Internet et Big data modifient radicalement l’apprentissage. L’avenir appartient-il donc à l’étudiant numérique?, s’est demandée récemment la «Frankfurter Allgemeine Zeitung» avant d’ajouter: ce serait inquiétant. Voici une tentative d’explication. Depuis longtemps, les techniques numériques occupent notre vie. On ne peut plus se passer de l’ordinateur, d’Internet, des médias sociaux. Les techniques numériques ont pénétré dans presque tous les domaines de la vie; elles déterminent notre quotidien. Sans faute. Nous tous les utilisons. Il n’est pas possible de revenir en arrière.
La panoplie allant d’Internet à Google glass en passant par le Smartphone détermine également la vie des adolescents – et transforme l’enseignement. Le quotidien scolaire et l’apprentissage se numérisent. Cela a des conséquences.
Il ne faut pas rester aveugle, enivré, hébété face à ces conséquences. Il faut les juger et y réfléchir. Cependant, «penser jusqu’au bout est un dur labeur», a écrit Robert Holzach,1 ancien président du Conseil d’administration de la Société de Banque suisse SBS. Lors d’un changement de paradigme radical, telle la révolution numérique de l’éducation, il est indispensable de continuer à réfléchir et à sonder la loi des effets secondaires involontaires.2
L’étudiant autodéterminé apprend en ligne et débat sur les forums électroniques! Le cri de guerre saisit presque tout. En 2012, les Massive Open Online Courses (MOOCs) [Cours en ligne ouvert et massif] ont été le succès de la saison et on les a fêtés comme la plus grande révolution depuis l’invention de l’imprimerie et de l’école obligatoire. Le «New York Times» déclara 2012 «année du MOOC».
Nombreux sont ceux pensant que les techniques digitales le rend possible: formation pour tous à l’aide des MOOCs, un apprentissage personnifié, Big data pour l’orientation professionnelle et des jeux informatiques au lieu de bulletins lors de la candidature pour un emploi – un petit extrait de ce qui révolutionne actuellement notre monde. Voilà l’avenir de l’apprentissage. Et cet avenir arrive sur nous tel un tsunami. Orwell réalise ce dont Humboldt rêvait: il démocratisa la formation et la rend accessible à tous. Elle existe maintenant comme des costumes en prêt-à-porter: sous forme de marchandise de masse. Les spécialistes de la formation Jörg Dräger et Ralph Müller-Eiselt de la Fondation allemande Bertelsmann, en sont convaincus.3
Ces deux protagonistes vont encore plus loin: la dernière innovation de la formation numérique n’est plus le MOOC collectif mais le tuteur virtuel. Il enseigne les élèves et les étudiants ainsi que d’autres apprenants désirant suivre des cours de formation continue de manière personnalisée – et ceci tout au long de leur vie éducative. Pour cela, il faut uniquement du courant, un WLAN et une tablette.
Cela fonctionne de la manière suivante: un élève reçoit chaque jour son plan d’étude personnalisé; un centre de calcul l’établit durant la nuit. Le logiciel d’apprentissage établit pour chaque étudiant les matières optimales et surveille ses étapes de travail. Des algorithmes analysent ses progrès et lui transmettent des feedbacks, reconnaissent ses erreurs et lui montrent les voies pour trouver les solutions. Ils informent l’apprenant sur les notes finales escomptées. Un groupe international laisse travailler le même étudiant comme serveur dans un restaurant à Sushi virtuel. Ce jeu informatique prédit le succès professionnel.
Ainsi se déroule l’avenir numérique de l’apprentissage, guidé par des machines et individualisé, selon les pronostics de la publication de Jörg Dräger et Ralph Müller-Eiselt.
C’est pourquoi, l’esprit du temps parle d’éducation 4.0: l’apprentissage et la formation sont entièrement liés aux médias et à la technique – et donc aux fabriques d’apprentissage numériques, dans lesquelles règne un algorithme incorruptible en tant que pédagogue. Le numérique au lieu de l’analogue, la haute technologie fiable au lieu de l’être humain faillible. C’est l’une des positions face au numérique – et c’est l’avenir, si l’on en croit les spécialistes de la digitalisation de la Silicon Valley et les deux experts de Bertelsmann.
