Un ensemble de citoyens souverains ne se laisse pas diviser

Un ensemble de citoyens souverains ne se laisse pas diviser

Allemagne

par Christian Fischer

Le nombre de partis ayant obtenu l’entrée au Bundestag suite aux élections fédérales est le plus élevé depuis les années 1950. D’autres pays nous envient pour ce résultat. Cependant, est-ce réellement une possibilité de répondre et de mettre en valeur les souhaits des citoyens? Ou est-ce qu’on présente des programmes similaires en mettant en avant quelques aspects différents selon la clientèle visée? Les alternatives des «bords» de gauche et de droite représentent-elles vraiment un avenir plus démocratique? Un coup d’œil rétrospectif sur les élections françaises clarifie la réorientation nécessaire de l’agenda politique également pour Allemagne. On peut en déduire des tâches essentielles pour une nouvelle réflexion démocratique.

En France, un mouvement politique, nouvellement créé, prônant l’européanisation néolibérale de la politique française, a obtenu la présidence et gagné les élections parlementaires. Le système des partis établis a implosé. Le nouveau mouvement n’a pas trouvé un large consentement mais néanmoins suffisant pour marginaliser les conservateurs et les socialistes. Le Front national a servi de bouc émissaire contre lequel la nouvelle star Macron a pu réussir. Son train pour Bruxelles n’aurait pas pu trouver de meilleur gare de départ que le parti Le Pen si facile à diffamer.

 La polarisation de la France

En France, c’est notamment le système électoral au scrutin majoritaire et les divisions entre les organisations politiques connues qui ont contribué à créer une telle polarisation. En Allemagne, le scrutin proportionnel ne permettra certainement pas une telle réorientation radicale du paysage politique. Cette réorientation sur la scène politique, est-elle réellement l’expression d’une nouvelle politique? Ou bien apercevons-nous que les nouveaux costumes taillés sur mesure pour une pièce répétée depuis longtemps?
Macron portait déjà des responsabilités en tant que ministre sous François Hollande. En tant que président, il n’a annoncé rien de neuf, en préconisant le prolongement conséquent du démantèlement social, d’une orientation stricte sur les directives de la Commission européenne et la dissolution de la souveraineté nationale. Sa majorité parlementaire est composée en grande partie de députés inexpérimentés qui durent promettre allégeance à ses décisions présidentielles sans connaître ses engagements programmatiques. Se soumettre «ses» députés au Parlement ainsi que les médias1 faisait partie de ses premières activités au début de son quinquennat; puis suivirent des annonces tonitruantes mais peu réalistes, par exemple, concernant la politique du climat.2 Ses autres simulacres de réformes néolibérales dont on a parlé dans les médias sont déjà bien connus également en Allemagne sous le terme d’«Agenda 2010». Le président Hollande avait déjà tenté de mettre en route des réformes semblables en France. On pourrait dire, faire du neuf avec du vieux, promu par une publicité criarde et accompagné d’un comportement dictatorial.

Macron veut «transformer l’Europe» – sans législatif et sans le peuple

En France, les partis ont été rangés dans la salle des preuves. Il y a longtemps qu’ils ne prenaient plus au sérieux leurs anciens objectifs, soient-ils socialistes ou conservateurs. En lieu et place, ils ont préparé et pratiqué ce que Macron veut réaliser de façon plus nette et conséquente: nous allons reconstruire l’Europe, nous sonnons la prochaine ronde pour le démontage des réglementations étatiques et des démocraties nationales et pour la reconstruction de l’administration européenne. Elle n’a besoin ni d’un véritable législatif ni d’un peuple souverain mais d’autant plus d’un puissant exécutif transfrontalier, doté de droits régaliens, d’un budget et d’une armée. Voilà l’annonce à peine voilée. La responsabilité sociale de cette politique des grandes banques et des multinationales méprisant les frontières n’apparaît plus que sous forme de la promesse apaisante affirmant qu’à la suite de la réalisation des «réformes» tout ira mieux.

Quel sort est réservé aux Allemands?

