L’importance de la démocratie directe pour la garantie de la paix sociale

L’importance de la démocratie directe pour la garantie de la paix sociale

Après la Seconde Guerre mondiale, le peuple décide d’ancrer dans la Constitution un article sur la famille, un nouvel article économique et l’instauration de l’AVS (partie 7 et fin)

par Werner Wüthrich, docteur ès sciences politiques

Après la Seconde Guerre mondiale, il y eut dans l’histoire de la Suisse une brève phase de quelques années durant lesquelles le peuple suisse posa, lors de diverses votations, les fondements de l’économie sociale de marché avec laquelle nous vivons aujourd’hui. Il ne s’agissait pas uniquement de nouveaux articles constitutionnels relatifs à l’économie, mais également d’un article sur la famille et, grâce à une nouvelle loi, de la création de l’Assurance-vieillesse et survivants (AVS). «Horizons et débats» a publié, dans la série d’articles intitulée «L’importance de la démocratie directe pour la garantie de la paix sociale», les antécédents de ces événements significatifs pour la Suisse actuelle (1re partie: no 14 du 1/6/15, 2e partie: no 15/16 du 22/6/15, 3e partie: no 17 du 29/6/15, 4e partie: no 19 du 27/7/15, 5e partie: no 24 du 21/9/15, 6e partie: no 30 du 30/11/15).

L’année 1943 est une année particulière dans la mémoire de l’histoire mondiale. La chance commença à tourner le dos aux armées d’Hitler. En Afrique, Rommel fut contraint de se retirer, suite à la bataille d’El-Alamein. A l’Est, les armées allemandes durent se retirer suite à la défaite de Stalingrad. Dans les océans, les sous-marins allemands se retrouvaient dans une position défensive et les Etats-Unis purent améliorer leur soutien matériel à leurs alliés en Europe. Churchill, Roosevelt et Staline se réunirent, pour la première fois à Téhéran pour s’entretenir sur l’ordre mondial de l’après-guerre – après la capitulation d’Hitler. La guerre dura cependant plus longtemps que prévu.
En Suisse, pays heureusement épargné des combats, des citoyennes et citoyens se demandèrent déjà en 1943 comment continuer après la guerre. L’atmosphère de déprime des années 30 et les angoisses soulevées par la guerre s’affaiblirent et un climat d’optimisme politique repris le dessus. Le chômage continua pourtant à occuper la tête de liste des tâches politiques. En avril 1943, se tint deux jours durant à Zurich une réunion nationale d’envergure, consacrée au sujet «Etat et économie en lutte contre le chômage». Y participèrent des personnalités communales, des membres du Conseil fédéral, et des représentants des syndicats et de l’économie. La même année, trois initiatives populaires furent déposées, ayant comme sujet le «droit au travail», visant à renouveler la vie économique. Les nouveaux articles constitutionnels sur l’économie, après avoir été adoptés par le Parlement, étaient prêts à être soumis au peuple. Mais à la même époque il y eut encore deux autres initiatives populaires, cherchant à donner de nouvelles réponses aux questions socio-politiques centrales de la vie sociale: la protection de la famille et la prévoyance vieillesse. On pouvait donc s’attendre à des débats passionnants.

