L’Union européenne dans la crise existentielle

L’Union européenne dans la crise existentielle

par Bruno Bandulet*

Dire que l’Union européenne se trouve dans une crise existentielle n’est pas une affirmation originale. La crise est évidente – désormais, depuis le référendum du Brexit du 23 juin. Jusqu’à ce moment, il était impensable que la seconde économie européenne puisse donner son congé. Ce référendum fut un affront colossal envers les élites.
J’affirme que cette crise était prévisible depuis longtemps, qu’elle prend ses racines dans une mauvaise décision de 1991 et qu’il était visible, depuis 2008 au moins, du fourvoiement de l’intégration européenne dans une impasse.

Jusqu’en 1990, c’était une expérience économique réussie

Jusqu’à la réunification de l’Allemagne en 1990, l’Union douanière, la Communauté économique et le marché intérieur formaient le noyau de la coopération européenne. Jusqu’à ce moment là, l’intégration européenne était une expérience économique réussie. Lorsqu’il devint clair que l’Union soviétique et les Etats-Unis approuveraient la réunification de l’Allemagne, il y eut un sursaut à Londres, Paris et Rome. Le potentiel allemand devait être encadré et mis sous contrôle – et ce fut exactement dans cet objectif, représentant notamment l’intérêt de la France, que le Traité de Maastricht fut négocié avec la création d’une union monétaire entrainant par conséquent la dépossession de l’institution financière la plus importante d’Europe, la Banque fédérale d’Allemagne. J’étais alors persuadé que l’Union monétaire ne pouvait pas fonctionner, qu’elle allait diviser l’Europe plutôt que de l’unir. Il fallut attendre jusqu’en 2008 pour constater la vérité de cette analyse. Au travers du Traité de Maastricht, l’UE s’est surmenée pour la première fois. Elle a entre-temps dépassé son utilité optimale.

Centralisation dans le traité de Lisbonne

Par la suite, on tenta d’accélérer le rythme du projet avec l’idée d’une Constitution européenne. Les Français et les Néerlandais rejetèrent ce traité constitutionnel par référendum en 2005. Les élites auraient dû se rendre compte, au moins à ce moment-là, de l’opposition des populations européennes au fait de leur imposer davantage de centralisation et moins d’autodétermination. Les élites ne pensèrent pas à changer leurs positions mais préférèrent transformer le traité constitutionnel de manière malhonnête en un prétendument nouveau Traité de Lisbonne. En 2008, alors que celui-ci avait été rejeté lors d’un référendum par les Irlandais, ces derniers furent obligés de revoter l’année suivante – et cette fois «correctement» – afin que ce traité puisse finalement enter en vigueur le 1er décembre 2009. Depuis ce moment, il représente la base juridique sur laquelle repose l’UE et ses 28 Etats membres.
Dès lors, la question se pose de savoir quels sont les défauts de construction et les déficits se trouvant à la base de l’actuelle crise existentielle de l’Union. Et cela indépendamment de la situation avérée que l’Union européenne ne souffre pas seulement d’un déficit démocratique, mais aussi d’un mépris des principes démocratiques et de la séparation des pouvoirs, deux des grandes acquisitions de l’histoire européenne du droit.

Union d’Etats ou Etat fédéral

Premièrement, il faut rappeler la construction hybride de cette Union européenne. Théoriquement, une telle communauté peut fonctionner soit sous la forme d’une union d’Etats respectant la souveraineté des Etats membres, soit sous la forme d’un Etat fédéral créant une souveraineté européenne supra-étatique. Cette dernière idée ne convenait notamment pas aux Français. En réalité, tous les Européens – excepté les Allemands – tiennent au principe de l’Etat-nation. Ils pensent et sentent de manière nationale. Selon les derniers sondages, il n’y a plus que 36% des Français voyant l’UE de manière positive et en Allemagne ce ne sont pas plus que 29%. Autrement dit, la résistance à la centralisation et à l’usurpation de pouvoir devient la nouvelle conscience européenne. Cela est particulièrement prononcé dans les pays d’Europe centrale de l’est qui – après l’ancienne hégémonie soviétique – s’opposent à une nouvelle hégémonie de Bruxelles. L’idée des élites européennes était de garder sous contrôle les Hongrois, les Tchèques et les Polonais à l’aide d’énormes paiements nets. Il s’est avéré que s’ils acceptent l’argent avec plaisir, ils ne se laissent pas acheter pour autant.