La seconde position est diamétralement opposée, basée sur le dialogue: «Je m’oppose vivement à l’idée que l’on ait besoin d’accessoires technologiques pour enseigner la grammaire aux enfants», déclare Alan Eagle, collaborateur chez Google dans la Silicon Valley californienne et père de deux enfants. Lui-même a constamment à faire avec de nouvelles technologies; ses enfants de 11 et 13 ans ne savent cependant guère se servir de Google. «L’idée qu’une application d’iPad sache mieux enseigner la lecture et l’arithmétique à mes enfants est ridicule», déclare Eagle.4
Digital ou dialogique? Dans l’enseignement, il n’y a pas l’un ou l’autre. On peut certes distinguer le laboratoire scolaire high-tech et l’école en forêt exempte de technique. Pourtant ces deux pensées opposées méconnaissent le fait que l’apprentissage et l’enseignement sont des activités demandant toujours diverses approches.
Il est d’autant plus fâcheux que les industries et les multinationales d’Internet, soutenus par les responsables cantonaux de l’instruction publique, font avancer à toute force la numérisation des écoles et la transformation unilatérale de l’enseignement axé sur des manuels et des méthodes numérisées. Tout cela est accompagné par les médias et l’opinion publique majoritairement sans aucune réflexion critique. Qui ose s’exprimer avec scepticisme sur le meilleur des mondes 4.0? Il serait qualifié de plouc désespérément ringard.
Toutefois, l’établissement forcé de structures d’apprentissage et d’enseignement technologiques méconnait, voire ignore, les dimensions humaines et sociales de l’apprentissage et de l’enseignement. On néglige la personnalité et le dialogue. Et on sous-estime le fait que les êtres humains s’habituent à faire ce que les appareils de technique numérique leur demandent. S’y ajoute le contrôle via le réseau et l’exploitation des immenses masses de données («Big data mining»). L’enseignement numérique rend l’apprenant transparent; dans le réseau, il laisse des traces indélébiles.
L’enseignement actuel ne peut plus se passer de médias modernes – c’est indiscutable. Cependant, l’apprentissage ne doit pas être déterminé que par la technique numérique. Chaque opinion pertinente doit être élaborée par la pensée. Aucune machine ne peut remplacer cela. L’enseignante présente en chair et en os, le professeur convaincu de sa matière conservent donc leur place dans la salle de classe. Les valeurs de l’efficacité sont le fruit de leur enseignement et du contact personnel. Tout dépend d’eux et de leurs activités. Tous les résultats de la vaste étude de John Hattie le prouvent ainsi que les résultats des recherches des neurobiologistes Gerhard Roth et Joachim Bauer. Et nous tous le savons aussi grâce à notre propre scolarité.
L’information ressemblant à une pluie de confettis et les nombreux stocks de données ne favorisent pas forcément la compréhension et les connaissances; cela fait partie des curiosités des médias modernes. Pas une étude empirique n’est capable de prouver que l’utilisation précoce des médias électroniques peut provoquer cela et a des effets positifs. Tout au contraire: ce sont des personnes qui nous font comprendre les choses.5 Au moyen du dialogue analogue et du discours socratique. La formation est toujours et nécessairement liée à des individus.6
«L’idée que l’enseignement pourrait être remplacé par un programme informatique est un mythe. Le contact et l’accompagnement humain font la différence décisive dans les résultats d’apprentissage»,7 déclare Sebastian Thrun, chercheur allemand en technologie informatique. Il sait de quoi il parle; il enseigne en tant que professeur l’intelligence artificielle à l’Université de Stanford.
Les propos de Thrun se basent sur des connaissances pédagogiques, qui considèrent que la confiance et la relation humaine sont la base de tout apprentissage. Cette position est fondée sur les résultats de la recherche empirique sur l’apprentissage. Ils postulent également pour la technique numérique et les nouveaux médias le principe didactique: l’enseignement est un travail de relation et donc une activité intersubjective entre l’enseignant et l’apprenant. Les tablettes et les smartphones restent alors des outils d’aide à l’apprentissage normaux comme le crayon gris et la gomme.8 Ce sont des moyens, mais certainement pas le but. •
Source: www.journal 21.ch du 19/3/17
(Traduction Horizons et débats)
1 Holzach, Robert. Gedachtes und Nach-Gedachtes. Anmerkungen für die Freunde. Weinfelden 1987, p. 22.
2 Spranger, Eduard. Das Gesetz der ungewollten Nebenwirkungen in der Erziehung. Heidelberg 1962.
3 Dräger, Jörg / Müller-Eiselt, Ralph. Die digitale Bildungsrevolution. Der radikale Wandel des Lernens und wie wir ihn gestalten können.
Munich 2015.
L’un est administrateur et l’autre est spécialiste de l’enseignement de la fondation «Bertelsmann-Stiftung».
