Editorial

Editorial

Kishore Mahbubani, spécialiste en sciences politiques et diplomate de Singapour, est l’un de ceux, qui – notamment avec son livre «Le défi asiatique» – a démontré la fin prochaine de la dominance de l’Occident. Un ordre mondial unipolaire ne peut pas être maintenu en permanence – car, comme le spécialiste allemand en droit public Martin Kriele l’a exposé dans son ouvrage «Die demokratische Weltrevolution» [La révolution mondiale démocratique], la pensée de l’égalité fondamentale de tout être humain et son effet sur la conscience des hommes ne peut plus être réprimée. Elle correspond tout simplement à la nature humaine.
Actuellement cependant, la question la plus urgente à laquelle nous sommes confrontés est de savoir si la transition vers un ordre mondial multipolaire, accepté universellement, est réalisable plus ou moins pacifiquement ou si le risque de la catastrophe nucléaire nous menace. En d’autres termes: les forces raisonnées en Occident et notamment aux Etats-Unis – souhaitant également le bien-être de leurs propres populations – pourront-elles s’imposer face aux représentants de la suprématie universelle de la «nation indispensable» d’Outre-Atlantique, prêts à utiliser tous les moyens, y compris la guerre nucléaire, pour défendre leur position?
Dès la crise de Cuba en 1962, nous savons qu’une telle guerre ne peut être menée. Face aux exigences avancées par les néo-conservateurs américains, revendiquant la supériorité absolue et la force de première frappe nucléaire, l’ancien secrétaire américain à la Défense Robert McNamara a, il y a une dizaine d’années, en se remémorant cette crise, expressément condamné de telles idées (cf. Horizons et débats no 30/mars 2005). Il déclara: «C’est un pur hasard que la guerre nucléaire ait pu être évitée.» A l’époque, le dimanche 21 octobre 1962, John F. Kennedy dut prendre la décision d’attaquer Cuba ou pas. Bien que la majorité des personnes présentes avait voté en faveur de l’attaque, il voulut connaître l’avis du général responsable, s’il lui garantissait qu’aucune bombe ne tomberait sur les Etats-Unis lors d’une attaque nucléaire de leur part. La réponse fut «Non!» – ainsi il n’y eut des bombes atomiques ni sur Cuba ni sur la Russie.
L’article ci-contre sur les stratégies militaires défensives de la Russie et de la Chine va exactement dans ce sens, car il illustre bien le fait que les deux pays ne sont pas enclins à tolérer une attaque nucléaire sur leur territoire. L’intention est claire: quiconque décide de nous attaquer – aussi avec des armes nucléaires – devra payer très cher, et une telle attaque causerait inévitablement de très nombreuses victimes et d’énormes dégâts également aux Etats-Unis. Depuis Hiroshima et Nagasaki, nous savons ce que signifie la contamination radioactive. Sinon, on peut en prendre conscience en étudiant les publications du mouvement «Maires pour la Paix», créé en 1982 sur initiative du maire de Hiroshima.
Toutefois, la politique de puissance poursuit parfois sa propre logique, quelques fois calculée de manière rationnelle, mais trop souvent totalement irraisonnable. L’arrogance élitaire du pouvoir est parfois très proche de la folie, dont les activités peuvent prendre des formes destructrices et autodestructrices en méconnaissance des aspects essentiels de la réalité. Il est possible que les expériences historiques manquent aux Etats-Unis: jusqu’à présent, ils n’ont jamais connu la guerre sur leur sol. En Russie, la situation est très différente, comme les voyageurs dans ce pays le constatent facilement: la Seconde Guerre mondiale est encore très présente dans la mémoire des gens. La Russie n’a pas oublié les 26 millions de morts. On se souvient encore aujourd’hui, avec respect et sérieux, des victimes que la défense de l’invasion d’alors a demandées. Et la Russie montre clairement qu’elle n’est pas prête à tolérer une nouvelle guerre destructrice sur son territoire.
Idem pour la Chine. Au lieu de pratiquer une arrogance doctrinaire et pseudo-moralisatrice, l’Occident ferait mieux de prendre connaissance du fait que des millions de personnes – on parle de 400 millions – ont pu sortir de la pauvreté dans ce pays. On peut bien sûr regretter que la Chine ait investi de grandes sommes pour le développement de son armement et de son armée, mais cela n’enlève rien au développement économique acquis. Vu les conflits géopolitiques, conséquents au développement d’un nouvel ordre mondial multipolaire, ces dépenses sont compréhensibles. La Chine déclare également qu’elle n’acceptera aucune ingérence dans ses affaires intérieures.
Cependant, ce pays aurait encore d’autres choses à offrir. Par exemple la proposition de Fu Ying, présidente de la Commission des Affaires étrangères du Congrès national du peuple de la République populaire de Chine, publiée dans «Foreign Affairs»: partenariat et coopération au lieu de conflits et guerres entre les grandes puissances. Selon son analyse, cela permettrait de créer une situation «gagnant-gagnant» pour tous les pays concernés. C’est une voix de la raison. (cf. Horizons et débats no 2 du 25/1/16).
Entre-temps, la guerre en Syrie risque de devenir l’étincelle mettant le feu à la poudrière. Espérons qu’à l’arrière-plan, il y ait encore de nombreux acteurs œuvrant à une solution diplomatique. Les avertissements de Willy Wimmer en font partie et contestent la propagande belliciste. Il faudrait que bien plus d’initiatives de ce genre se manifestent de par le monde!

Erika Vögeli

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