Pourquoi le vote électronique s’associe mal avec la démocratie directe

Pourquoi le vote électronique s’associe mal avec la démocratie directe

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

Au fond, pourquoi exige-t-on le vote électronique? Voilà la question justifiée posée dans «Horizons et débats» no 10 du 4/5/17. Outre le sérieux risque d’attaques informatiques, d’autres questions fondamentales, touchant le nerf de la Suisse avec sa démocratie directe et son fédéralisme, doivent être posées. Dans notre pays, l’exercice du droit de vote et d’élection est étroitement lié à la responsabilité des citoyens à l’égard de leur Etat. Les citoyens suisses sont dans l’obligation de former leur opinion à l’aide des médias et avant tout en discutant avec leurs concitoyens pour ensuite déposer leur voix dans les urnes. A savoir au niveau de la Confédération et du canton au moins quatre fois par ans sur plusieurs projets fédéraux et cantonaux. A ceci s’ajoutent des votations concernant des projets au niveau des communes ayant lieu les assemblées communales ou bien, dans les communes et villes plus grandes, dans les urnes. Finalement, il y a également des élections gouvernementales et parlementaires ainsi que l’élection d’autres autorités, par exemple les juges des tribunaux cantonaux ou les membres des commissions scolaires dans les communes.
Qui veut accomplir tout cela en quelques clics? N’y a-t-il pas des forces en jeu visant des objectifs différents que ce qu’elles prétendent? Veut-on réduire la formation politique de la population suisse par la numérisation, en transformer en même temps la démocratie directe en un jeu numérique sans grands effets?
Le droit des électeurs dans les cantons et les communes de décider de leurs propres affaires est l’essence même du système étatique de la Suisse basé sur le fédéralisme et la démocratie directe. A cela s’ajoute la compétence des cantons d’organiser les votations tant cantonales que fédérales: les cantons fixent les projets cantonaux pour une certaine date de votation. Ils rassemblent le contenu des enveloppes de vote, organisent le déroulement de la votation (dans les urnes ou par correspondance). Les communes préparent les locaux de vote, définissent l’horaire des ouvertures, dépouillent les bulletins de vote et transmettent les résultats à l’administration cantonale. Là, ils sont enregistrés et publiés (lors des votations fédérales ils sont transmis à Berne). Toute la procédure est réglée par la législation cantonale et communale et les autorités connaissent parfaitement le déroulement.

Le comité de pilotage de la «cyberadministration suisse» n’est ni fédéraliste ni légitimé démocratiquement

Compte tenu du tissu démocratique très fin et du déroulement bien huilé des nombreuses votations populaires, une centrale de commande électronique voulant gérer les affaires les plus fondamentales de 26 cantons souverains et d’environs 2700 communes autonomes dans un seul pool de données est totalement étrange pour notre pays:
«Dans le cadre de l’organisation ‹Cyberadministration suisse›, la Confédération, les cantons et les communes s’emploient à développer l’offre des prestations électroniques des autorités. A cet égard, l’organisation pilote, planifie et coordonne les activités communes aux trois niveaux institutionnels.» Une de leur activités est «le vote électronique: une mise en place d’un canal de votations électroniques dans toute la Suisse.» (Feuille d’information Vote électronique, Faktenplatt-eVoting-f.pdf)[<link https: www.egovernment.ch fr umsetzung schwerpunktplan vote-electronique external-link seite:>www.egovernment.ch/fr/umsetzung/schwerpunktplan/vote-electronique/]
Dernier document: «Déclaration d’intention pour l’introduction du vote électronique» (21 avril 2017) signée par le chancelier de la Confédération Walter Thurnherr et Barbara Schüpbach-Guggenbühl, présidente de la Conférence suisse des chanceliers d’Etat (CCE) et chancelière d’Etat du canton de Bâle-Ville.
En plus des deux Conférences des directeurs non légitimées démocratiquement, dans lesquelles les directeurs cantonaux de l’instruction publique et de la santé publique développent leurs idées qu’ils tentent ensuite à imposer au peuple de leurs cantons, il y a donc depuis peu (septembre 2016) également une «Conférence suisse des chanceliers d’Etat», c’est-à-dire d’employés administratifs non élus par le peuple. En Suisse, le chancelier d’Etat a pour tâche – tout comme le secrétaire communal – d’assister les conseillers d’Etat ou les conseillers communaux, ayant souvent peu d’expérience juridique et travaillant souvent à temps partiel, d’être médiateur et gardien de l’Etat de droit et de la démocratie. Et c’est justement lui qui devrait s’occuper maintenant de promouvoir dans son canton «l’acceptation du vote électronique» et de promouvoir son introduction!
Bien que lors de la «Consultation concernant le nouvel instrument de planification, Vote électronique» (Rapport de la Chancellerie fédérale de février 2017) 14 des 26 cantons se sont opposés à l’obligation d’introduire le vote électronique (ZH, BE, LU, SZ, NW, ZG, FR, AI, AR, SG, GR, AG, OW, BL) dont au moins six cantons sont fondamentalement critique face à ce projet, le Conseil fédéral a annoncé le 5 avril 2017 de vouloir prendre en main «des mesures en faveur d’une dématérialisation du vote». Le vote doit être «entièrement numérisé. On pourrait dès lors renoncer entièrement ou partiellement à l’envoi de documents sur papier (bulletin de vote/bulletin électoral, carte de légitimation, enveloppe de vote et explications officielles) aux électeurs. La Confédération veut élaborer ensemble avec les cantons les conditions juridiques et techniques correspondantes.»
Chez de nombreux citoyens, cela éveille des sentiments de malaise! Qui aura encore une vue d’ensemble, si le dépouillement des «bulletins de vote physique» ne se faisait plus par des personnes vivantes? Si un recomptage, lors d’irrégularités, n’était plus possible? En ajoutant la tendance croissante de certains politiciens et même de certains juges fédéraux de ne plus guère tenir compte des décisions prises par le peuple, toutes sortes d’idées viennent à la tête…