Oui à la prévoyance vieillesse – mais comment? Premières tentatives

En 1925 déjà, le peuple suisse avait soutenu l’idée de la création d’un article constitutionnel sur l’Assurance-vieillesse et survivants (AVS). Sa réalisation sous forme d’une loi fédérale s’avéra pourtant assez compliquée. En 1930, le Conseil fédéral et les Chambres fédérales avaient élaboré avec des spécialistes en matière d’assurances, une loi sur l’AVS. Celle-ci était fondée sur le modèle suivant: l’assurance étatique devait être obligatoire et – semblable à la situation actuelle – financée par des prélèvements sur les salaires et des cotisations patronales. On prévoyait d’y ajouter des fonds provenant des impôts sur le tabac et l’alcool. L’assurance devait – à nouveau selon la situation actuelle – fonctionner selon le système de répartition, c’est-à-dire que les primes versées sont aussitôt réutilisées pour financer les rentes des personnes âgées. A la différence d’aujourd’hui, les primes et les rentes étaient uniformisées, c’est-à-dire indépendantes du revenu et très modestes. Un homme payait à l’époque 18 francs suisses par année, une femme 12 francs. La cotisation patronale était de 15 francs. La rente annuelle, après avoir atteint l’âge de 65 ans, était pour tout le monde 200 francs par année. C’était peu, même en considérant la perte de valeur de l’argent au cours du XXe siècle.
Cette AVS était conçue en tant qu’assurance minimum et partait de l’idée que les citoyennes et citoyens faisaient eux-mêmes des efforts de prévoyance dans le cadre de leur famille et que les cantons installaient des assurances complémentaires. Le canton de Glaris en donna l’exemple. En 1918 déjà, la landsgemeinde accepta, par vote à mains levées, une AVS et une assurance-invalidité. La rente uniformisée s’élevait à 180 francs par année à partir de 66 ans, et augmentait chaque année. Auparavant, l’assemblée des citoyens avait déjà accepté une assurance-chômage. Le canton de Glaris avait ainsi justifié, une fois de plus, sa renommée de canton pionnier puisque la landsgemeinde avait adopté, déjà en 1863, la première loi moderne sur les fabriques en Europe. Dans les années 30, le modèle de la prévoyance vieillesse reposait sur trois piliers: 1) sur la prévoyance individuelle de la famille, 2) sur l’assurance-vieillesse publique ou privée et 3) sur la prévoyance vieillesse réalisée par les communes et certaines institutions d’utilité publique (comme par exemple la «Fondation pour la Vieillesse», aujourd’hui Pro Senectute) qui venaient en aide là où l’argent manquait. Les communes géraient également des «Bürgerheime» pour les citoyens âgés de la commune. Ces établissements prenaient en charge et garantissaient les soins des personnes âgées n’étant plus capables de se soigner eux-mêmes.

AVS sans compensation sociale

Selon l’analyse d’aujourd’hui, il apparait clairement que dans l’assurance-vieillesse planifiée en 1931, la compensation sociale manquait totalement. Les riches et les pauvres devaient payer les mêmes primes et toucher les mêmes rentes. Au Parlement, tous les grands partis, y compris le Parti socialiste, donnèrent leur accord. Il y avait cependant des citoyens et des petits partis qui n’étaient pas prêts à accepter cette solution. Les communistes, prônant une sorte de pension populaire, s’opposèrent au projet de loi parce que les rentes étaient trop basses. Ils déclarèrent qu’une telle «soupe pour mendiants» était indigne. Les cercles catholiques s’orientèrent sur l’Encyclique du Pape «Quadragesimo Anno» désirant une prévoyance vieillesse soutenue par la famille, les associations professionnelles et l’Eglise. Les cercles libéraux voyaient l’AVS plutôt comme une affaire privée qu’ils voulaient compléter par une assurance-vieillesse facultative et une prévoyance vieillesse soutenue par la Confédération. A leur avis, c’était la seule possibilité d’empêcher que des personnes touchent une rente de l’Etat dont ils n’avaient pas besoin.
Comme c’est souvent le cas dans une telle situation, les citoyens qui n’étaient pas d’accord recoururent au référendum (qui aboutit). D’autres présentèrent une alternative à l’aide d’initiative populaire. De cette manière, les cercles artisanaux préconisèrent des subventions fédérales pour la prévoyance vieillesse des communes et du canton – au moins jusqu’à ce que l’assurance-vieillesse fédérale voie le jour.

