L’Allemagne en automne … 2017

L’Allemagne en automne … 2017

par Karl Müller

Que peut-on dire de l’Allemagne à la fin de l’automne 2017?

«Quand on est arrivé à un certain point de cruauté, il n’importe plus de savoir qui est le coupable. Il faut juste qu’elle cesse.»
Rainer Werner Fassbinder, Volker Schlöndorff, Alexander Kluge et huit autres metteurs en scène du dit «Nouveau film allemand» produisirent, au printemps 1978, un collage consacré au thème «Fraction armée rouge (RAF)» et l’Allemagne en automne 1977. Ils intitulèrent leur film «Allemagne en automne», et placèrent la phrase ci-dessus au début et à la fin de leur œuvre.
Au milieu des années soixante, on fut confronté à de vives manifestations contre l’Etat allemand, contre l’économie, la société et la politique. La «Fraction armée rouge» (RAF) se développa à partir de ces protestations. En 1977 et au cours des années précédentes, la RAF kidnappa ou assassina d’importantes personnalités de la vie publique allemande. Le président de l’Union patronale de l’époque fut pris en otage en septembre 1977, afin d’obtenir la libération des dirigeants de la RAF alors en prison. On réussit même à détourner un avion civil de la compagnie Lufthansa. Mais ces tentatives de chantage échouèrent. Certains détenus de la RAF décédèrent et le président de l’Union patronale kidnappé fut assassiné.
Le film déclencha de fortes controverses. Et la remarque de Volker Schlöndorff le fit davantage encore: «Après tout le travail accompli pour ce film, après toutes les expériences faites ces derniers temps, on ne se demande plus pourquoi il y a des soi-disant terroristes, mais pourquoi il y en a pas beaucoup plus. Comment s’expliquer que ce n’est pas tout le monde qui se déchaine ainsi?»

Que signifie «opposition»?

Depuis, 40 années se sont écoulées. Il y eut beaucoup de changements. Toutefois … plusieurs centaines de personnes, venues de toute l’Allemagne, se sont retrouvées le 24 novembre 2017 à Leipzig pour participer à une «conférence». Le thème était «Opposition signifie résistance». «Tous les Allemands ont le droit de résister à quiconque entreprendrait de renverser cet ordre [principes de la démocratie, de l’Etat de droit, de l’Etat social, de l’Etat fédéral et de la séparation des pouvoirs] s’il n’y a pas d’autres remèdes possibles.» (art. 20 al. 4 de la Loi fondamentale)
A Leipzig, aucun appel à la violence ne se fit entendre. Il n’y a guère de ressemblances avec les manifestants et les terroristes des années soixante et septante. On obtient cependant un aperçu de l’état d’esprit de nombreux Allemands. Aux élections du 24 septembre, environ 5 millions d’Allemands ont voté pour l’AfD (Alternative für Deutschland). Les politiciens de l’AfD et de son entourage, ayant pris la parole ce samedi à Leipzig, furent fortement acclamés. Ces applaudissements s’adressaient à une politique et à des politiciens, qui refusent, parfois radicalement, de suivre le «mainstream»: contre le «courant normal» en politique (le «cartel des anciens partis»), dans les médias (la «presse à lacunes»), etc. Les hôtes de Leipzig ne sont pas des «rebelles» classiques. Un participant à la «conférence» est accompagnateur dans le domaine professionnel en Bavière. Il a eu son lot d’expériences avec les jeunes immigrés. De très mauvaises expériences. Il présente les faits vécus de manière factuelle, différenciée et précise. Lors des applaudissements, il applaudit aussi.

Que se passe-t-il sur les marchés financiers?

Le 27 novembre 2017, on a pu lire dans la rubrique économique de la «Neue Zürcher Zeitung»: «On assiste à un calme trompeur. De nombreuses lumières rouges d’alerte annoncent l’approche d’une tempête.» L’article fait état de différentes prises de position sérieuses quant à la situation régnant dans les «marchés financiers internationaux». La Banque centrale européenne a réussi «à calmer les marchés et à tranquilliser les investisseurs grâce à sa politique monétaire excessive». Toutefois, les «signes d’un développement dangereux des marchés» sont évidents. Il y a beaucoup d’«absurdités» sur les marchés financiers. Puis, on lit: «Il est certain que dans un avenir plus ou moins lointain, on se demandera ‹mais de quoi rêvait-on jadis?›». Ensuite: il y a un grand nombre de «mauvais investissements» dont on ne peut actuellement déceler l’ampleur. «Contrairement aux révolutions techniques précédentes, la révolution numérique n’a pas mené à une augmentation de la prospérité. Les niveaux de vie stagnent ou diminuent – sauf dans la couche de la population à revenu très élevé.
Il est très probable que la plupart des participants à la conférence de Leipzig ne lisent pas la rubrique économique de la «Neue Zürcher Zeitung». Mais ils prennent conscience de ce qu’on aperçoit dans cet extrait: l’orientation fondamentale est erronée. Notre monde se trouve sur un volcan et le nombre des victimes est déjà élevé.

