime de l’étudiant envers le médecin expérimenté qui lui enseigne l’art médical et l’éthique, avec la relation d’un fils avec ses parents.
Le serment présente la profession médicale comme une vocation qu’il faut réaliser avec le plus grand respect et la plus grande responsabilité.
Suite à ce petit résumé des contenus principaux du serment d’Hippocrate, nous allons présenter plus en détails l’attitude hippocratique du médecin, telle qu’elle se présente dans les traductions d'autres textes du «Corpus hippocratique»:3
Dans la vision hippocratique, le médecin rencontre son patient comme un semblable, s’approchant de lui avec toute sa personnalité individuelle sur un pied d’égalité, pour développer avec lui une relation de confiance. Le médecin est donc plus qu’un simple homme de connaissance, remplissant ses obligations en utilisant les informations obtenues, en transmettant son savoir, en appliquant son savoir-faire pratique et les techniques et en réalisant, en tant que spécialiste, le nécessaire au bon moment. L’être humain n’est pas considéré uniquement comme une interaction entre des organes hautement spécialisés. Bien au-delà de ces considérations, il est perçu comme une unité indissoluble du corps, de l’âme et de l’esprit. Pour cette raison, la maladie concerne toujours l’être humain dans la totalité de son existence, et non seulement comme une souffrance dans un domaine partiel, physique ou psychique.
Par conséquent en découle une injonction: celui qui veut vraiment aider une personne souffrante, doit la rencontrer dans sa totalité, c’est-à-dire comprendre sa personnalité dans toutes ses dimensions et s’impliquer personnellement dans cette relation entre deux individus. Le bon médecin implique sa propre existence dans sa profession; il ne fait pas qu’exercer une fonction. Son caractère, son honnêteté, sa bonne volonté et son style de vie se transforment en un facteur de guérison pour le patient.
Partant de cette vision holistique, nous arrivons à comprendre et à justifier les éléments fondamentaux de l’art médical:
Le médecin a une obligation envers la vie. Le maintien de la vie est ancré dans la partie principale du serment comme la plus importante valeur. Dans le texte original grec, nous trouvons une quadruple négation de tout homicide:
Ceci est la base de la confiance en le médecin, le patient sachant qu’en aucun cas, le médecin ne lui portera préjudice délibérément: le principe du «nihil nocere».
Une série de consignes indiquent la nécessité d’une atmosphère de confiance dans le dialogue thérapeutique: le médecin doit faire preuve d’un style de vie exemplaire, n’apporter que du bien, ne jamais commettre d’injustices, exclure de sa pratique professionnelle toutes sortes d’activités sexuelles, et finalement de se taire sur tout ce qu’il a appris au chevet du patient.
La confiance naît, là où le médecin s’adonne, fait preuve de bonne foi, de compréhension et de serviabilité, ce que le patient est en droit d’attendre. Selon Hippocrate, le patient doit savoir: mon médecin me comprend dans le sens le plus profond, dans tout mon contexte et il n’a que de bonnes intentions. Même s’il devra me faire mal ou ne pas répondre à mes désirs, je ne devrai jamais avoir peur de lui.
N’oublions pas qu’avec Hippocrate, la relation de confiance intégrale est le fondement de toute action de guérison.
Hippocrate n’établit donc pas que des normes pratiques ou des conventions inscrites dans le contexte d’une certaine époque ou société. L’éthique médicale selon Hippocrate est axée sur les valeurs fondamentales de l’existence humaine. La sacralité de la vie est exprimée, dans le contexte historique d’Hippocrate, par la relation éternelle avec les dieux. Albert Schweitzer a reformulé ceci avec la notion de «respect de la vie» [«Ehrfurcht vor dem Leben»].5
Les aspects effrayants de l’histoire de la médecine du XXe siècle mènent dans une toute autre direction: là où la vie humaine – dans sa totalité et en tant que destin individuel – n’est plus intouchable pour le médecin, n’est plus un axiome fixe et n’est plus indiscutable, mais devient soumise aux normes variables d’une morale opportuniste – là, on franchit les limites du domaine de la culpabilité.