La souveraineté des Etats membres s’évapore

La condition actuelle de l’UE se caractérise par l’évaporation massive de la souveraineté nationale des Etats membres sans qu’une souveraineté européenne soit survenue pour y compenser. Les peuples se battent contre ce qui est en principe un déterminisme marxiste exprimé dans le Traité de Lisbonne, ou plutôt, contre la formule de l’«Union toujours plus étroite».
Deuxièmement, il n’y a rien de plus dangereux pour les grands groupes politiques que la délégitimation. Selon Gaetano Mosca, juriste italien, toute «classe politique», dans notre cas l’élite de l’UE, nécessite d’une formule politique pour justifier les rapports de force en place. Lorsque la formule vieillit et qu’elle ne convainc plus, les rapports de forces commencent à vaciller. Durant longtemps, la formule prétendant que l’intégration européenne garantissait la paix était crédible et respectée. Même si, ce faisant, la cause et l’effet furent confondus. Car la CEE puis la CE ne garantissaient nullement la paix en Europe. C’était le contraire, elles ne furent possibles et n’eurent du succès que grâce à la paix régnant sur le continent.

L’UE instrumentalisée pour des raisons géopolitiques

Malgré tout, l’UE n’a pas pu éviter les guerres des Balkans, l’Allemagne devint une réelle plaque tournante logistique pour les guerres des Etats-Unis contre l’Irak et l’Afghanistan, l’UE finança, par l’intégration des pays de l’Est, l’expansion de l’OTAN jusqu’aux frontières de l’ancienne Union soviétique et se laissa, en Ukraine, instrumentaliser pour les objectifs de la géopolitique américaine. Dans tous les cas, il est plus qu’étrange que 320 millions d’Américains doivent protéger plus de 500 millions d’Européens contre 140 millions de Russes. L’Europe ne peut ainsi se prémunir d’aucune fierté.

Après le Brexit, l’Euro-exit

Pour clore cette liste manifestement incomplète: troisièmement, avec l’euro, l’UE s’est attachée elle-même une charge explosive au corps. Les raisons de la chute de l’euro dans la misère actuelle est une question passionnante, que nous devons laisser de côté ici. Je constate seulement que la monnaie unique, dans la situation et le cadre réglementaire actuels n’a aucun avenir. Il est certain que suite au Brexit, il y aura bientôt un Euro-exit. Il faut se remémorer que l’économie italienne n’a connue aucune croissance depuis le début de l’union monétaire de 1999, donc depuis 17 ans. Il y a une explication très simple à cela: dans les 17 ans avant 1999, on a dévalué la lire de 61% ce qui permit à l’Italie de demeurer compétitive. Mais aussi dans son ensemble, l’euro a été une affaire bâclée. Depuis 1999, la croissance économique ne fut nulle part ailleurs dans le monde aussi faible que dans la zone euro. D’ailleurs, la part des exportations allemandes dans cet espace monétaire a baissé de 44% en 1999 à 35% actuellement.

Union des dettes?

Que va-t-il se passer? Soit l’union monétaire se dote d’une plateforme de financement des dettes rendues communes avec un système commun de sécurité des dépôts bancaires, soit les membres les plus faibles ne peuvent survivre, déclarent forfait et s’en vont, car la pression politique à l’intérieur du pays devient trop importante. Depuis l’éclatement de la crise de l’euro de 2010, l’Union monétaire est maintenue par les plans de sauvetage et par une politique douteuse de la part de la BCE. Cela n’est pas une solution à long terme, la BCE ayant uniquement acheté du temps. La décision relative à l’unification totale des dettes revient à l’Allemagne. Ceci signifierait une répartition actuellement inimaginable et un nivellement radical de la prospérité allemande et de la solvabilité financière dont jouit encore à ce jour la République fédérale. Je doute que le gouvernement Merkel ou son successeur pourront imposer cela.

