Lorsque nous nous demandons comment mettre en valeur la personnalité de nos enfants, cela revient à se demander ce que signifie l’éducation. Je pars bien sûr de l’idée que les parents ne souhaitent que le meilleur pour leurs enfants; ils sont prêts à s’investir corps et âme. J’ai déjà rencontré des pères pleurant amèrement après des entretiens avec leurs enfants devenus adultes parce qu’ils avaient l’impression d’avoir échoué dans leur éducation.
Le fait que les parents aiment leurs enfants et leur souhaitent une vie réussie, correspond à la nature sociale des êtres humains.
Bien sûr, il existe des cas tragiques de négligence et de grave abandon, souvent liés à la consommation d’alcool et de drogues ou nouvellement aussi des parents se perdant dans le monde artificiel d’Internet et allant jusqu’à «oublier» leurs enfants.
De plus, malgré la richesse matérielle existante, une sorte de «carence affective» s’est développée, au sein de laquelle différentes structures d’accueil et d’assistance pour les enfants ont pris le relais de la famille. Cependant, ni des programmes ambitieux de soutien ni la gâterie matérielle ne peuvent remplacer l’affection et le réconfort humain dont les enfants ont besoin pour devenir des adultes capables d’affronter l’existence et le vivre-ensemble sociétal.
Dans le quotidien, on voit que souvent la bonne volonté à elle seule ne suffit pas, car dans la vie réelle toute personne ayant à faire à des enfants est confrontée à des problèmes nécessitant, outre la bonne volonté, certaines connaissances psychologiques pour pouvoir les résoudre. Celles-ci permettent d’aider les parents à mieux se connaître eux-mêmes et à comprendre les réactions de leurs enfants. Cela permet souvent de prévenir des développements néfastes ou de dénouer des tensions émotionnelles existantes.
Voici un petit exemple: un père entend par hasard que je fais un compliment à son fils de 11 ans pour ses calculs résolus sans erreur. La veille, la classe avait fait ensemble quelques exercices, et il avait été le seul à remarquer l’erreur qui s’était glissée dans les exercices, ce qui lui a permis de faire ses devoirs sans faute. Lorsque j’ajoute avec bienveillance: «Mais tu aurais aussi pu nous y rendre attentifs», le père intervient tout irrité: «Tu vois, c’est exactement ce que je t’ai dit il y a un instant, il faut communiquer ensemble!»
Et voilà que nous sommes soudainement confrontés à une problématique éducative: d’un côté le père mécontent, reprochant à son fils de ne pas être à la hauteur de ses souhaits, et de l’autre côté un garçon souvent nerveux et impulsif, désirant être bon élève, mais ne pouvant jamais satisfaire les exigences élevées projetées sur lui par son père.
Je suis certain que le père n’aurait pas fait cette remarque, s’il avait été conscient du fait que son irritation n’avait que peu à voir avec son fils mais qu’elle provenait de ses propres exigences inconscientes. – Il ne voulait certainement pas nuire à son enfant.
Les découvertes de Sigmund Freud et d’Alfred Adler ont posé le fondement pour la compréhension de la vie intérieure humaine et ont donné des impulsions décisives aux pensées sur l’éducation. Aujourd’hui, après plus d’un siècle de recherche dans le domaine de la psychologie des profondeurs dans le monde entier, on sait avec certitude que les bases pour la formation future du caractère, de l’intelligence et de la manière de mener sa vie sont posées dans les premières années de la vie. Il est important de rappeler que les connaissances actuelles concernant l’importance des expériences faites pendant l’enfance et notamment concernant l’éducation proviennent en grande partie du travail d’Alfred Adler et de sa psychologie individuelle.