En Allemagne aussi, il y a longtemps que les partis ont fait leurs adieux à leurs anciens objectifs et valeurs. Le démantèlement social, ayant offert une hausse à quelques gros acteurs de l’économie allemande aux frais d’autres concernés au niveau national et international, a été imposé par un chancelier SPD. Les premières guerres menées à nouveau depuis le sol allemand, en violation du droit international, ont été dirigées au niveau de la propagande par le même chancelier et son ministre des Affaires étrangères écologiste. Petit à petit, on démonte, privatise et soumet à la «dérégulation» les dispositions de protections pour la vie civile et les fonctions étatiques régaliennes. On n’aperçoit plus guère de force politique positive promouvant les valeurs d’une citoyenneté libre, des traditions culturelles sérieuses et l’Etat de droit national.
Non, les conservateurs allemands ne se sont pas «socialement démocratisés» comme on le prétend souvent. Ils ont de plus en plus abandonné leurs principes quant à leurs valeurs anciennes. De temps en temps, lors des élections ou des négociations de coalition on fait du poker avec de vieux slogans mais dans la politique quotidienne ce sont d’autres priorités qui font la loi. Pourquoi donc ces partis aux couleurs noires, rouges, jaunes, vertes ou bleues sont-ils nécessaires? Principalement pour maintenir l’acceptation des citoyens pour cette pièce de théâtre appelée démocratie, car les citoyens espèrent toujours trouver dans ces couleurs les restes des anciennes différences entre les partis qu’il faut de plus en plus chercher à la loupe.
Il y a un quart de siècle déjà, les représentants du peuple allemand, issus de tous les partis, ont – avec deux tiers des voix – rayé du préambule de la Loi fondamentale la manifestation de la volonté de garder l’unité nationale et étatique. Avec un nouvel article 23, ils ont cimenté la suppression de la séparation des pouvoirs et de la souveraineté nationale.3 Dans notre système politique, il ne s’agit pas de faire du neuf avec du vieux: en Allemagne, les partis n’ont pas encore disparu, mais depuis un certain temps, on sert du neuf – comparé aux anciens idéaux des partis. On pourrait dire que les orientations politiques sont inchangées depuis longtemps; avec Macron, on est passé en France à la vitesse supérieure sans changer de direction; en Allemagne, on fera de même, peu importe le nom du vice-chancelier: Schulz ou Lindner.

Politique radicale du marché en France et en Allemagne

Les forces politiques allemandes et françaises ont en commun la politique radicale du marché orientée sur les intérêts de la grande industrie et de la haute finance. A leurs yeux la politique de responsabilité sociale, la démocratie fédérale et nationale, la promotion des PME/classes moyennes, l’éducation aux valeurs etc. sont des antiquités superflues. Ce qui change sont uniquement les costumes politiques. En France, un mouvement «moderne» a réussi face à un casse-tête nationaliste bien qu’il n’ait obtenu que le soutien de 20% des citoyens et continue de perdre en popularité. En Allemagne, on observe un paysage politique plus solide où les partis traditionnels sont très assidus à faire avaler à leur clientèle respective la même orientation commune afin d’assurer la stabilité politique.
Dans les deux pays, on peut observer le même fil rouge: ce qu’étaient anciennement la droite et la gauche, doit se réorienter et choisir entre l’UE (= sans alternative) ou la nation (= nationalisme = ringard). L’AfD [Alternative für Deutschland] est donc la bienvenue – construction sale à gifler et excellente pour cacher ses propres intentions. Du côté du «progrès», on promeut des modèles sociétaux libertaires poussés à l’extrême (p. ex. gendérisme) en vendant en même temps le modèle économique de marché radical avec sa soif de la quantification de tout et de tous – au nom de la liberté. Du côté de la «régression», on range tacitement tout ce qui est traditionnel, orienté sur les valeurs, les qualités non chiffrables, l’état de droit démocratique en les diffamant entre les lignes comme frères jumeaux du racisme nationaliste.

La gauche participe au bal masqué

La gauche participe également au bal masqué. La gauche n’a jamais beaucoup aimé la démocratie nationale – ni la démocratie tout court. Elle a toujours suivi un programme où les élites et experts prétentieux dirigent le peuple. Le fait que le train pour Bruxelles transporte en première classe le grand capital et la haute finance, abhorrant les nations et les frontières, ne préoccupe guère cette gauche. L’essentiel est qu’on ait un recoupement antinational commun. Le parti die Linke mêle sa voix sans problème au chant de l’hymne européenne – voir par exemple son ancien chef Gysi recevant la médaille «Wider den tierischen Ernst» à Aix-la-Chapelle en février 2017.4
Inversement, en France, Mme Le Pen, dont le corps électoral se compose principalement de personnes défavorisées qui – selon l’ancienne théorie devraient voter communiste – n’a pas de problème d’exiger la justice sociale et de rappeler un jour le slogan de Georg Büchner: «Paix aux chaumières, guerre aux châteaux!». Et si on la laissait faire, elle ferait peut-être davantage que Martin Schulz chez nous. En Allemagne aussi, il s’est développé un mouvement de droite nationale, au moment où on a dû constater qu’il n’y avait plus d’opposition bourgeoise contre l’avènement du marché radical en marche vers Bruxelles. Un mouvement mobilisant malheureusement également des émotions sournoises et antidémocratiques.

Les prétendus mouvements nationaux conviennent-ils à l’UE?