Perte du sens de la réalité en politique et dans le monde de la finance

La perte de la réalité en politique, dans le monde de la finance et dans les médias est grande. On le réalise en discutant avec un journaliste mainstream chevronné. Dixit: on se contente d’écrire ce que la majorité des gens veulent lire. En fait, tout est pour le mieux. On tient les rênes bien en mains.
A la suite des élections, Madame Merkel ne voit aucune raison de remettre en question la politique qu’elle a menée jusqu’à présent.
Les participants à la conférence de Leipzig joindraient leurs voix à l’appel: «Nous sommes le peuple». Il n’en reste pas moins que c’est faux, car ils ne représentent qu’une minorité. La majorité de la population s’en détourne. On a le droit de dénigrer AfD et son entourage. Ainsi on s’illustre en «meilleur» Allemand. Et il se peut que les «critiques» ne soient pas toujours fausses.
Mais quel sera le résultat, si nous continuons à faire la même chose que lors des dernières décennies?
A Berlin, on continue les «négociations» en vue d’un nouveau gouvernement. Les Allemands sont invités à attendre des résultats dans l’angoisse comme le lapin devant le boa. Dès tôt le matin, on nous balance les nouvelles, comme s’il s’agissait d’élire un nouveau prince. Il va de soi que les Allemands souhaitent être gouvernés – dit-on. Le tout est de savoir par qui. Il n’est, toutefois, pas question de s’en référer à la conception d’un «gouvernement» au service du peuple, des citoyens. On n’imagine surtout pas une démocratie directe. Dans les tourmentes du monde actuel, le pays a besoin d’un gouvernement «fort», pouvant se fier à une majorité solide au Parlement, etc. etc.

De combien de terres l’être humain a-t-il besoin?

Il y a 40 ans, la grande majorité du peuple allemand était clairement opposée à la poignée de «terroristes». A juste titre! Ces personnes s’étaient fourvoyées dans une voie sans issue. Certes, quelques-uns d’entre eux étaient portés par un idéalisme puis se sont radicalisés et sont devenus criminels, violents et assassins. A la fin, il y eut la mort, de longues années d’emprisonnement et une société allemande en ébullition.
Fallait-il en venir à ce stade? Pourrait-on répéter aujourd’hui ce que Volker Schlöndorff avait exprimé en 1977? Pourquoi se heurte-t-on à tant de difficultés pour trouver un équilibre dans les relations humaines permettant à tout un chacun de ressentir la justice et l’égalité et la volonté de vivre ensemble en paix? Personne de sensé ne devrait se retrouver à «guerroyer» la société. Où en sommes-nous, après 40 ans? Cet automne 2017, lorsqu’on observe l’Allemagne, on a l’impression que deux monstres sont lâchés pour se percuter. Et cela va de plus en plus vite et les conséquences pourraient être pires qu’en 1977. On parle beaucoup de «polarisation». Il y a quelques années, un livre portait le titre: «Gare à la guerre civile! Ce qu’on laisse pourrir se transforme finalement en colère.»
Où sont les voix de l’humanité? On les retrouve dans la vie quotidienne en grand nombre. Il s’agit moins de voix, se sont avant tout des actes humains. Mais qu’en est-il dans la vie politique pratique, dans les débats publics? Qu’en est-il de notre «mainstream»? Faut-il vraiment laisser la place aux phrases vides et aux grossièretés?
Pourquoi est-ce-si difficile de faire comprendre qu’on ne peut continuer ainsi, que la recherche du pouvoir et l’avidité se détruisent finalement elles-mêmes. Pourquoi ne pas prendre exemple en Allemagne sur le grand écrivain russe Léon Tolstoï qui écrivit il y a 130 ans «De combien de terres l’être humain a-t-il besoin?» Le paysan Pachom fut pris d’une avidité démesurée. Elle causa sa perte.
L’Allemagne aurait encore autre chose à offrir …    •

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