Désillusion après le non du peuple

Le 6 décembre 1931 fut une de ces journées de vote assez fréquentes, lors desquelles la classe politique fut contrainte de constater que le peuple décidait différemment de ce qu’elle pensait. Près de 80% des électeurs allèrent voter pour s’opposer clairement avec 60,3% des voix à l’AVS dans sa conception d’alors. Résultat étonnant, puisque la grande crise économique avec toutes ses détresses venait de commencer. En outre, il y eut de grandes différences régionales. Alors que la ville de Zurich accepta le projet avec 57% des voix, il n’y eut que 7% de votes positifs à Fribourg pour la prévoyance vieillesse proposée. – L’AVS était donc encore très éloignée de l’institution étatique fondamentale qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Après ce rejet populaire, la crise et la Seconde Guerre mondiale retardèrent la réalisation rapide d’un nouveau projet. Dans ces années difficiles, la Confédération soutint financièrement la prévoyance vieillesse des communes et des cantons, comme les libéraux l’avaient revendiqué avec leur initiative populaire. L’appel à une assurance-vieillesse et survivants obligatoire ne cessa pourtant pas.

De l’allocation pour perte de gain à l’AVS – l’initiative de la Société des employés de commerce

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, on développa une nouvelle idée comment réaliser la prévoyance vieillesse. Elle prit ses origines dans les expériences des soldats au sein de l’armée de milice suisse. Début septembre 1939, le Conseil fédéral avait mobilisé toute l’armée d’environ 500?000 soldats pour contrecarrer une attaque attendue venant du Nord. Quand Hitler attaqua l’Union soviétique en 1941, les troupes actives de l’armée suisse furent continuellement réduites jusqu’à plus de la moitié. Après la bataille de Stalingrad en 1943, les effectifs des soldats actifs tombèrent au-dessous de 100?000 soldats car les armées allemandes étaient engagées sur tant de fronts que le danger d’une attaque contre la Suisse n’était plus qualifié «de risque élevé». De nombreux soldats de milice purent retourner à leur poste de travail. D’autres, durent rester à la frontière ou dans les fortifications alpines. Pendant ces longues années, il était important de régler la question des allocations de perte de gain pour les soldats en service militaire actif. Cela n’avait pas été fait pendant la Première Guerre mondiale, ce qui avait engendré de sérieuses tensions sociales aboutissant, entre autres, à la Grève générale de 1918.

Les allocations pour perte de gain des soldats favorisées

En 1939, le Conseil fédéral agit vite. Au cours du premier mois de guerre, l’allocution pour perte de gain des soldats fut déjà réalisée selon le principe suivant: on déduisit 2% du salaire des hommes et des femmes encore actifs à leur poste de travail. L’employeur dut verser le même pourcentage. Ces fonds furent complétés par des moyens publiques. Ce système disposait d’une forme de péréquation sociale, de sorte que les personnes bien payées durent verser davantage car les primes furent calculées en pourcentage du salaire. Dans les cantons, on installa des caisses de compensation qui durent administrer les fonds et verser aux soldats les allocations pour perte de gain.

C’est ainsi qu’il faut procéder!

En 1942, les commerçants organisés dans la Société des employés de commerce (SEC) pensaient «commerce»: leur idée était de prendre ce système comme modèle pour l’AVS future. Les caisses cantonales de compensation pour les allocutions pour perte de gain des soldats fonctionnant bien, on pourrait les transformer en caisses pour l’AVS et continuer à les utiliser après la guerre. Les commerçants étaient impressionnés de la solidarité existant entre la population et ses soldats et la prirent comme modèle la solidarité entre les jeunes et les personnes âgées. Ils n’hésitèrent pas longtemps et commencèrent rapidement à récolter les signatures pour une initiative populaire. Ils firent l’expérience que leurs arguments étaient convaincants et que les citoyens signaient volontiers. Ainsi le nombre des signatures requises fut rapidement atteint puis multiplié.
Dans le passé (tout comme aujourd’hui) il n’était pas rare que le Conseil fédéral réagisse négativement à une nouvelle initiative populaire puisqu’elle dérangeait ses planifications. Cette fois-ci, ce n’était pas le cas. Le Conseil fédéral compétent, Walter Stämpfli, était reconnaissant de cette initiative issue de la population. En 1944, au cours de son discours de Nouvel-An, il promit de réaliser avec le Parlement et les spécialistes une nouvelle loi AVS contenant les idées de base de l’initiative populaire. Et plus encore: il promit également que la nouvelle loi entrerait en vigueur le 1er janvier 1948. Suite à cela, le comité d’initiative déclara qu’il était prêt à retirer l’initiative, le temps venu.

