A l’occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse, Alfred de Zayas, expert indépendant des Nations Unies pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, a rappelé aux médias privés et publics qu’ils profitent d’une position de confiance au sein de la population. Selon l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ils sont tenus de garantir une couverture médiatique objective et la publication de points de vue diversifiés, afin que la société civile puisse se former sa propre opinion et qu’ainsi son droit à la participation publique puisse être respecté – tel que prévu dans l’article 25 du PIDCP.
George Orwell déjà a mis en garde contre la «novlangue» et la tendance du secteur public et privé à manipuler des termes et diffuser des informations fausses ou incomplètes – ce qu’on appelle aujourd’hui «fausses nouvelles» ou «désinformation». En réalité, ce ne sont pas que les gouvernements, qui manipulent l’opinion publique, mais aussi des groupes d’intérêts privés tentant de l’influencer. Si les articles 19 et 25 du PIDCP doivent obtenir l’importance qui leur est due, il faut que dans une société démocratique quiconque puisse avoir accès à des informations fiables pour pouvoir se former une opinion personnelle. Cette opinion personnelle est indispensable pour une véritable démocratie et doit être garantie par la loi. Il serait regrettable que la seule liberté d’expression reconnue par le droit fût la liberté de répéter toutes les bêtises entendues le soir précédent au télé-journal ou lues dans les journaux, sur Facebook ou sur Twitter.
Le danger de la création de nouveaux mots, d’euphémismes et de manipulations d’expressions a été décrit par Lewis Carroll dans «Alice au pays des merveilles»: «Quand j’utilise un mot», dit Humpty Dumpty sur un ton plutôt méprisant, «alors il a exactement le sens que je lui donne, aucun autre». Alice répond: «La question est celle de savoir, si tu peux vraiment donner différents sens aux mots.» Et Humpty de rétorquer: «La question est de savoir qui possède le pouvoir – c’est tout.»1
Il est vrai que le langage a un sens. La parole peut être plus forte que l’épée. Mais le langage peut également être vidé de son sens ou utilisé arbitrairement – aujourd’hui, il a un certain sens et demain un tout autre. L’arbitraire devient totalitaire.
Les journalistes devraient toujours être conscients du fait que ce qu’ils écrivent a des répercussions sur la société et peut mener soit à la réconciliation, soit à davantage de violence. Donc, il faut à tout moment garder à l’esprit que l’article 20 du PIDCP interdit la propagande de guerre et l’incitation à la haine. Les journalistes conscients de leur responsabilité présentent les faits sans verser dans le chauvinisme ou le racisme.
A l’occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse, nous nous devons d’honorer le travail des nombreux journalistes dans un grand nombre de pays travaillant quotidiennement pour obtenir les informations dont nous avons tant besoin. Beaucoup de journalistes payent de leur vie cet engagement. Le nombre de journalistes tués ou emprisonnés est effrayant.
Je salue l’important travail des lanceurs d’alertes («Whistleblowers»), y compris l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) ayant découvert les scandales concernant l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux, tels notamment le Panama et les Bahamas. Je salue le travail des lanceurs d’alertes, tels Edward Snowden ayant montré au monde entier l’envergure des violations quotidiennes de notre vie privée. Je salue le travail de Julian Assange qui obtint de nombreux prix des droits de l’homme, avant d’oser rendre public les crimes commis en Irak et publier les chapitres secrets sur l’environnement, la santé et la protection des investissements contenus dans les accords d’investissements internationaux, tels TPP, CETA et TTIP. Il a ainsi offert à la société civile l’opportunité de les discuter, de s’y opposer, même si les négociations sont déjà très avancées. Les lanceurs d’alertes sont littéralement les défenseurs des droits humains.
Comme je l’ai déjà proposé dans mon rapport adressé à l’Assemblée générale de l’ONU (A/71/286), il faudrait adopter une charte des droits des lanceurs d’alertes afin qu’ils obtiennent une protection efficace pour ne plus être exposés aux persécutions et aux actions pénales. Les lois doivent être appliquées sur les personnes dont les lanceurs d’alertes ont mis au jour les actes criminels. Mais celles commettant des crimes de guerre, impliquées dans de la corruption ou dans des conjurations pour frauder les Etats de leurs recettes fiscales, ces personnes-là continuent à profiter de l’impunité.
A l’occasion de cette Journée internationale de la liberté de la presse, nous voulons reconnaître l’importance du journalisme et encourager les journalistes, les bloggeurs, les lanceurs d’alertes à contribuer sans cesse à faire avancer le monde pour atteindre un ordre international plus démocratique et équitable, ainsi que la justice et la paix fondées sur la vérité. •
Source: <link http: www.ohchr.org en issues intorder pages articles.aspx>www.ohchr.org/EN/Issues/IntOrder/Pages/Articles.aspx
(Traduction Horizons et débats)
1 Carroll, Lewis, Through the Looking-Glass. New York 1872, p.72 [De l’autre côté du Miroir]
Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables:
a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis;
b) De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs;
c) D’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays.
* Le pacte du 19/12/1966 a jusqu’à présent été ratifié par 169 Etats et est en vigueur depuis le 23/3/1976.
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