Deux genres de politique

Deux genres de politique

par Karl Müller

Deux événements récents montrent que la politique n’est pas «sans alternatives», mais qu’au contraire, il est possible de trouver de bonnes et sérieuses alternatives.
L’un des genres de politique est illustré par la manière de laquelle les dits «Panama Papers» sont traités par la politique et les médias. En effet, il y a dans le monde quantité de personnes prêtes à parcourir des méandres pour priver les Etats de leurs ressources fiscales, blanchir de l’argent sale ou entreprendre toutes autres activités délictueuses. C’est pourquoi il est important, dans le cadre de notre Etat de droit, de pouvoir déceler les données concernant les sociétés boîte aux lettres.

Faire avancer la nouvelle guerre froide …

On est cependant frappé par la première présentation de cette affaire dans les journaux allemands. Sur la Une, puis sur deux pleines pages, on a insinué, à l’aide de photos et de gros titres, qu’au centre de ces agissements criminels se trouvait le président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine. Cela correspond également à la couverture du livre publié en même temps par les rédacteurs de journaux ayant travaillé sur cette affaire. Les quotidiens anglais ont également présenté à leurs lecteurs l’«actualité» de la même manière.
D’autres personnes, l’ont également réalisé, à l’instar de l’ancien ambassadeur anglais en Ouzbékistan et anticonformiste Craig Murray. Dans une prise de position publiée en traduction sur «Nachdenkenseiten» www.nachdenkseiten.de) il déclare:
«Malheureusement le lanceur d’alerte, à qui nous devons ces révélations, […] a commis la grave erreur de s’adresser aux médias occidentaux pour la diffusion de ces données. C’est pourquoi la première ‹grande révélation› parue aujourd’hui dans le ‹Guardian› à propos des ‹Panama Papers› a surtout mis l’accent sur Vladimir Poutine et un prétendu joueur de violoncelle corrompu». Craig Murray se demande pourquoi «on s’en prend pareillement à la Russie». «Les fortunes russes ne sont qu’une petite partie de l’argent caché grâce à Mossack Fonseca. Il semble bien que c’est ce type d’information sélective qui pue.»
Toutefois, Craig Murray n’est pas surpris par cette mise en accusation: «L’étude et la publication des données est entreprise par l’‹International Consortium for Investigative Journalism› (ICIJ) [Consortium international pour le journalisme d’investigation], un groupe au nom pompeux et ridicule. Le ICIJ émane et demeure financé par le ‹Center for Public Integrity› (CPI) [Centre pour l’intégrité publique] basé à Washington aux Etats-Unis. Parmi les soutiens et les financiers ont trouve, entre autres, la Ford Foundation, le Carnegie Endowment, le Rockefeller Familiy Fund, la W.K. Kellogg Foundation, l’Open Society Foundation (George Soros).
On ne peut donc guère compter sur une mise à jour impitoyable du capitalisme occidental. On continuera d’occulter les sales affaires des entreprises occidentales. Il faut plutôt s’attendre à des tirs nourris envers la Russie, l’Iran et la Syrie et quelques pétards mouillés envers certains petits pays occidentaux, telle l’Islande.»
Il est bien certain que de tels comportements n’aideront pas à améliorer les relations de l’Occident avec la Russie. Est-ce vraiment exagéré de prétendre que de telles manœuvres font partie d’une tentative de nouvelle guerre froide? Et qu’il ne s’agit donc ni de vérité ni de justice, mais de gagner une lutte pour le pouvoir?

… ou rechercher des opportunités pour coopérer?

Les populations du Proche-Orient savent de leur propre expérience comment une guerre froide peut aboutir rapidement en «guerre chaude». L’article de Seyed Hossein Mousavian est d’autant plus précieux car il montre qu’il existe aussi un autre genre de politique. Ce diplomate a été ambassadeur iranien à Bonn de 1990 à 1997, puis porte-parole de la délégation iranienne lors des négociations sur le nucléaire de 2003 à 2005. Depuis 2009, il est maître de conférences à l’Université de Princeton. Dans une tribune à la «Frankfurter Allgemeine Zeitung» du 4 avril 2016, il a présenté ses propositions pour la pacification du Proche-Orient et une concentration des forces pour combattre le terrorisme. Les trois phrases d’introduction sont déjà tout un programme: «Une idéologie de la terreur se répand au Proche- et au Moyen-Orient. La région risque un effondrement total. Seule la coopération peut les sauver.» Par la suite, cet ancien politicien iranien se penche sur un des problèmes fondamentaux de la région, «le conflit entre l’Arabie saoudite, puissance régionale sunnite, et l’Iran, puissance régionale chiite, liées dans un mélange de confessionnalisme et de guerre civile».
En tant que solution, il ne propose pas la lutte pour la victoire entre ces deux puissances, mais l’exigence de «créer un mécanisme de coopération régionale rétablissant la sécurité dans la région». Concrètement, il propose qu’«il faut créer dans la région du golfe Persique un système de sécurité régionale fondé sur les modèles de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et de l’intégration de l’Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.»

