C’est ainsi que le Parlement wallon a débattu de la question du CETA

C’est ainsi que le Parlement wallon a débattu de la question du CETA

Extraits de la séance parlementaire

jpv. Voici une documentation proposée par «Horizons et débats» en guise d’information: ce sont des extraits du compte-rendu avancé de la séance publique de la Commission chargée de questions européenne du Parlement de Wallonie du 21 octobre 2016 concernant le CETA/AECG (Comprehensive Economic and Trade Agreement/Accord économique et commercial global). Ce compte-rendu illustre, dans tous les partis représentés, l’approche profondément démocratique pour le bien du pays, telle qu’elle serait souhaitable pour tous les Parlements européens. Le traité CETA entre le Canada et l’Union européenne a été clôturé le 26 septembre 2014. En octobre 2014, la Commission chargée des questions européennes a commencé les travaux d’analyse et a, par la suite, voté le 27 avril 2016 une résolution contenant ses revendications. Celle-ci a été confirmée le 14 octobre par le Parlement en séance plénière. Suite à cela, Paul Magnette, chef du gouvernement et Ministre-Président de la Wallonie, a accepté de mener les négociations avec les représentants du Canada et de l’UE en étroite concertation avec la Commission parlementaire.

Le 21 octobre, il était prévu de tenir une séance de commission avec le chef du gouvernement à 9.30 heures, pour débattre des derniers résultats des négociations. Etant donné que le Ministre-Président était encore occupé à négocier avec la délégation canadienne les nouvelles propositions de celle-ci, la séance n’a pu reprendre que vers midi.
Dans son intervention, M. Magnette a d’abord fait état de l’avancement positif des discussions dans certains domaines spécifiques, notamment dans celui de l’agriculture. En revanche, il a précisé que des difficultés demeuraient dans un dossier hautement symbolique mais politiquement extrêmement important: celui de l’arbitrage.

Réflexions préliminaires du Ministre-Président Paul Magnette

«Je dois dire que la discussion que nous avons eue ce matin avec les Canadiens était très constructive, nous avons rappelé l’entier attachement qui est le nôtre pour ce grand et beau pays auquel nous sommes si profondément attachés. Nous leur avons rappelé que nous ne sommes évidemment pas contre le commerce, d’ailleurs nous en faisons déjà beaucoup avec eux, et que nous voulons continuer à travailler avec eux. Nous avons écouté les marges de manœuvre dont ils nous ont dit disposer pour discuter, mais je dois vous dire aussi très honnêtement que nous avons une contrainte temporelle, c’est qu’à ce stade – et je plaide encore et toujours pour le faire de manière tout à fait amicale – on convienne ensemble de reporter le sommet Europe-Canada et que l’on se donne du temps pour réfléchir. Jusqu’ici, je ne parviens pas, de ce point de vue, à convaincre. Voilà donc où nous en sommes. […]
Je l’ai dit à chacun et je l’ai dit aux plus hauts représentants de la Commission et du Conseil européen, nous restons dans une optique constructive pour négocier, pour essayer de réaliser un bon traité. Si l’on pouvait atteindre un traité – comme je l’ai dit lors de mon intervention en séance plénière la semaine dernière – avec des normes sociales, environnementales, des droits de l’homme, de protection des services publics, de protection de l’agriculture, avec des mécanismes publics très forts, cela serait une grande avancée pour l’Europe et le Canada. Cela renforcerait les liens entre l’Europe et le Canada. Nous deviendrions ceux qui fixent les standards internationaux. Et si nous n’obtenons pas ce niveau-là? Si nous ne tenions, pour un certain nombre de normes par exemple de service public, qu’une déclaration qui ne soit pas véritablement un engagement contraignant?
La question de l’arbitrage est très importante, elle sera une question clé. Demain, quand il y aura des conflits entre les Etats et les multinationales, qui décidera? Les juridictions nationales ou des mécanismes? Le mécanisme tel qu’il est formulé par écrit aujourd’hui dans le traité n’est pas très clair. Il s’agit de grands principes, de grandes lignes directrices. Le mécanisme n’est pas encore décrit avec précision, même s’il y a eu quelques améliorations dans la manière dont il est précisé. Faut-il – pour prendre une expression bien courante – acheter un chat dans un sac? Faut-il accepter le traité même si, malheureusement, il y a là quelque chose risquant potentiellement de poser problème?
Cela n’est pas anodin. On parle fondamentalement de la manière dont les Etats règlent leurs problèmes avec les multinationales, à un moment où – un certain nombre de cas le démontrent – ces tensions se renforcent, les contentieux sont nombreux et le sentiment que les Etats ont perdu du contrôle public est très répandu, parce que cela correspond à une réalité.
Voilà le débat que nous avons, avec une grande courtoisie et une grande ouverture d’esprit, mais en revanche avec peu de marge sur le calendrier, à ce stade.
Je propose de laisser la parole aux parlementaires pour pouvoir ensuite répondre à leurs questions.»