4 <link http: www.pressetext.com news>www.pressetext.com/news/20111024003. L’article entier: <link http: futur-iii.de mit-smartphone-und-wlan-lernt-man-besser-ihre-telekom external-link seite:>futur-iii.de/2015/11/24/mit-smartphone-und-wlan-lernt-man-besser-ihre-telekom/
5 Cf. Roth, Gerhard. Bildung braucht Persönlichkeit. Wie Lernen gelingt. Stuttgart 2011. p. 287 sq.
6 Bieri, Peter. Wie wäre es, gebildet zu sein? In: Lessing, Hans-Ulrich/Steenblock, Volker (éd.). «Was den Menschen eigentlich zum Menschen macht …». Klassische Texte einer Philosophie der Bildung. Freiburg im Breisgau 2010. p. 205 sq.
7 Lankau, Ralf. Ohne Dozenten geht es nicht. In: Die Zeit du 9/1/14, p. 61.
8 Vgl. Burri, Anja. Die perfekte Lehrerin. In: NZZ am Sonntag du 12/3/17, p. 23.
Appel
<link http: www.waldorfkindergarten.de>www.waldorfkindergarten.de
Les signataires de cet appel se font de grands soucis pour le développement sain des générations futures. Ils s’engagent pour des investissements constructifs pour l’éducation et la mise en place d’un réseau contre la numérisation dans les crèches, les jardins d’enfants, les garderies et le secteur préscolaire. Il n’y a aucune hostilité envers les nouvelles technologies – il en va uniquement de la protection de l’enfance, de son espace de développement, du bien-être de l’enfant, du droit humain à l’enfance, afin que les adolescents et les adultes puissent devenir des utilisateurs compétents de ces technologies.
Motif: aux Etats-Unis, un tiers des enfants âgés d’un an utilisent un ordinateur avant de pouvoir marcher ou de parler. En Allemagne, 70% des 2 à 5 ans passent déjà une demi-heure par jour devant un smartphone. L’application la plus utilisée des enfants de 6 ans en Allemagne est Facebook. Tous les enfants d’âge préscolaire regardent la télévision, souvent bien plus d’une heure par jour. L’un des principaux résultats des recherches sur le cerveau faites au cours des dernières décennies démontre que les enfants apprennent le mieux à être habile, à marcher, à parler et à penser par une activité autonome, par les essais et les erreurs, par le jeu libre et par imitation en contact direct avec autrui. Les cerveaux ne font pas de téléchargements. Ils se transforment suite à des stimulations en observant, en découvrant, en étudiant, par l’ouïe, le toucher, l’odorat, le goût, en compatissant et en se mettant à la place de l’autre, par la pensée, la parole et l’action: tout ce que l’être humain fait, et surtout ce qu’il fait de façon autonome, active le cerveau et le développe quotidiennement davantage. Les conséquences négatives de la familiarisation précoce avec les médias numériques sont scientifiquement prouvées et documentées. Ce sont des troubles de la parole, des troubles de l’attention, de moins bonnes notes en lecture et en écriture, la perte d’empathie, des problèmes d’adaptation sociale et une tendance à un comportement criminel, la peur de manquer de quelque chose, un comportement addictif et l’obésité. En revanche, il n’y a pas de connaissances scientifiquement fiables prouvant d’éventuels avantages de la consommation précoce des médias. Dans ce domaine, on rencontre plutôt des affirmations et des désirs de la part de l’industrie et de politiciens à son service. Nous vous invitons chaleureusement à lire les études que vous trouverez dans la version intégrale de cet appel sur notre site
www.waldorfkindergarten.de – ou bien directement sur <link http: www.waldorfkindergarten.de aktuelles aufruf-digital-kita.html>www.waldorfkindergarten.de/aktuelles/aufruf-digital-kita.html.
Nous tenons à remercier tous les membres dévoués de la société civile, tous les spécialistes, toutes les organisations soutenant cet appel. Plus nous sommes nombreux, plus nous pouvons adresser avec insistance notre prise de position aux responsables politiques de l’enseignement.
Premiers signataires: Pr Dr méd. Manfred Spitzer, Michaela Glöckler, Silke Schwarz, Elisabeth von Kügelgen, Oliver Langscheid, Michael Wetenkamp, Frank Linde, Mathias Maurer et les 600 participants au colloque «Droit à l’enfance» de l’association des jardins d’enfants Waldorf du 19 novembre 2016 à Hanovre. Au nom de tous les signataires.
(actif jusqu’au 21/5/17)
(Traduction Horizons et débats)
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