Le soigneux dépouillement des bulletins de vote est l’image de marque de la démocratie directe

«Pour des raisons politico-démocratiques, nous ne pouvons pas nous permettre qu’il y ait l’ombre d’un doute concernant la validité d’un vote électronique», a déclaré Eric von Rotz, directeur administratif de la Chancellerie d’Etat de Nidwald et membre du bureau de vote («Neue Zürcher Zeitung» du 11/11/16). Il a raison! Chacun sait bien qu’il n’y a pas de vote électronique «sans l’ombre d’un doute» – en tous cas, pas jusqu’à présent. Par contre, le dépouillement des voix et des bulletins de vote dans les communes suisses est infalsifiable à près de 100%.
Dans chaque commune et quartier des villes se trouve un bureau de vote où un groupe de citoyens responsables gardent l’urne, surveillent le local de vote et supervisent le dépouillement des bulletins de vote. Au dépouillement participent plusieurs personnes, soit des membres des différents partis politiques, soit d’autres citoyens. La plupart sont des volontaires et s’il y a un besoin urgent de personnes supplémentaires, l’administration peut mobiliser d’autres citoyens. La présence de citoyens d’opinions politiques différentes dans la même salle se contrôlant mutuellement, si nécessaire, ainsi que le double recomptage des bulletins de vote par différentes personnes offre un niveau de sécurité particulièrement élevé.
Il est en effet très rare, de trouver après le dépouillement encore quelques enveloppes de vote oubliées – un tel fait serait publié dans tous les journaux. Si un doute sur l’exactitude des résultats de vote survient, il est toujours possible de déposer une plainte auprès d’un tribunal cantonal. Celui-ci peut, si le résultat est serré, ordonner un recomptage (en général que dans les circonscriptions concernées). Cela s’est produit une fois dans une commune où les oui et les non ont été inversés par erreur lors de l’entrée des données dans l’ordinateur. Les citoyens, ayant compté les bulletins de vote l’ont naturellement rapidement réalisé et l’erreur a été corrigée.
Imaginez-vous maintenant, qu’il n’y a plus de bulletins de vote, uniquement des entrées électroniques dans l’ordinateur – comment, nous en tant que citoyens, serions en mesure de contrôler si les résultats sont corrects? Comment recompter au cas des doutes légitimes? Et cela en respectant le secret du vote? Tant qu’«il y a encore l’ombre d’un doute», le vote électronique, déjà en cours à titre expérimental dans divers cantons, reste problématique et a jusqu’à présent plusieurs fois été abandonné pour des raisons de sécurité.

La démocratie directe n’est pas un simple jeu informatique!

L’espoir, que notamment les jeunes gens préfèreraient prendre part aux votations et aux élections de voter par voie électronique que sur papier, ne remplit pas les exigences de la démocratie directe. «Voglio fare il cittadino» – «Je veux devenir citoyen», déclare le Tessinois de 18 ans dans le merveilleux manuel d’instruction public rédigé et publié par Eros Ratti. Avec beaucoup de curiosité et de dynamisme le jeune citoyen se met à l’œuvre; avec une grande joie, patience et humour l’adulte, expérimenté en démocratie directe, introduit le jeune citoyen dans la théorie et la pratique des communes tessinoises. C’est ainsi que l’éducation à la démocratie directe doit se faire.
Nous, les adultes, les parents, les grands-parents et les enseignants sommes chargés de veiller à ce que la prochaine génération se développe en citoyen connaissant ses droits et ses devoirs et contribuant ainsi à développer le modèle suisse unique en son genre et à le préserver; à ce qu’ils obtiennent une éducation civique, digne de ce nom; à ce qu’ils apprennent comment s’informer sur les sujets soumis à votation et comment se former librement son opinion. Placer un Oui ou un Non sur un bout de papier ne peu alors plus être un problème sérieux!
Cependant, tous ceux qui veulent réduire la démocratie directe à ce que les jeunes semi-alphabétisés dans une «société 4.0» fasse un clic de souris au «bon» endroit, poursuit d’autres objectifs. La préservation d’un système politique orienté sur le bien commun et une jeunesse active ne gobant pas n’importe quoi, mais faisant ses propres réflexions, n’en font pas partie.
Occupons-nous donc de l’éducation civique de nos enfants et adolescents et  opposons-nous énergiquement à de tels plans antidémocratiques!    •

Scrutateurs bénévoles – pas seulement à la campagne (ici dans le canton de Bâle-Ville)

«250 bénévoles dépouillent en ville de Bâle les voix concernant l’élection du Parlement cantonal du dimanche. Le vendredi déjà, plus de 35 000 enveloppes de vote étaient arrivées, donc, le taux de participation était élevé, selon Daniel Orsini, chef des votation et élections du canton. Les scrutateurs sont des électeurs éligibles du canton de Bâle-Ville, tous s’étaient portés volontaires. Quelques-uns le font depuis des décennies. Il est important qu’ils travaillent soigneusement, déclare Orsini. Mais, si cela n’était pas le cas, on le remarque rapidement: tous les bulletins de vote sont comptés plus d’une fois, donc il y a au moins un double contrôle».

SRF régional, samedi, 22/10/16

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