Extraits des interventions de membres de la Commission

André Antoine, président du Parlement et de la Commission, remercie le Ministre-Président de s’être libéré en pleine négociation et souligne que c’est du jamais vu, puisque le Parlement est ainsi directement associé aux discussions par sa présence. M. Antoine le remercie également pour les divers documents qu’il a fait distribuer aux membres parlementaires et il ajoute: «Surtout – et je le dis en tant que président de ce Parlement de Wallonie – les revendications de notre résolution – alors que souvent on se gausse des résolutions – a servi de référence à vos négociations. Il s’agit de la résolution que nous avons approuvée en Commission le 27 avril et confirmée par le Parlement le 14 octobre.»
Dans ce qui suit, nous livrons la documentation de quelques extraits des interventions de cinq des dix membres de la Commission, issus de 6 partis différents.
Frédéric Gillot (PTB-GO!): «Monsieur le Ministre, j’apprécie que vous gardiez le cap dans votre détermination à vous opposer à ce traité. Cette détermination émane de la volonté exprimée démocratiquement par ce Parlement. Le processus démocratique fonctionne très bien, j’aimerais encore une fois le souligner. La Wallonie n’est pas isolée. Quand on considère l’état d’esprit dans certains pays, je peux vous assurer que la Wallonie n’est pas isolée. […]»
Olga Zrihen (PS): «Je salue la qualité du travail parlementaire qui est le meilleur miroir de tout un travail démocratique largement réclamé par tous nos citoyens, qu’ils soient nationaux ou européens.
Venons-en au fond. […] Je voudrais plaider pour que l’on entende bien la position de notre groupe et qui pourrait être celle de plusieurs parlementaires. Ecrire un texte comme celui- là, qui nous engage, 500 millions d’Européens, un texte aussi fondamental de part et d’autre de l’Atlantique nécessite du temps. Est-il inconcevable de prendre peut-être un mois de réexamen pour que toutes les consultations adéquates soient faites afin que chacun puisse vraiment se positionner? Serait-ce un mois, deux mois? Serait-ce un cadeau de Noël ou celui de l’Epiphanie? Je n’en sais rien. Le sens de la responsabilité des 28 Etats membres et le sérieux dont nous faisons preuve dans ce travail, les attentes de toutes parts, les analyses qui ont été faites, méritent d’être pris en compte. Nous plaidons non pas contre le traité, mais pour que le temps nécessaire de la responsabilité et de la sérénité lui soit consacré.»
Hélène Ryckmans (Ecolo): «Depuis quelques jours, des messages nous parviennent de toutes parts, de différents secteurs, tant d’Europe que du Canada. Ces messages de soutien et de félicitations indiquent la volonté ainsi que l’attente d’un nombre important de citoyens européens de différents pays pour notre démarche et pour la clarification du contenu de ce traité.
On a pu constater, avec soulagement, que le Gouvernement fédéral a bien exprimé son rejet d’une solution de passage en force suggérée par certains. […]»
Christophe Collignon (PS): «Tout d’abord, un préambule, pour saluer la détermination du ministre-président et de l’ensemble du Gouvernement, pour le remercier pour le suivi parce que je pense que c’est assez rare. Il faut aussi pouvoir le signaler. On est dans un exercice démocratique extrêmement rare. Quelque part aussi, cela rejoint les demandes de la société civile par rapport aux négociations européennes, par rapport à l’ensemble des courriels que nous recevons les uns et les autres, par rapport aux expressions, je crois qu’il est sain que, dans une démocratie, le dernier mot revienne au Parlement. Je pense que le Parlement wallon n’a certainement pas à rougir de la façon dont il traite le dossier. Si j’osais, je dirais que nous donnons aussi l’exemple à l’Europe. […]»
Dimitri Fourny (cdH): «Si nous avançons, il nous faut des certitudes, il nous faut des garanties pour nos agriculteurs, pour nos entrepreneurs, pour nos petites entreprises, pour les citoyens de manière générale. Nous devons avoir des garanties quant à la validité, à la force contraignante, à la force juridique des accords qui peuvent encore être négociés maintenant, et leur avancée.
Nous avons besoin de temps. Les écrits restent, les paroles s’envolent. On ne peut pas, entre deux portes, entre deux avions, entre deux voyages entre Strasbourg et Namur, négocier des choses aussi fondamentales que celles que vous êtes en train de négocier et pour lesquelles il y a des avancées.
Il est impératif que nous puissions et que vous puissiez disposer du temps utile pour rédiger, de manière précise – et Dieu sait si le diable se situe toujours dans les détails – afin d’avoir des garanties fermes quant à la valeur contraignante des accords qui pourraient intervenir entre la Wallonie, le Canada et la Commission.
Nous plaidons avec force pour que vous puissiez continuer à vous donner le temps. S’il faut trois semaines, s’il faut un mois, s’il faut six mois, prenons-les, mais ne gâchons pas la fenêtre d’opportunité que la Wallonie vient d’ouvrir à l’endroit du Canada. […]»
Pour des raisons de place, il n’est malheureusement pas possible de fournir la documentation des extraits de tous les 10 parlementaires s’étant exprimés lors de cette séance d’environ 90 minutes. Pour terminer, il nous paraît cependant utile de présenter quelques extraits des réflexions finales du Ministre-Président.