L’UE va s’éroder

En ce qui concerne l’UE en entier, il est certain qu’elle survivra au Brexit. Les Britanniques vont garder l’accès au marché commun, car le reste de l’UE exporte davantage vers la Grande-Bretagne que l’inverse, et l’économie d’exportation allemande ne souhaite pas s’autodégrader. Par ailleurs, je pense, et cela va vous étonner, que Bruxelles sacrifiera le sacro-saint principe de libre circulation des personnes, car Londres insiste sur cette concession. Ainsi s’accroissent les possibilités pour la Suisse de négocier un accord similaire.
Ma conclusion est que l’UE ne disparaîtra pas totalement à moyenne échéance, mais qu’elle s’érodera. Il est facile de renverser un dictateur, mais une superbureaucratie dotée d’un corpus légal, entre temps étalé sur 95 000 pages, a une vie coriace. Le plus probable est une assez longue période de décrépitude. L’Union européenne a très certainement dépassé son zénith.     •

*    Bruno Bandulet est un journaliste allemand avec plusieurs décennies d’expériences politiques. Déjà en 1970, il a  rédigé sa thèse de doctorat sur un sujet d’actualité politique: «La République fédérale d’Allemagne entre les Etats-Unis, l’Union soviétique et la France. Alternatives de la politique étrangère allemande de 1952 à 1963». Il a, entre autre, été chef de service responsable de la Ostpolitik de l’Allemagne au sein de la direction de la CSU bavaroise à Munich, chef d’édition auprès du quotidien allemand «Die Welt» et membre de la direction rédactionnelle du magazine «Quick». De 1979 à 2013, il a édité publication financière Gold&Money Intelligence, depuis 1995 la publication Deutschlandbrief qui paraît depuis 2009 dans le magazine «eigentümlich frei». Bruno Bandulet a rédigé un grand nombre de livres sur des sujets historiques et politiques, entre autres: «Tatort Brüssel» [Lieu du crime: Bruxelles] (1999), dans lequel il a analysé un scandale de corruption au sein de la Commission européenne, très actuel en ce temps-là. Il y tire également un bilan mitigé des 40 ans de prétendue intégration européenne. Depuis, il a rédigé de nombreuses autres publications critiques face à l’UE et l’euro, notamment «Das geheime Wissen der Goldanleger» (2014, 4e édition), «Die letzten Jahre des Euro» (2011, 3e édition), «Vom Goldstandard zum Euro. Eine deutsche Geld­geschichte am Vorabend der dritten Währungsreform» (2014) et tout récemment «Beuteland. Die systematische Plünderung Deutschlands seit 1945» (2016).      

Le texte ci-dessus correspond au contenu de l’intervention que Bruno Bandulet a présenté le 2 septembre 2016 au colloque du groupement européen «Mut zur Ethik».
(Traduction Horizons et débats)

[Translate to fr:] «Allein das Recht der Schweizer, in Volksabstimmungen das letzte Wort zu haben, macht eine EU-Mitgliedschaft unmöglich»

«Rien que le droit des Suisses d’avoir le dernier mot lors de votations populaires rend l’adhésion à l’UE impossible»«La Cour de justice déforme la loi au lieu de la protéger […]. La survie de l’euro repose depuis 2010 sur de continuelles violations de la loi. La séparation des pouvoirs entre les domaines exécutif, législatif et judiciaire – l’un des plus grands acquis de la civilisation européenne – est éludée. L’UE, même avec la meilleure volonté, aurait des problèmes avec la démocratie, car celle-ci est d’autant plus difficile à réaliser que l’Etat ou l’entité de type étatique est grande. L’aversion non dissimulée des cercles dirigeants de l’UE envers la Suisse n’est pas une coïncidence: rien que le droit des Suisses, d’avoir le dernier mot lors de votations populaires (un attribut de la véritable démocratie), rend l’adhésion à l’Union européenne impossible. Car le centralisme européen ne pourrait fonctionner, si un seul membre avait le droit de rejeter les lois adoptées à Bruxelles.» (Bruno Bandulet. Beuteland. Die systematische Plünderung Deutschlands seit 1945, 2016, p. 206)

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