Le 6 juillet 1947, une journée mémorable

Stämpfli, qu’on peut actuellement déclaré «père» de l’AVS, tint sa promesse. Il y eut, comme prévu, un référendum contre son projet de loi, ce qui aboutit à la votation du 6 juillet 1947. Les adversaires présentèrent des arguments similaires à ceux diffusés en 1931. Les cercles catholiques préféraient une prévoyance vieillesse gérée par l’Eglise et les corporations professionnelles. Les cercles libéraux de Suisse romande (qui avaient lancé le référendum) préconisaient – comme en 1931 – un modèle basé sur une assurance-vieillesse privée, complétée par une prévoyance pour les nécessiteux, soutenue financièrement par la Confédération. Pour eux, c’était la seule possibilité d’empêcher que quelqu’un obtienne une rente sans en avoir besoin. – Le résultat dans les urnes fut clair: avec une participation de plus de 80%, les électeurs acceptèrent la nouvelle AVS, avec 80% de voix.
Jusqu’à nos jours, l’idée de base de l’AVS n’a plus jamais été contestée. C’est un modèle d’une loi ayant, de manière impressionnante, trouve sa forme définitive grâce à la collaboration directe de la population.
Initiative populaire

«Pour la protection de la famille»

Presque simultanément avec l’initiative pour la prévoyance vieillesse, on lança une seconde initiative populaire socio-politique. L’Association des catholiques conservateurs déposa en 1943 une initiative «Pour la protection de la famille» avec 178?000 signatures. Elle devait former la base constitutionnelle pour cibler la politique davantage sur les besoins de la famille. Par conséquent, elle visait de promouvoir dans les cantons, les caisses de compensation familiale. Les familles avec enfants devaient toucher davantage de salaire. Certaines entreprises pratiquaient pourtant cela depuis un certain temps déjà. Elle préconisait également des habitations plus favorables aux familles et d’autres revendications.
Cette fois aussi, le Conseil fédéral et le Parlement réagirent favorablement à cette initiative. Mieux encore, le Parlement élabora un contre-projet qui allait encore plus loin que l’initiative (de sorte que le comité put la retirer par la suite). Le contre-projet contenait en plus une assurance-maternité. L’article constitutionnel prévu (aujourd’hui l’article 116) disait: «La Confédération institue, par la voie législative, une assurance-maternité. Elle peut déclarer l’affiliation obligatoire, de manière générale ou pour certaines catégories de personnes. Elle peut également soumettre à l’obligation de cotiser les personnes qui ne peuvent bénéficier des prestations d’assurance […]». Ce nouvel article constitutionnel trouva, lors de la votation du 25 novembre 1945, avec 76% des voix une forte majorité dans la population.

Oui à l’assurance-maternité – mais comment?

