TTIP – aspects politiques (partie 3)

TTIP – aspects politiques (partie 3)

par Dario Rivolta*

En 2003, les Etats-Unis et l’UE ont conclu un accord sur des normes impératives dans le domaine des transports aériens. Peu de temps après, le Canada, le Brésil et la Chine ont également accepté les normes de cet accord, devenues ainsi une référence commune pour les plus grandes économies nationales du monde.
Si l’accord TTIP était réalisé, il est bien possible que cela se passera de la même manière: les critères adoptés se transformeraient très probablement en références communes également pour tous les autres pays. C’est un des buts déclarés des défenseurs de la conclusion de cet accord. Outre cela, un autre accord, similaire au TTIP, a déjà été signé entre le gouvernement américain et 11 autres pays. C’est le TTP (Trans Pacific Partnership), dont les gouvernements des Etats-Unis, de Chile, de Brunei, de la Nouvelle Zélande, de Singapour, de l’Australie, du Canada, du Japon, de la Malaisie, du Mexique, du Pérou et du Vietnam sont signataires. Il est évident qu’un accord euro-américain convenu plus tard ne peut pas contenir de clause en contradiction à un accord déjà signé.
Il est encore incertain que l’Accord transpacifique (TPP) entre réellement en vigueur, puisque cela nécessite jusqu’au 4 février 2018 la ratification par au moins six Parlements de pays signataires, ayant au moins 85% du PIB de tous les pays signataires. Pour des raisons avant tout économiques, semblables aux problèmes concernant TTIP (cf. Horizons et débats no 22 du 3/10/16), il y a aux Etats-Unis de plus en plus de politiciens sceptiques quant à l’utilité d’une ratification. Au Japon, l’agriculture locale ne semble pas non plus disposée d’accepter un système la défavorisant massivement. Quoi qu’il en soit, les parlementaires doivent lire le texte entier, c’est-à-dire environ 6000 pages divisées en 30  chapitres avec beaucoup de chiffres et de références à des normes.
Cela ne serait pas bien grave, si l’importance globale de cet accord le justifiait. C’est donc plutôt dommage que les parlementaires – sans aucune information sur le contenu des négociations de ce texte – aient maintenant uniquement la possibilité de voter oui ou non, sans pouvoir demander de modifications ou exiger des votes séparés sur certains points.
Le même mécanisme se répète avec TTIP. Les négociations ont également eu lieu en huis-clos et c’est uniquement grâce à Greenpeace et d’autres organisations, ayant laissé fuiter certaines informations, qu’on a eu connaissance de certains détails. C’est alors que le gouvernement italien a consentit à rendre publique la situation actuelle. Cependant, elle a posé des conditions plutôt gênantes: l’accès aux documents n’était possible que pour les parlementaires l’ayant demandé. Ils durent s’organiser à tour de rôle et chaque fois pour une heure. Ils pouvaient le faire dans une pièce spéciale et contrôlée et ne pouvaient ni copier ni photographier les documents. Je n’approuve pas ceux qui se plaignent à cause de ce manque de transparence: il est compréhensible que les négociations internationales doivent restées confidentielles jusqu’au bout. Afin d’avoir la plus grande marge de manœuvre possible, les parties ne doivent pas être trop sous pression et doivent pouvoir faire un pas en arrière ou profiter d’une certaine marge de manœuvre. Cependant, les règles démocratiques exigent, qu’aussitôt que le texte commun est finalisé et avant sa signature, les représentants du peuple puissent prendre connaissance du travail accompli pour éventuellement proposer des modifications. Le ministre italien Carlo Calenda, grand partisan de l’accord, loue l’organisation démocratique du processus avec les mots suivants: «[…] il faut non seulement une décision unanime du Conseil de l’Europe, mais aussi du Parlement européen et des 38 Parlements nationaux. Existe-t-il un processus plus démocrate?» (cf. Espresso du 2 juin). Dommage, cher Monsieur Calenda, que pour cet accord TTIP nous devons accepter «le tout ou rien» tout comme les Etats-Unis, bien que, selon le titre d’un article paru sur le site Stratfor, «le diable se cache dans les détails». Le fait de devoir accepter ou rejeter en bloc un texte très complexe, avec des intérêts souvent contraires, entre les droits de douane, les normes de santé, d’environnement et de finance et le pouvoir législatif futur des gouvernements et des Parlements finalement décisif pour la survie de branches économiques entières, est une procédure manquant fortement de respect envers le rôle des élus.
Si l’on respecte la bonne foi de ceux ayant imposé cette approche, il semble qu’une discussion publique sur des points spécifiques ne soit pas voulue, afin d’empêcher l’intervention des puissantes lobbies et de privilégier ainsi les intérêts généraux et non pas les intérêts particuliers. Si cela était la seule raison, on doit malheureusement quand-même se demander pourquoi, après la fin des négociations (donc après le consentement des Parlements), il soit prévu d’avoir un autre «consensus normatif» progressif entre les Etats-Unis et l’UE. Une telle «révision» sera confiée à des «spécialistes techniques» opérant sans aucun contrôle par un comité d’élus. C’est-à-dire que le texte approuvé par les Parlements sera modifié ultérieurement sur une base confidentielle par des spécialistes politiquement non légitimés, responsables uniquement envers leurs supérieurs. N’est-ce pas précisément cela qui donne un accès non autorisé aux lobbies? Nous y voyons un énorme danger.
Récapitulons, même si nous pouvions approfondir encore de nombreux autres points: cet accord encore en négociations va probablement aboutir à ce que les intérêts économiques figurent au-dessus des lois étatiques qui, à leur tour, désirent favoriser plutôt les aspects touchant à la santé et à l’environnement. Les jugements qui vont être assignés à des «tribunaux arbitraux» vont se dérouler parallèlement à la justice traditionnelle et seront indépendants de celle-ci. L’éventuel avantage économique pour les deux parties contractantes sera ridiculement bas ou même négatif dans certains cas. Les Parlements n’auront plus rien à dire de substantiel sur le contenu de l’accord et pourraient à l’avenir être totalement exclus de tout amendement ou extension futurs. Des organismes génétiquement modifiés (OGM) et de la viande aux hormones pourraient remplir les étales de nos hypermarchés et des centaines de milliers de travailleurs pourraient voir diminuer leur sécurité ou même perdre leur place de travail.
Quel est donc le sens d’insister sur la mise en œuvre de cet accord?
Une clé de compréhension des deux accords TPP et TTIP est leur exclusion commune des économies nationales des Etats BRICS, les dits pays émergents que sont le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Ainsi, on veut préciser que cette «OTAN économique» (un terme utilisé par l’ancien secrétaire général de l’OTAN, et par Obama devant le Congrès) permettra aux Etats-Unis et non pas à la Chine d’écrire «les règles de la voie vers le XXIe siècle». Ceux qui signeront cet accord se positionneront du côté de ceux voulant gérer l’avenir du monde.
Les mauvaises langues y ajoutent que les Américains, étant en perte d’influence, visent à réorganiser leur leadership à l’échelon global à l’aide de ces deux accords en exprimant ainsi leur intention de s’assurer leur sphère d’influence des deux côtés des océans. Il va de soi que notre place est du côté des Américains. Nous devons uniquement nous demander, quel prix nous sommes prêts à payer.    •

*     Dario Rivolta est ancien député au Parlement italien, analyste géopolitique et spécialiste des relations internationales et des questions économiques.

(Traduction Horizons et débats)

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