Le médecin et psychologue viennois Alfred Adler (1870–1937) était, parmi les pionniers de la psychologie des profondeurs, sans doute celui qui a prêté la plus grande attention à l’éducation et aux erreurs faites dans ce domaine. Après avoir reconnu, en tant que jeune médecin, que les maux corporels de ses patients avaient souvent des origines psychiques remontant souvent à leur première enfance, il étendit son activité médicale à la recherche et au traitement des maladies psychiques et s’engagea dans la formation des enseignants et de la consultation éducative. Il était convaincu que sans amélioration de l’éducation des enfants, il n’existait pas de prévention efficace et par conséquent aucun développement culturel. Adler alla même jusqu’à juger la valeur des diverses théories psychologiques à l’aune de leur utilité pour l’éducation des enfants.1
Pour se distinguer de la psycho-analyse de Sigmund Freud, Adler appela sa doctrine «psychologie individuelle», voulant souligner ainsi l’«indivisibilité» et la «particularité» de l’individu. En même temps, il illustrait ainsi, qu’il fallait comprendre et apprécier chaque être humain comme unique. Au centre se situe le sentiment social [«Gemeinschaftsgefühl»].
Pour Adler, l’être humain est un être libre, déterminé principalement par sa culture et non par ses impulsions et ses instincts. Il s’opposa à la définition de l’être par la croyance à une détermination fatidique de la vie humaine.
Adler attira l’attention sur le caractère final de l’activité humaine. Il ajouta ainsi un aspect central à considérer dans les manifestations de la vie de chaque personne, devant être pris en compte dans l’éducation des enfants: penser, sentir, vouloir et agir visent un certain objectif. «Dans quelle direction vas-tu te développer?»
Pendant l’Entre-deux-guerres, Adler fonda avec ses collaborateurs et ses élèves à Vienne de nombreux centres consultatifs pour l’éducation, attirant de nombreux parents, enseignants et autres personnes intéressées. Adler lui-même tint d’innombrables conférences dans toute l’Europe, jusqu’au moment où la dictature idéologique et politique ne toléra plus la diffusion de sa pensée libérale. Ses élèves furent poursuivis par les dirigeants autoritaires et durent quitter le pays. Adler poursuivit certes son travail dans les pays anglo-saxons, toutefois la dictature, la guerre et les développements politiques et culturels qui suivirent empêchèrent la large diffusion de ses connaissances psychologiques de l’être humain, un manque dont souffrent aujourd’hui encore l’éducation et la culture de la vie communautaire.2
Toute vie aspire à la lumière. Les enfants aussi ont le besoin inné de se développer. On n’a pas besoin de leur proposer d’apprendre à marcher. Ils croissent et s’étirent jusqu’à ce qu’ils arrivent à atteindre la poignée de la porte et à l’ouvrir par eux-mêmes.
Les enfants sont des individus autonomes dotés de leur propre état d’esprit, tant au niveau corporel qu’au niveau psychique. Pendant de longues années, ils sont dépendants de l’attention des parents et développent, selon leurs contextes de vie, leur propre et unique «style de vie», leur manière toute personnelle de réagir aux exigences de la vie.
Les enfants – et pas seulement eux – agissent selon leur motivation intrinsèque, ils ont leur propre volonté et poursuivent leurs propres buts. Le comportement humain est ciblé, même si ses objectifs ne sont pas toujours facilement reconnaissables. Voici un petit exemple: au début d’un remplacement de quinze jours dans une classe de 4e classe primaire, un garçon se fait particulièrement remarquer par sa grande nervosité, si bien que je l’interpelle à plusieurs reprises. Lorsque je congédiai les élèves un par un à la porte avant la pause de midi et que je m’adressai à lui en l’appelant par son nom, son visage se mit à rayonner et il me dit: «Ainsi vous connaissez mon nom, n’est-ce pas?» Il avait atteint son but et ne posa plus guère de problèmes pendant les jours suivants.
Le développement de la personnalité de l’enfant ne poursuit pas une causalité prédéterminée: un enfant trop choyé que les parents tentent de garder petit sans lui faire confiance, peut soit devenir passif et apathique quand il se soumet à cette surprotection, soit devenir oppositionnel ou hyperactif en se révoltant contre celle-ci; chaque enfant traite les influences extérieures selon sa propre manière toute subjective.