Cependant, la mise en œuvre de l’article sur la politique familiale ne fut pas toujours simple. Dans le domaine du logement et de la location, beaucoup de choses furent rendues plus favorables aux familles. Des Caisses de compensation pour allocations familiales furent peu à peu introduites dans tous les cantons ou des caisses déjà existantes furent aménagées cependant avec de grandes différences entre les cantons. En 2006, les citoyennes et citoyens acceptèrent une loi fédérale unifiant les caisses de compensation familiales dans les cantons en fixant, par exemple, des montants minimaux pour les allocations pour enfants. Ce pas fut aussi déclenché par une initiative populaire qui fut retirée après que le Parlement ait élaboré une contre-proposition.
En 2013, le peuple s’opposa de justesse à un nouvel article sur la politique familiale demandant dans la Constitution fédérale une meilleure «conciliation de la vie familiale et de l’activité professionnelle». Ainsi, des crèches auraient dû être partout prescrites légalement. Le projet fut accepté par le peuple, mais il échoua au niveau de la majorité des cantons, notamment suite au rejet par de nombreux petits cantons de campagne. C’était aussi difficile de trouver une solution pour l’assurance-maternité. Dans les années qui suivirent 1945, il y eut sans cesse des propositions qui ne furent cependant jamais entérinées sous formes de loi. Plus tard, la protection de la maternité fut prise en considération dans la loi d’assurance-maladie mais les associations de femmes ne l’approuvaient pas. En 1980, l’Organisation pour les femmes OFRA [Organisation pour la cause des femmes de 1977 à 1997] lança une initiative avec les Organisations progressistes (POCH) et déposa 136'000 signatures. Le Conseil fédéral se défendit contre le reproche ne pas avoir rempli le mandat constitutionnel de 1945. Il avoua qu’il n’y avait aucune assurance-maternité digne de ce nom. Cependant, cette assurance serait intégrée dans le système d’assurance sociale et développée dans ce cadre. Pour les auteurs de l’initiative, cela ne suffisait pas. Ils exigèrent une assurance-maternité séparée avec congé parental, une indemnité journalière, une protection contre le licenciement et un financement en pourcentage du salaire. Cette initiative populaire de la gauche fut refusée en 1984 en votation avec 84% des voix et par tous les cantons. En 1987 et 1999, il y eut deux autres votations populaires, également avec une issue négative. Le point de conflit était, avant tout, la question de savoir si les mères sans activité lucrative (qui ne percevaient aucun salaire) devaient aussi recevoir une indemnité journalière. Ce ne fut qu’en 2004 que le peuple se prononça favorablement à l’assurance-maternité actuelle qui accorde aux femmes exerçant une profession 80% de leur salaire pendant 14 semaines après l’accouchement. L’assurance-maternité fut insérée dans les allocations pour perte de gain pour les membres de l’armée – et cela pour des raisons tout à fait pratiques. Là, l’argent était disponible du fait que l’effectif de l’armée avait sensiblement diminué. Il pouvait donc être utilisé pour les allocations de perte de gain des mères actives. L’assurance-maternité revint ainsi après environ soixante ans de débat avec de nombreuses initiatives populaires au point de départ des assurances sociales actuelles: le règlement des allocations de perte de gain pour soldats pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le peuple montre le chemin à suivre pour l’économie sociale de marché