Réflexions finales du Ministre-Président

Paul Magnette, Ministre-Président: «Je vais donc essayer de répondre dans la plus grande transparence à vos questions. Très rapidement, je vais rappeler pourquoi on fait tout cet exercice. Si je le fais, c’est parce que certains essayent aujourd’hui de jeter le discrédit sur l’exercice parlementaire que nous menons, comme si c’était une manœuvre.
Nous sommes l’un des rares Parlements régionaux en Europe qui a le même pouvoir qu’un Parlement national. Ce pouvoir nous a été donné, certains qui l’ont donné le regrettent aujourd’hui. Je remarque aussi la correction du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères qui ont dit qu’il ne passerait pas outre l’avis du Parlement wallon – et je pense que c’est une excellente chose –, mais on ne peut pas nous dire: ‹On vous donne du pouvoir, mais on vous demande de ne pas l’utiliser.› A partir du moment où l’on nous donne ce pouvoir, il est logique que le Parlement utilise son pouvoir de contrôle. […]
L’autre raison pour laquelle ce débat est si tendu, c’est parce que, évidemment – et cela a été rappelé hier aussi – on ne parle pas seulement de traité avec le Canada. On parle de tous les futurs traités commerciaux bilatéraux, c’est pour cela que c’est si important. Je pourrais presque dire, si je voulais faire de l’emphase, que le débat que l’on a ici c’est celui de savoir de quelle mondialisation nous voulons. Le monde, il va se mondialiser qu’on le veuille ou non, c’est comme cela, c’est un monde ouvert et tant mieux, il n’y a rien de pire que les frontières. Mais comment cette mondialisation va-t-elle se faire? Va-t-elle se faire avec des règles fortes ou avec des règles un peu fragiles? Va-t-elle le faire en protégeant les autorités publiques ou bien sont-ce les multinationales qui pourront faire la loi? Va-t-elle se faire avec des juridictions fortes qui respectent toutes les garanties ou bien cela va-t-il être des arbitrages privés auxquels n’auront accès que ceux qui en ont les moyens? Ce sont les questions fondamentales que l’on se pose. […]
Sur le règlement des différends, c’est un des points les plus sensibles, c’est peut-être même le point le plus sensible et ce n’est pas un détail. Parfois, même quand on a un accord général et qu’il reste un seul point de désaccord, cela peut faire tomber tout l’exercice. […] Dans ces mécanismes tels qu’ils sont prévus aujourd’hui, nous avons le sentiment que les garanties ne sont pas tout à fait suffisantes, et c’est un euphémisme.
D’ailleurs, cela n’est pas un hasard si cela ne figure pas dans l’application provisoire. Beaucoup d’autres pays ont le même problème et ne veulent pas voir se mettre en place ce tribunal avant de tout savoir. On nous dit: ‹Ce n’est pas grave. Avancez. On verra bien au moment de la ratification.› La technique est toujours la même: faire avancer et ensuite après on ne peut pas refuser parce que l’on est le dernier. Non, à un moment donné, il en faut bien un qui dise: ‹Je vais quand même bloquer.› […]
Dans ce traité, il y a des choses vraiment intéressantes. Il s’agit d’un traité très avancé, le plus avancé qui existe – si un jour il existe – en matière commerciale, il y a encore des difficultés majeures. Vous m’avez demandé de défendre cette position politique, de ne pas dire: ‹C’est bien, mais il reste deux ou trois petits problèmes. Cela n’est pas grave, on avance.› Vous m’avez demandé de dire: ‹On veut aller au bout de la négociation, parce que l’on pense que l’on va fixer là un standard qui va avoir ensuite devenir la norme pour beaucoup d’autres› et j’ai défendu cette logique. […]
Il était bon que ce débat soit ouvert. On sait, en démocratie, que quand on ouvre la boîte, elle ne se referme pas. J’espère que beaucoup d’autres parlements auront envie de mener un travail de la qualité au moins équivalente au vôtre.»     •

Source: Extraits du compte-rendu avancé de la Commission chargée de questions européennes du Parlement wallon du 21 octobre 2016.
<link http: nautilus.parlement-wallon.be archives crac crac26.pdf>nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2016_2017/CRAC/crac26.pdf

Belgique et Wallonie

jpv. Depuis 1993, la Belgique est un Etat fédéral. Le pays comprend trois régions: la Région wallonne, la Région flamande et la Région Bruxelles-Capitale ayant toutes leurs propres Parlements et gouvernements. Puis, il y a trois «Communautés culturelles»: la française, la flamande et la germanophone, toutes également avec de larges compétences. La Wallonie correspond à la partie sud de la Belgique, avec une surface de 17 000 km2 (sur un total de 30 000 km2) avec une population de 3,5 millions d’habitants (sur un total de 11 millions).

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