3e initiative populaire sur l’alimentation – donnons-lui une chance!

3e initiative populaire sur l’alimentation – donnons-lui une chance!

Session d’hiver

«Pour la souveraineté alimentaire. L’agriculture nous concerne toutes et tous»

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

Après que l’initiative populaire de l’Union suisse des paysans «Pour la sécurité alimentaire» ait été retirée en faveur d’un contre-projet tout autrement orienté,1 l’initiative populaire du parti écologiste (16.073 «Pour des denrées alimentaires saines et produites dans des conditions équitables et écologiques») a été traitée par le Conseil national lors de la Session d’automne. Celui-ci l’a rejetée le 28 septembre par 125 voix contre 37 et 23 abstentions; le contre-projet élaboré par le gouvernement n’a pas non plus été accepté. La décision du Conseil des Etats est en attente.
Actuellement, la troisième initiative populaire concernant l’agriculture se trouve sur le programme de la session d’hiver du Conseil national, elle y sera traitée entre le 5 et 7 décembre.


Conseil national, le 7 décembre: Oui au contre-projet à l’initiative populaire «Pour la souveraineté alimentaire»

Justification: le contre-projet de la minorité de la commission correspond très bien avec l’évaluation critique du texte de l’initiative par la CER-N:

  • But de l’initiative: «Elle propose d’inscrire plusieurs mesures dans la Constitution afin que la politique agricole privilégie une agriculture axée sur la petite paysannerie et sur un approvisionnement à l’échelle régionale.»
  • Points positifs: «Plusieurs membres de la commission considèrent que certains points soulevés par l’initiative – p. ex. le renforcement de la production locale, la protection des terres cultivables et l’encouragement de l’agriculture sans OGM – sont importants.»
  • Trop large: «D’autres points – ainsi la gestion par l’Etat des prix et des quotas et la limitation des exportations – sont excessives.»
  • Appréciation du contre-projet: «Une proposition a été déposée, afin qu’un contre-projet direct soit opposé à l’initiative, lequel ne comporterait pas ces éléments très restrictifs mais mettrait l’accent sur les mesures visant à renforcer la production locale.» (Mise en évidence mw.)

(Extrait du communiqué de presse de la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national du 15 novembre 2017)
***
mw. Malgré cette qualification positive du contre-projet, la majorité de la Commission l’a malheureusement rejeté. C’est maintenant au Conseil national de corriger le tir.

Texte du contre-projet de la minorité de la Commission:
La Constitution est modifiée comme suit:
Art. 104, al. 3, let. g–k denrées
alimentaires
g.    Elle garantit aux paysans le droit à l’utilisation, à la multiplication, à l’échange et à la commercialisation de semences.
h.    Elle peut prendre des mesures visant à renforcer la position sur le marché des producteurs de matières premières agricoles par rapport à celle des acteurs en amont et en aval.
i.    Elle peut renforcer les échanges directs entre paysans et consommateurs ainsi que les structures locales de transformation, de stockage et de commercialisations régionales.
j.    Elle veille à ce que les salariés agricoles bénéficient de conditions de travail qui soient conformes à celles pratiquées dans la région et dans le secteur en question.
k.    Elle proscrit le commerce et l’emploi à des fins commerciales des plantes et des animaux génétiquement modifiés, dans l’agriculture suisse.