Revenons aux années après la Seconde Guerre mondiale: la votation sur la nouvelle politique de familles de novembre 1945 était le début d’une série de votations populaires caractérisant encore de nos jours l’économie sociale de marché. Au centre de ce grand débat politique se trouvait la réforme des articles économiques. Elle était devenue nécessaire parce que dans les années trente de nombreuses décisions fédérales, édictées à l’aide du droit d’urgence, contrevenaient au droit fondamental de la liberté du commerce et de l’industrie. Ces articles économiques étaient limités et avaient été souvent élaborés en situation d’urgence. En plus, de nombreuses initiatives populaires au cours des années trente avaient lancé un débat sur la Constitution (cf. les parties 5 et 6 de la série d’articles). Le travail de réforme du Parlement était terminé au début de la Seconde Guerre mondiale. La votation populaire correspondante devait avoir lieu après la guerre.
Quels étaient les points centraux de la proposition de réforme de 1939/1945? La liberté du commerce et de l’industrie formait le noyau des articles économiques dans la Constitution fédérale en tant que droit fondamental du citoyen et comme le principe dirigeant pour le système économique (cf. la partie 2 de la série d’articles). On ne remania ni l’un ni l’autre.
Cependant, les autorités devaient obtenir de nouvelles compétences pour intervenir dans les événements économiques. La Confédération devait pouvoir prendre des mesures sur «l’exercice du commerce et de l’industrie» et pour la «promotion de certaines branches économiques et professions» tout en restant attaché au principe de la liberté du commerce et de l’industrie. Dans cinq domaines, la Confédération pourrait prendre, dans l’intérêt général, des mesures et s’écarter avec cela, en cas de besoin, de la liberté du commerce et de l’industrie afin de:
1)    sauvegarder des branches économiques ou des professions en danger existentiel,
2)    conserver une paysannerie saine et une agriculture efficace ainsi que le renforcement de la propriété foncière paysanne,
3)    protéger sur le plan économique des régions menacées du pays,
4)    lutter contre l’abus des cartels et des accords de prix,
5)    garantir l’approvisionnement du pays – aussi en temps de crise et de guerre. Entre autres, la Confédération pourrait prendre des dispositions concernant la protection des travailleurs, le rapport entre les travailleurs et les patrons, la formation professionnelle, les bureaux de placement, l’assurance-chômage et l’assistance au chômeur.
Des conventions collectives de travail pourraient être déclarées obligatoires afin qu’elles puissent développer leur effet conciliant non seulement pour les associations participantes, mais dans tout le secteur.
Les nouveaux articles économiques revaloriseraient en général les organisations économiques et professionnelles et leur donneraient explicitement le droit d’être entendu dans la procédure législative (procédure de consultation). Cependant, rien de nouveau. Les organisations économiques, les syndicats et notamment les associations agricoles avaient joué depuis toujours un rôle important lors de la préparation et la mise en œuvre des lois. L’administration avait besoin de leurs compétences.
Les articles économiques élaborés furent une deuxième fois brièvement délibérés en 1945 au Parlement. Le Conseil fédéral leur donna l’approbation suivante pour le vote: le nouvel ordre économique préserverait le droit au travail, resterait attaché au système économique libéral et tiendrait compte de la démocratie sociale.

Réactions

Cependant, le projet du Parlement ne resta pas sans contradiction. En 1943, trois initiatives populaires avaient été déposées et discutées seulement après 1945. Elles concernaient toutes le «droit au travail» (cf. partie 6 de la série d’articles):
1)    Les socialistes voulaient supprimer la liberté du commerce et de l’industrie et avoir une économie davantage gérée par l’Etat.
2)    Gottlieb Duttweiler et l’Alliance des Indépendants s’opposèrent à ce que le «vieux» libéralisme économique soit limité par davantage de lois et de dispositions. Ils exigèrent dans leur initiative plus de liberté économique, liée à plus d’éthique et de responsabilité pour réconcilier ainsi capital et travail.
3)    Dans le domaine de l’agriculture, les jeunes paysans (mouvement patriotique des paysans) exigèrent un nouveau droit du sol liant le sol au travail. Les terres agricoles ne devaient pouvoir être acquis que par des personnes cultivant la terre comme base de leur existence.
Après la Seconde Guerre mondiale, le peuple se trouvait devant la tâche exigeante de prendre position dans de nombreuses votations sur les questions fondamentales du système économique, de l’assurance-vieillesse et de la protection de la famille pour se préparer à une nouvelle époque.