Les élections françaises ont démontré qu’il n’y a rien qui convient mieux à l’UE que de tels mouvements nationaux. Cependant, certains pouvoirs au sein de ces mouvements font tout leur possible pour polariser. Cela peut se défendre mais on risque en même temps de tomber dans un piège. Car, à cause des supporters mobilisés, on se soumet aux pressions d’idéologies inhumaines et de comportements indignes allant jusqu’au racisme. C’est rare d’entendre des distanciations de ces courants de la part de l’AfD, de Pegida ou des Identitaires. Cette polarisation laisse pour compte tous ceux qui, avec une vraie conscience démocratique, s’opposent à l’européanisation de l’Allemagne et se retrouvent, faute d’alternative, marginalisés à l’extrême droite de la société, comme par exemple l’écrivain politique Monika Maron5 dont les expériences remontent aux temps de l’ancienne RDA.

Où se trouve la force démocratique?

Où est la force démocratique ne se laissant pas éloigner ni vers le Léviathan ascendant de Bruxelles, ni vers le bourbier des conceptions inhumaines? Une force sachant que
–    la démocratie ne peut se construire que du «bas vers le haut» et qu’elle aura toujours des visages nationaux divergents,
–    la démocratie doit se construire de façon fédérale et décentralisée et doit donc être organisée au niveau national, si l’on veut qu’elle corresponde au citoyen et au peuple souverain, donc ni illimitée, ni soumise à un exécutif supranational,
–    tous les êtres humains, aussi d’autres nations, ont la même dignité, y compris les réfugiés, les migrants et même les délinquants,
–    une vie publique libre et organisée sous forme de coopérative constitue la meilleure base pour une vie matérielle assurée et la prospérité, pour l’économie, pour la santé publique et l’éducation, pour la paix entre les peuples,
–    l’Etat a le devoir de protéger ses citoyens en garantissant le fonctionnement des services publics et de la sécurité sans mettre en question la responsabilité individuelle des citoyens,
–    des intérêts opposés doivent être formulés et discutés de façon transparente, pas seulement par des représentants délégués des partis, détachés de la volonté des électeurs jusqu’aux prochaines élections, mais, le cas échéant, directement décidés par les citoyens lors d’un référendum,
–    le respect de la souveraineté nationale des Etats est nécessaire même quand ceux-ci ne sont pas démocratiques; car on a toujours la possibilité de limiter les rapports bilatéraux, notamment en limitant les ventes d’armes,
–    la paix représente le bien suprême pour la vie des hommes. Elle ne peut être remise en question uniquement en cas de légitime défense contre une agression directe, mais pas pour la réalisation d’objectifs politiques.

Devoirs d’un ensemble de citoyens souverains

Cette force, cette conscience grande et visible, existe-t-elle au sein de notre société? Oui et non. De nombreux citoyens seraient prêts de signer les points ci-dessus. Cependant, dans le monde politique, on entend avant tout des voix fortes et dominantes, s’exprimant de façon controversée et propagandiste sur divers sujets. Si cette conscience ne se trouvait pas seulement dans les têtes de nombreux citoyens individuels mais aussi des ensembles de citoyens conscients de leur force et capables d’agir, les partis politiques de diverses couleurs peuvent s’agiter tant qu’ils veulent – ils ne pourront pas malmener les ensembles de citoyens souverains.
Un éléphant se trouve dans la pièce. Il s’appelle UE et veut remplacer la souveraineté démocratique et la séparation des pouvoirs par un exécutif quasiment incontrôlable – mais nombreux sont ceux qui ne voient qu’un petit chat. Les citoyens devraient eux-mêmes être les éléphants, et voir dans les politiciens les petits chats. Il va de soi qu’il faut soutenir les personnalités politiques dont le coeur bat pour la bonne cause. Nous autres citoyens, nous devons avant tout nous rappeler des principes de la vie démocratiques présentés ci-dessus et retrouver le courage d’agir. Ensemble, nous devons trouver une voie pour les ériger tel un phare au centre de la vie politique de notre pays. C’est un projet de formation à long terme menant à la responsabilité citoyenne indépendamment des échéances des élections parlementaires.    •

1    Macrons Mühe mit den Medien. In: Neue Zürcher Zeitung (international). du 25/7/17, p. 32
2    Tzermias, Nikos. Frankreichs Energiewende – grosse Ziele und ungewisse Umsetzung. In: Neue Zürcher Zeitung (international) du 24/7/17, p. 5
3    Fischer, Christian. Demokratie braucht Nation. 24/9/17. <link https: zeitgeist-online.de external-link seite:>zeitgeist-online.de/exklusiv­online/nach­denkliches-und-schoengeistiges/1040-demokratie-braucht-nation.html 
4    <link https: www.youtube.com>www.youtube.com/watch  ou <link https: www.youtube.com>www.youtube.com/watch
5    Maron, Monika. Links bin ich schon lange nicht mehr. In: Neue Zürcher Zeitung (international) du 1/7/17, p. 21

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