L’appréciation de la validité des initiatives populaires est affaire du Parlement

L’appréciation de la validité des initiatives populaires est affaire du Parlement

Interview du conseiller aux Etats Thomas Minder (sans parti, SH)

Horizons et débats: Dans le débat public, il était question d’un Tribunal constitutionnel «impartial» pouvant juger la validité d’initiatives populaires à la place du Tribunal fédéral. Pouvez-vous imaginez cela?

Thomas Minder: Je suis contre une juridiction constitutionnelle. Nous, le Parlement, avons la tâche de l’appréciation des initiatives populaires. Il s’agit d’une considération juridique. Par exemple cela me dérange – bien que je n’aie personnellement pas soutenu l’initiative sur la fiscalité successorale – qu’au Conseil des Etats 13 voix se soient prononcées pour invalider cette initiative en raison de la rétroactivité. [L’initiative prévoyait que des donations seraient imputées aux successions dès le 1er janvier 2012.] Une telle chose ne devrait pas arriver. Même si personnellement on n’apprécie pas une initiative, on doit faire la distinction avec l’appréciation juridique. Apparemment, certains parlementaires ne peuvent pas se détacher de la ligne de leur parti et se limiter à une appréciation purement juridique.
Il existe trois raisons pour invalider une initiative populaire dans la Constitution fédérale, celles-ci sont très claires. [Violation du principe de l’unité de la forme, de l’unité de la matière ou les règlements impératifs du droit international, art. 139 al. 3 Cst.] En réalité, il y a une quatrième raison, c’est le manque de faisabilité, mais la rétroactivité n’est pas une raison pour annuler une initiative. L’initiative sur la fiscalité successorale a dû être déclarée valide, et lors de la campagne de votation cela s’est avéré bénéfique: les partis bourgeois ont pu utiliser la clause de rétroactivité comme argument pour s’opposer à l’initiative.
D’ailleurs, au Parlement, nous n’appliquons pas non plus toujours les mêmes mesures que nous exigeons pour les initiatives populaires. A Berne, nous avons déjà adopté des lois avec valeur rétroactive – cela est aussi déplaisant. Mais une initiative populaire devrait-elle être annulée pour cette raison? Bien sûr, nous parlementaires, sommes élus par le peuple et avons nos devoirs et nous devons les accomplir soigneusement. Annuler une initiative – alors que 100 000 signatures ou plus ont été récoltées – avec une raison d’invalidation ne figurant pas dans la Constitution fédérale, montre que nous n’avons pas bien fait notre travail à Berne.

Récolter des signatures n’est pas devenu plus aisé

Apparemment, les élites ne s’opposent pas seulement ces derniers temps aux droits populaires. Aujourd’hui, le professeur Kley nous a expliqué que c’était déjà le cas au début de l’Etat fédéral.

Je ne peux pas l’affirmer, mais aujourd’hui, nous avons un mouvement dangereux. Nous avons aux Conseil national, Martin Landolt (PBD GL), Martin Candinas (PDC GR), Karl Vogler (PCS OW) et au Conseil des Etats, par exemple, Filippo Lombardi (PDC TI) et Hans Stöckli (PS BE), voulant restreindre les droits populaires.

Une des propositions veut augmenter le nombre de signatures pour les initiatives populaires, par la codification d’un pourcentage minimal de la population dans la Constitution. Qu’en pensez-vous?

Le taux de pourcentage proposé aurait comme conséquence une augmentation de 100 000 signatures à environ 250 000. Ces tendances ne me plaisent pas du tout. Naturellement, une telle proposition n’aurait pas de chance dans une votation populaire. Il faut encore la majorité du peuple et la majorité des cantons. Les idées sont sur la table, plusieurs interventions sur la restriction des droits populaires ont été présentées. Une intervention du conseiller national Ruedi Lustenberger – en faveur de l’inadmissibilité de clauses de rétroactivité dans les initiatives populaires – a été soutenue par le Conseil national et bénéficie de sympathies au Conseil des Etats. Cependant, elle va échouer dans les urnes.

Le conseiller national Landolt, par exemple, ne veut-il plus être élu pour vouloir augmenter le nombre de signatures de la sorte?