Les résultats

L’initiative de l’Alliance des Indépendants «Droit au travail», voulant lier la liberté économique à la pensée et la responsabilité sociales fut clairement rejetée en 1946 par 81% des voix. Il en fut de même pour l’initiative des socialistes voulant placer le système économique sur de toutes nouvelles bases. Elle fut refusée quelques mois plus tard par 69% des voix. Le 6 juillet 1947, le peuple accepta par 53% des voix la réforme des articles économiques qu’avait élaborée le Parlement (actuellement art. 27 Cst.). Une raison expliquant ce résultat serré venait du fait que le PS – à l’époque le groupe parlementaire le plus fort – s’y était opposé au Parlement, estimant que la proposition n’œuvrerait pas assez pour une occupation à plein temps. La crainte des camarades d’une crise d’après-guerre s’est avérée par la suite non fondée. Le chômage ne fut plus un problème pendant plus d’un quart de siècle – tout au contraire.
Dans une autre votation, l’initiative populaire des jeunes paysans fut refusée après que le Parlement ait élaboré un projet de loi pour le maintien de la propriété foncière paysanne. Il accordait des privilèges aux membres de la famille de paysans et des preneurs de bail pour l’acquisition de terres et dans le cas de succession. Le nouvel article de familles (aujourd’hui art. 116 Cst.) et la loi fédérale sur AVS, qui fut acceptée – comme déjà mentionné – le même jour que les articles économiques avec la majorité imposante d’environ 80% des voix, complétèrent le carrousel des votes des années quarante.
Jusqu’à aujourd’hui, il eut encore de nombreuses votations dans les domaines du social et de l’économie. Elles restèrent dans le cadre fixé par le peuple au cours des années d’après-guerre. Il y eut encore plusieurs scrutins sur AVS – par exemple, sur le montant des retraites, les retenues sur le salaire, l’âge de la retraite, le financement supplémentaire, sur la taxe à la valeur ajoutée et bien d’autres sujets. Quelques années après la création de l’AVS, on installa l’assurance-invalidité selon le même principe. En 1972, on ancra le modèle à trois piliers dans la Constitution – avec comme premier pilier l’AVS, l’AI et l’allocation pour perte de gain, comme deuxième pilier la prévoyance professionnelle et la prévoyance individuelle comme troisième pilier. Le peuple approuva ce projet massivement avec 74% des voix. Il refusa cependant clairement plusieurs initiatives populaires de la gauche voulant transformer l’AVS en une caisse de pension populaire.

Les votations populaires assurent la paix sociale

Directement après la Seconde Guerre mondiale, ces votations historiques furent la base constitutionnelle pour la Suisse moderne dans laquelle nous vivons. Dans le domaine économique, il y eut en 1947 une «petite révision totale de la Constitution fédérale, qui s’est maintenue dans les grandes lignes jusqu’à aujourd’hui». (Alfred Kölz) Les scrutins sur l’assurance-vieillesse et la protection de la famille n’étaient pas moins importants. Ils donnèrent à l’économie de marché l’essence sociale que nous connaissons aujourd’hui. La coopération entre le gouvernement, le Parlement et le peuple avait fonctionné à perfection si bien que le système économique avec sa tendance sociale est aujourd’hui typique pour la démocratie suisse.
Il est frappant de constater à quel point la démocratie directe fonctionna bien au cours de ces années et quelle était la quantité de signatures récoltées à l’époque pour les initiatives populaires. Impressionnant est également le nombre d’électeurs qui alla déposer leur bulletin dans les urnes, bien que les sujets étaient souvent exigeants. C’est étonnant de voir à quel point des groupes très variés de la population, qu’ils soient de la Suisse alémanique, romande, italienne ou romanche, revendiquaient leurs droits populaires en participant ainsi activement et directement à la construction de la Suisse moderne. – Il apparait clairement que plusieurs points des initiatives populaires refusées se retrouvèrent plus tard dans la Constitution fédérale ou dans la législation. Ainsi, certaines décisions d’associations peuvent être aujourd’hui déclarées de force obligatoire, comme l’avait déjà exigé une initiative populaire en 1934 voulant à l’époque donner plus de poids politique aux organisations et aux associations professionnelles (cf. partie 5 de la série d’articles). Aujourd’hui, le droit à l’existence (qui est à la base du droit au travail et était contenu dans diverses initiatives) est garanti explicitement dans la Constitution fédérale – d’une part directement par le droit à l’aide en situations de détresse (art. 12?Cst.) et d’autre part indirectement par le réseau élaboré des assurances sociales. Il devient ainsi clair que cela eut été faux de réduire le système économique à la simple liberté du commerce et de l’industrie – aujourd’hui liberté économique – et à ses nombreuses dérogations. Ce droit de liberté est la base juridique du système économique libéral et représente un système d’économie privée libre. Ce système ne fonctionne cependant que parce qu’il est placé dans un cadre étatique et qu’il coordonne aussi les domaines sociaux. En outre, il se base sur un système financier stable et est complété par un secteur économique publique qu’on appelle aujourd’hui service publique. Finalement, cela fonctionne parce que les bases de l’alimentation proviennent du propre pays – pour le moins en majorité – et qu’elles sont garanties. Voici d’autres domaines qui sont encore à examiner du point de vue de la démocratie directe.