Car là, où le médecin n’est plus assujetti au respect de la vie, il est confronté à une compétence et une responsabilité qu’il ne peut endosser: il doit évaluer si une vie est «digne» ou «indigne» d’être vécue [«lebenswert»/«lebensunwert»], décider des limites de résistance humaines, des destins humains, être juge de la vie ou de la mort et exécuter lui-même son jugement. Là, où des médecins, sans le respect indispensable du secret de la vie, ont succombé aux exigences d’une idéologie politique ou sociale, ils ont à chaque fois franchi la limite du domaine du crime. Mentionnons quelques exemples: la doctrine raciale, l’eugénisme, l’euthanasie, la qualification d’une vie «indigne d’être vécue»,6 le génocide par la stérilisation, la vivisection, les «cobayes humains» contre leur gré au nom de la science.7
Par contre, le médecin respectant les valeurs fondamentales de sa profession au-delà des lois juridiques et des règles scientifiques, dans le respect de l’intangibilité de la vie humaine, sauve, selon Hippocrate, sa propre vie de la culpabilité et du crime, et devient, de par son attitude, un confident de son patient – et donc une réelle aide.
Au cours de l’histoire, les valeurs humaines – telles qu’elles sont fixées dans le droit naturel et forment la base de nos Etats de droit démocratiques – furent souvent ignorées. Pendant les deux guerres mondiales, on put observer, dans quel degré d’atrocité pouvait mener une médecine sans humanité.7
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des constructions utilitaristes développées dans le cadre de la bioéthique anglo-américaine. De nouveau, on met en question l’intangibilité de la vie humaine. De nouveau, la dignité de l’individu est lésée, suite à des réflexions douteuses sur le prétendu bien-être de la majorité. De nouveau, des considérations économiques et idéologiques jouent un rôle primordial.
Nous désapprouvons la proposition d’un nouveau serment inclus dans le droit corporatif,1,8 occultant l’interdiction de tuer en tant que fondement de l’éthique médicale pour permettre à la place de cette interdiction, d’introduire le principe du caractère économique du traitement, telle qu’il est défini dans la LAMAL [Loi sur l’assurance maladie].
Pourquoi la génération actuelle des médecins ne reviendrait-elle pas à l’éthique hippocratique représentant le fondement éthique de la médecine depuis plus de deux millénaires? Pourquoi ne pas revenir, sur cette base, à l’obligation de sollicitude et au rôle de garant pour les patients? •
Première publication en allemand: Schweizerische Ärztezeitung – Bulletin des Médecins Suisses –
Bollettino dei Medici Svizzeri 2016; 97(23):
854–856; Tribüne Standpunkt 856.
(Responsable de la traduction: Horizons et débats)
Correspondance: Société hippocratique suisse, c/o Dr. med. Raimund Klesse, Wingertweg 3, CH-7215 Fanas, hgs.ch(at)gmx.ch, <link http: www.hippokrates.ch>www.hippokrates.ch
Bibliographie
1 Giger, M. Ein Eid für heutige Ärztinnen und Ärzte. Schweizerische Ärztezeitung 2015; 96(25): 930–4
2 Cf. aussi: Höffe, O. Philosophische Ethik: Fahne im Wind oder Fels in der Brandung. In: Schweizerische Ärztezeitung 2010; 91(32): 1199–202
3 Ce texte résume la contribution intitulée «Überlebt Hippokrates?» de Jakob Gehring et Josias Mattli, présentée au 1er Symposium «Medizin und Ethik», Davos, 1998
4 «Ich werde aber nicht und ganz und gar nicht (und) niemandem als (dazu) Gebetener ein todbringendes Mittel geben, und ich werde auch nicht einen solchen Ratschlag vorzeigen». Traduction du grec en allemand par Gehring et Mattli.
5 Schweitzer, A. Die Ehrfurcht vor dem Leben.
Editions C. H. Beck 2003.
6 Binding, K., Hoche, A. Die Freigabe der Vernichtung lebensunwerten Lebens. Ihr Mass und ihre Form. Leipzig 1922
7 Cf. aussi: Müller-Hill, B. Tödliche Wissenschaft. Die Aussonderung von Juden, Zigeunern
und Geisteskranken 1933–1945. Reinbek:
Rowohlt 1984
8 Wils, JP. et al. Wir müssen über einen neuen Ärzteeid diskutieren. Schweizerische Ärztezeitung 2016; 97(10): 381–3
(Traduction de Littré)
Source: Société vaudoise de médecine, www.svmed
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