Oui, en fait c’est encore courageux, s’il veut exiger 200 000 ou 250 000 signatures. La considération, que nous avons aujourd’hui en Suisse plus d’habitants que jadis, je la comprends. Mais on oublie que jadis nous pouvions récolter des signatures devant les bureaux de vote; tous les électeurs allaient voter dans les bureaux de vote (aujourd’hui un pourcentage élevé vote par correspondance), et nous savions, que tous étaient électeurs de la même commune. Alors la récolte était plus facile qu’aujourd’hui. Si par exemple vous récoltez dans les rues de Zurich, vous tombez sur 30% d’étrangers sans droits de vote, et pour les autres vous devez à chaque fois prendre une nouvelle liste, puisque un grand nombre habite dans des communes et des cantons différents. Ce n’est pas devenu plus aisé d’arriver au nombre de signatures nécessaires.

C’est vrai, j’aime aujourd’hui encore récolter devant les bureaux de vote, car on y obtient trois fois plus de signatures qu’ailleurs. Mais je suis d’accord avec vous: quiconque a déjà récolté dans la rue sait le temps qu’il faut pour récolter dix signatures, indépendamment du nombre d’habitants en Suisse.

C’est pourquoi il y a entretemps des partis qui payent un certain montant par signature. Le PLR n’a même pas réussi à réaliser leur première initiative populaire fédérale «Stop à la bureaucratie!». Donc, le nombre de signature n’est pas trop faible.

Pour des débats différenciés, il faut des textes d’initiative rédigés de toutes pièces

La question d’un «développement» du droit d’initiative populaire, de la restriction du contenu a été discutée. Dans des propositions comme celle du professeur Markus Müller (de supprimer l’initiative rédigée de toutes pièces et d’accepter seulement les initiatives rédigées avec une proposition conçue en termes généraux), ne pourrait-il pas s’agir finalement d’évincer le peuple dérangeant – par exemple dans la marche vers l’UE?

Oui, c’est dans ce but que le droit d’initiative a été constitué en 1891, c’est véritablement un élément perturbateur dans le fonctionnement politique. Dans chaque initiative se trouve une certaine lassitude envers la politique des autorités publiques. On l’a aussi ressenti lors du Brexit. Mais de reprocher aux citoyens britanniques qu’ils ne savent pas sur quoi ils votent ou ce qu’est l’UE– ce n’est pas la façon de les considérer! Je suis, au contraire, d’avis que le peuple ait un sensorium incroyablement sensible, qu’il soit très bien informé. Si l’on regarde les blogs, on remarque que les citoyens sont bien informés aussi sur des thèmes compliqués.
Je ne soutiens définitivement pas la position de M. Müller. La possibilité de créer des textes d’initiative rédigés de toutes pièces est nécessaire pour débattre d’un sujet de manière différenciée. Car dans la démocratie directe suisse le Oui ou le Non dans les urnes sont certes une chose essentielle – cependant, il est beaucoup plus important pour le développement des droits populaires de pouvoir débattre du sujet dans le pays, à la table des habitués, lors de débats publics, de discussions dans les médias, avec des lettres de lecteurs. Si nous ne pouvions voter plus que sur des propositions rédigées en termes généraux, tout resterait nébuleux, il serait impossible de débattre sérieusement du sujet. Si j’avais dû formuler mon initiative1 en forme d’une proposition conçue en termes généraux, alors les citoyens ne sauraient peut-être toujours pas ce qu’est une «société anonyme» ou ce que veut dire «coté en Bourse».

Votre initiative contre les rémunérations abusives est un exemple d’un contenu très complexe …

Mais aussi dans ce cas on peut décider instinctivement – nous ne sommes que des êtres humains. Certains analysent une telle question et lisent le livret de vote uniquement avec l’hémisphère cérébral droit? Mais c’est aussi légitime de dire spontanément Oui ou Non. Dans les relations interhumaines la voix intérieure est souvent plus forte que les réflexions rationnelles, avec lesquelles on soupèse le pour et le contre.
En démocratie j’accepte tout à fait la voix intérieure, le «sentiment» qui nous incite à dire oui ou non par sympathie ou antipathie. Chez le professeur Müller j’avais un peu l’impression que cela n’était pas sa tasse de thé.

Monsieur le Conseiller aux Etats, un grand merci pour cette interview.    •

(Propos recueillis par Marianne Wüthrich)

1    L’initiative «contre les rémunérations abusives», acceptée en votation populaire le 3 mars 2013, a permis à l’entrepreneur Thomas Minder de se faire connaître et apprécier par une grande partie des citoyens de Schaffhouse qui l’ont élu au Conseil des Etats du premier coup – bien qu’il n’ait adhéré à aucun parti politique!

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