Modèle de réussite

Le grand nombre de votations populaires au niveau fédéral, obligatoires ou provoqués par les droits populaires, déterminent la vie économique et sociale de la Suisse. En outre, il y a d’innombrables autres votations dans les communes et les cantons, où les citoyennes et citoyens s’expriment avec leurs intérêts et leurs avis politiques souvent très divers. Que les représentants du peuple au Parlement ne perçoivent pas toujours correctement les voix du peuple peut être observé dans les nombreuses votations mentionnées ci-dessus. Il s’est avéré que les solutions politiques adaptées à l’avenir résultent souvent d’une collaboration entre le Parlement et le peuple – et parfois plusieurs scrutins sont nécessaires. Il faut donc du temps, ce qui n’est pas nuisible à la qualité – tout au contraire.
Aujourd’hui, la critique est énoncée de toutes parts quant aux initiatives populaires au niveau fédéral. Elles iraient à l’encontre du droit international ou du principe de la séparation des pouvoirs. Parfois on exige que le nombre de signatures doivent être augmenté ou que le Parlement doive annuler plus d’initiatives populaires. Mais d’autres voix se font aussi entendre. Le spécialiste de droit public, Zaccaria Giacometti a, par exemple en 1954, dans l’un de ses célèbres discours en tant que recteur de l’Université de Zurich, rendu hommage au peuple comme le «gardien des Droits de l’homme» (cf. partie 3 de la série d’articles).
La critique actuelle empêche une vision globale et de prendre vraiment conscience de l’importance des droits populaires. Les nombreuses votations au niveau fédéral (plus de 600 depuis la fondation de l’Etat fédéral) et les nombreuses initiatives populaires déposées (plus de 300 depuis l’introduction de ce droit populaire en 1891) illustrent dans leur multitude et leur dynamique la vie et le développement social en Suisse. Ils sont une expression de la nature sociale innée à l’être humain et une expression de sa force créative – beaucoup plus forte et plus directe que la démocratie purement représentative dans laquelle les citoyens se font représenter et abandonnent la chose politique à autrui prétendant les représenter. Vraisemblablement, c’est là que réside la clé du secret du succès de la Suisse.    •
(Traduction Horizons et débats)

Alfred Kölz, Neuere schweizerische Verfassungs­geschichte (avec un recueil de sources), Berne 2004
100 Jahre Sozialdemokratische Partei. Zurich 1988
Häner Isabelle. Nachdenken über den demokra­tischen Staat und seine Geschichte. Beiträge für
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W. Linder, C. Bolliger, Y. Rielle. Handbuch der eidgenössischen Volksabstimmungen 1848–2007. 2010
Bruno Hofer. Volksinitiativen der Schweiz, 2012
Ernst Nobs, Die Glarner Alters- und Invaliden­versicherung, in Rote Revue (mensuel socialiste)
Vol. 6, 1926
Delegierter für Arbeitsbeschaffung:
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Vol. I und II, Zurich 1943
René Rhinow, Gerhard Schmid, Giovanni Biaggini, Felix Uhlmann, Öffentliches Wirtschaftsrecht,
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