L’initiative «Pour la souveraineté alimentaire. L’agriculture nous concerne toutes et tous» (17.023) contient des objectifs similaires à ceux de l’initiative «Pour des aliments équitables».2 Ces deux propositions sont formulées de façon beaucoup plus détaillée et incisive que l’initiative retirée de l’Union suisse des paysans, mais sont néanmoins combattues en partie avec les mêmes arguments. Dans son communiqué de presse du 15 novembre 2017, la Commission de l’économie et des redevances (CER-N) fait preuve d’une grande compréhension pour les buts des auteurs du projet. Il n’est pas acceptable de compromettre l’existence de notre agriculture en favorisant par des accords agricoles internationaux l’importation de denrées alimentaires bon marché – notamment quand elles ne satisfont pas les normes juridiques concernant la santé, la protection des animaux et de l’environnement et que leur production ne remplit pas même le minimum des conditions humaines de travail.
Il faut réviser le but de la CER-E
voulant faire échouer les trois initiatives
Regardons en arrière: il y a un an, la Commission de l’économie et des redevances du Conseil des Etats (CER-E) a rédigé un contre-projet à la première Initiative alimentaire «Pour la sécurité alimentaire». Son but déclaré était de parvenir au retrait de l’initiative populaire par ses auteurs – ce qui a réussi. La CER-E avait encore autre chose en tête: «En outre, le contre-projet […] devrait, si possible, également reprendre des contenus majoritaires des initiatives ‹Pour des aliments équitables› et ‹Pour la souveraineté alimentaire›, afin de se procurer ainsi une meilleure position de départ pour combattre ces deux initiatives.»3 (mise en évidence mw.)
Dans la CER-N et dans l’assemblée plénière du Conseil national, on a également reconnu d’importants arguments positifs pour les deux initiatives. Les membres de la Commission du Conseil des Etats et du Conseil des Etats sont invités, d’intégrer ceux-ci dans leurs futurs débats.
Evolution du travail parlementaire jusqu’à fin octobre 2017
–    17 mai 2017: La CER-N recommande majoritairement le refus de l’initiative «Pour des aliments équitables» (comme au paravent le Conseil fédéral en date du 23 octobre 2016). L’initiative n’est pas traitée dans le Conseil comme d’habitude lors de la prochaine session – donc la session d’été –, mais seulement après la votation populaire sur la sécurité alimentaire du 24 septembre.
–    17 mai 2017: La CER-N traite lors de la même séance également la troisième initiative: «Pour la souveraineté alimentaire. L’agriculture nous concerne toutes et tous». Ella a déjà effectué une première consultation avec divers groupes d’intérêts, mais la décision finale a été reportée après la votation du 24 septembre.
–    Votation populaire le 24 septembre 2017: le contre-projet à l’initiative «Pour la sécurité alimentaire» est clairement adopté par le peuple souverain suite à une massive campagne trompeuse («pour la production locale» …) en minimisant en même temps l’ouverture prévue par le gouvernement du marché libre pour les produits agricoles.
–    26/27 septembre 2017: Deux jours plus tard, l’initiative «Pour des aliments équitables» du parti écologique se retrouve sur les tables de conseillers nationaux mais est refusée le surlendemain – entre autres avec la «justification» spontanée qu’après l’acceptation par le peuple du contre-projet «Pour la sécurité alimentaire», il n’est plus nécessaire de soutenir un nouvel article constitutionnel …
–    18 octobre 2017: Publication d’un communiqué de presse de la CER-E concernant l’initiative «Pour des aliments équitables»: Elle désire organiser diverses consultations et préfère ajourner le débat jusqu’au premier trimestre 2018. Donc, la Commission préfère attendre la décision du Conseil national sur la troisième initiative «Pour la souveraineté alimentaire. L’agriculture nous concerne toutes et tous», prévue pour le 7 décembre 2017.
Prenons un temps de réflexion:
quelle agriculture faut-il
pour les espaces restreints de la Suisse?
Le 1er novembre 2017, le Conseil fédéral intervient avec une «Vue d’ensemble du développement de la politique agricole». Avec la PA22+ l’on veut, entre autres «améliorer les liens entre les marchés agricoles nationaux et internationaux à l’aide d’accords de libre-échange». Dans une «note de discussion», le DEFR [Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche] présentera «les effets d’allégement des coûts en cas d’ouverture des marchés dans le cadre d’accords de libre-échange bilatéraux»; en automne 2018, le Conseil fédéral prévoit d’effectuer une procédure de consultation concernant la PA22+.
Le conseiller fédéral Schneider-Ammann avait déjà déclaré publiquement, avant la votation du 24 septembre, les mêmes intentions: accords agricoles avec d’autres Etats, notamment avec l’UE, et réduction des paiements directs aux exploitations paysannes suisses.4 Cependant, la confirmation de ces intentions en plein dans les consultations parlementaires des deux autres initiatives alimentaires a heureusement conduit à un temps de réflexion chez de nombreux parlementaires, pour savoir quelle politique agricole est raisonnable et nécessaire pour les petits espaces de la Suisse ainsi que ses produits agricoles durables et de haute qualité.
Deux semaines plus tard, le 15 novembre, la CER-N s’est, comme prévu, opposée à la troisième initiative «Pour la souveraineté alimentaire. L’agriculture nous concerne toutes et tous», à nouveau avec la «justification», comme quoi après l’acceptation par le peuple du contre-projet «Pour la sécurité alimentaire», il n’est plus nécessaire de soutenir un nouvel article constitutionnel … Mais cette fois, c’était un Non très inhabituel, avec seulement 7 voix contre 0 voix pour et 12 abstentions! «12 membres de la commission se sont délibérément abstenus afin d’exprimer leur déception au sujet de la ‹Vue d’ensemble de la politique agricole›, présentée par le Conseil fédéral le 1er novembre.» Dixit la Commission dans son communiqué de presse du 15/11/17.    •