De bonnes relations de voisinage

Jusqu’en 2005, il existait un accord sécuritaire entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Voilà ce qu’il faudrait remettre en vigueur: «Cet accord a démontré qu’il était possible d’avoir de bonnes relations de voisinage entre l’Arabie saoudite et l’Iran.» Seyed Hossein Mousavian avait lui-même participé aux négociations pour un rapprochement entre Téhéran et Ryad, de même qu’à la mise en œuvre de l’accord sécuritaire et il décrit ses expériences d’alors: «En été 1996, le président d’Etat iranien d’alors, Hachemi Rafsandjani m’avait ordonné de mener des pourparlers avec le gouvernement saoudien. J’ai négocié avec le prince héritier de l’époque Abdallah à Casablanca et à Djida. Au cours d’une discussion ouverte, franche et sérieuse nous avons traité de tous les thèmes pouvant nous séparer. Personne de nous deux ne voulait se disputer, chacun souhaitait trouver des solutions. Nous nous sommes mis d’accord sur un certain nombre de points concernant la coopération dans les domaines de la politique, de la sécurité et de l’économie.»
Et voilà le résultat: «Le roi Fahd accepta cet accord et à Téhéran le chef de la révolution Ali Chamenei et le président Rafsandjani firent de même. L’accord sécuritaire fut signé par Hassan Rohani, alors secrétaire général du Conseil national de sécurité et par Nayef Bin Abdal-aziz Al Saud, ministre saoudien de l’Intérieur. On installa sans attendre un comité de sécurité commun pour la mise en vigueur de l’accord. Cela eut pour conséquence que l’Arabie saoudite et l’Iran développèrent d’excellentes relations de 1996 à 2005. Là, intervint l’élection de Mahmoud Ahmadinejad comme président, ce qui interrompit cette ère des bonnes relations bilatérales depuis la révolution iranienne de 1979. Elles étaient parfois même meilleures que du temps du schah.»
Cela suffit à Seyed Hossein Mousavian pour exiger que «plus d’une décennie plus tard, nous devrions remettre cette collaboration sur le métier. En Iran, les conditions sont avantageuses. Comme en 1996, Khamenei et Rohani, le président actuel, dirigent l’Iran. En Arabie saoudite, il faut revenir à une atmosphère semblable que du temps du prince héritier Abdallah. Il avait mené les négociations de façon souple, il suivait certains principes sans s’orienter sur des positions maximalistes.»
Seyed Hossein Mousavian termine sa contribution en affirmant que les deux pays, tant l’Iran que l’Arabie saoudite, tireraient avantage d’un tel accord, car les deux pays ont un intérêt particulier à stabiliser la région: «La stabilité et l’intégrité territoriale de l’Arabie saoudite et des autres pays arabes voisins de l’Iran sur le golfe Persique représentent une contribution indispensable pour la sécurité et la stabilité de l’Iran. C’est pourquoi l’Arabie saoudite devrait s’intéresser à une coopération avec l’Iran. Il est temps de mettre en route, entre Riad et Téhéran, une structure de sécurité régionale autour du golfe Persique. Puis, il faudra se concentrer sur les questions d’intérêts communs et sauver le Proche- et le Moyen-Orient de l’effondrement total. La voie future doit se fonder sur la coopération et non pas sur l’affrontement.»

L’Europe n’a aucun intérêt à lancer une nouvelle guerre froide

La situation en Europe est-elle si différente? Qui a un intérêt à une nouvelle guerre froide sur le continent eurasiatique – notamment si l’on réfléchit aux alternatives: des relations de bon voisinage entre tous les Etats d’Europe, y compris la Russie, une situation gagnant-gagnant pour tout le monde dans les relations commerciales, les immenses avantages créés par la réalisation du projet de la «nouvelle route de la soie». Et surtout: plus de risques de guerre – le cauchemar de millions de personnes en Occident comme en Europe orientale prendrait fin.
Le 6 avril, 62% des Néerlandais se sont opposés à l’Accord d’association de l’UE avec l’Ukraine. Les raisons de cette décision populaire sont multiples. L’une d’elles est le désir d’empêcher tout affrontement entre l’Est et l’Ouest. Tant que la politique de nos pays suit une autre voie, elle va à l’encontre de la volonté populaire mais aussi des intérêts de l’Europe. La contribution de l’Iran montre quelle est l’alternative. Cela correspondrait à la volonté des populations – partout dans le monde. La remarque du ministre des Affaires étrangères du Luxembourg Jean Asselborn cependant – émise lors de la récente votation aux Pays-Bas –, que les votations populaires ne sont «pas un instrument opportun dans une démocratie parlementaire, pour répondre à des questions complexes.» est suffisamment révélatrice sans commentaire. («Hannoversche Allgemeine Zeitung» du 9/4/16).    •

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