1    Le contre-projet a été accepté par le peuple lors de la votation populaire du 24 septembre 2017;
cf. «La sécurité alimentaire doit être garantie!
Non au contre-projet ‹Pour la sécurité alimentaire›. Horizons et débats no 19 du 7/8/17
2    Vous trouvez le texte de l’initiative (et celui de
l’initiative ‹Pour des aliments équitables›) dans Horizons et débats no 14 du 27/6/16
3    Rapport de la CER-E du 3/11/16, p. 8/9; cf. «Initiative populaire ‹Pour la sécurité alimentaire›.
Pas d’‹isolationnisme›, mais une nécessité pour
tous les peuples, pas seulement pour la Suisse». Horizons et débats no 28 du 12/12/16
4    cf. Horizons et débats no 19 du 7/8/17

Recommandations au Conseil des Etats pour 2018: le contre-projet, une passerelle vers l’initiative «Pour des aliments équitables»

Le 26 et 28 septembre, la plupart des intervenants au Conseil national ont salué positivement les préoccupations des auteurs, mais beaucoup ont trouvé que les contrôles prévus dans le texte de l’initiative demandent un trop gros investissement. «L’initiative ‹Pour des denrées alimentaires saines et produites dans des conditions équitables et écologiques› veut protéger le niveau élevé des denrées alimentaires suisses et exige des normes écologiques et sociales pour les produits importés. Les initiateurs veulent empêcher que des produits issus de la production industrielle de masse entre sur le marché suisse.» (Communiqué ats du 26/9/17)
Comme argument principal contre l’initiative, on a avancé une fois de plus, l’empêchement d’accords commerciaux impliquant le commerce agricole. En réalité, il est tout à fait possible – et dans l’intérêt d’une autosuffisance aussi large que possible, absolument nécessaire – de conclure également à l’avenir des accords excluant les produits agricoles.
Une minorité de la commission autour de Beat Jans (PS Bâle-Ville) a tenté de jeter une passerelle, satisfaisant également Les Verts, en proposant un contre-projet, récompensant l’importation de denrées alimentaires produites de façon durable par des taxes douanières réduites, au lieu de les punir par des interdictions d’importation. Malheureusement, le Conseil national a également rejeté ce contre-projet.

Texte du contre-projet de la minorité de la commission:
La Constitution est modifiée comme suit:
Art. 104a Denrées alimentaires
1    La Confédération renforce l’offre de denrées alimentaires sûres, de bonne qualité et produites dans le respect de l’environnement, des ressources et des animaux, ainsi que dans des conditions de travail équitables.
2    Elle privilégie les produits importés, qui satisfont aux exigences du paragraphe 1, issus du commerce équitable et d’exploitations paysannes cultivant le sol.
3    Elle veille à la réduction des incidences négatives du transport et de l’entreposage des denrées alimentaires et des aliments pour animaux sur l’environnement et le climat.
***
Le Conseil des Etats et sa Commission ont la liberté d’inclure cette proposition dans leurs délibérations et décisions sur l’initiative «Pour des aliments équitables».

«Uniterre» et «Alliance pour la souveraineté alimentaire» s’expriment sur la politique agricole

«La vue générale sur l’agriculture présentée par le Conseil fédéral a montré le fossé profond qui existe entre les promesses et les actes concernant la politique agricole. Cette vue générale a fortement influencé les débats de la CER-N puisque 15 parlementaires (une majorité) ont décidé de s’abstenir sur le rejet de l’initiative souveraineté alimentaire en raison des récentes propositions de Johann Schneider Ammann. […]
Une ouverture forcée des frontières et des traités de libre-échange s’opposent à l’agriculture indigène, durable et diversifiée que nous défendons fermement. En tant que champion mondial des importations nettes d’aliments, il est indispensable de maintenir une régulation douanière flexible. C’est un aspect qui doit également se retrouver dans la future politique agricole 22+.»

Communiqué de presse d’«Uniterre» et de l’«Alliance pour la souveraineté alimentaire» du 16/11/17

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