Les parents manquant d’assurance tendent à se sentir responsables de l’humeur de leur enfant et se remettent en question quand il exprime un mécontentement. Ils s’efforcent constamment de rendre l’enfant heureux, ce qui le plus souvent mène à une situation ou d’abord les parents et ensuite le monde entier est rendu responsable de la mauvaise humeur de l’enfant.
Si les parents veulent renforcer la personnalité de leur enfant, ils doivent éviter de trop le couver. Afin de prévenir tout malentendu, rappelons qu’il ne s’agit pas d’un appel à moins d’amour et davantage de distance. Sans amour et sentiment de sécurité, un enfant ne peut pas développer de confiance en soi et en autrui. Karin et Klaus Grossmann, psychologues et chercheurs dans le domaine de l’attachement humain, parlent de «sécurité psychique» naissant de l’«affection humaine»,3 et Alfred Adler, qui mit en garde sa vie durant contre les conséquences néfastes de la surprotection des enfants, voyait dans le manque d’amour une importante raison à de nombreux manquements dans le comportement humain.
La surprotection n’est jamais le résultat de trop d’amour. Il s’agit plutôt d’un comportement parental inconscient à détourner l’épanouissement de la personnalité de l’enfant dans une mauvaise direction.
Un enfant trop choyé peut être soumis à des formes très diverses de surprotection parentale. Il y a, par exemple, la constante anxiété pour le bien-être de l’enfant, des doutes permanents, des mises en garde à tout moment, un manque de sollicitations de ses capacités, un manque de confiance dans ses possibilités de développement ou bien la volonté constante de lui faciliter des tâches qu’il pourrait parfaitement faire lui-même. Ne pas s’attendre à des efforts de sa part c’est donc lui ôter toutes les difficultés se trouvant sur son chemin mais aussi manifester une admiration inadéquate et des compliments exubérants ou lui offrir des quantités de cadeaux, de jouets, de tendresses et de promesses exagérées. Puis il y a un aspect primordial consistant en un manque de limites claires et la tendance à vouloir satisfaire tous ses souhaits et à se soumettre à ses exigences.
La «surprotection», écrit Jürg Frick dans son livre «Die Droge Verwöhnung» [La drogue de la surprotection] «signifie finalement, éliminer tout la logique du vivre-ensemble humain. […] Les enfants et les adolescents gâtés ne prennent pas compte des besoins de leurs semblables. Ils ne connaissent que ‹je veux ›, ‹maintenant›, ‹tout de suite›. Ils n’ont jamais appris à patienter.»4
L’éducation a le devoir de rendre les enfants aptes à assumer leur vie et à nouer des relations avec leurs semblables basées sur l’empathie, afin d’être prêt et capable à contribuer, plus tard, au bien commun en coopération avec autrui. Il est important de les encourager et de poser des exigences. Les enfants doivent apprendre à se confronter à des exigences et à y répondre de manière adéquate. Cela nécessite du courage et de la confiance en ses propres capacités.
Les enfants se sentent valorisés dans leur personnalité, quand ils peuvent, tout jeune déjà, assumer la responsabilité de petites tâches. Des exigences adaptées à l’âge offrent à l’enfant l’occasion d’exercer ses propres aptitudes et chaque effort couronné de succès augmente sa force intérieure et son assurance.
Des petits encouragements comme: «Tu as déjà fait beaucoup de progrès», «Tu y arriveras», «Essaie encore une fois» et d’autres petites phrases encourageantes peuvent aider les enfants, quand le succès n’arrive pas tout de suite et lorsque la persévérance menace de s’émousser. Ce sont des signes d’attention, dont a besoin tout enfant. Toutefois, attention – encourager ne veut pas dire faire le travail à sa place!
Les enfants ont besoin très tôt des règles et des limites et cela ne réside pas uniquement en une protection contre les dangers. Les règles, les limites et les valeurs transmises par les parents leur donnent une orientation et renforcent le développement de leur personnalité. Elles aident les enfants à développer une conception réaliste de la vie.
Tous les parents voulant renforcer la personnalité de leurs enfants doivent prendre garde de ne pas les priver de telles expériences positives. •
1 Liebling, Friedrich. Die Bedeutung Alfred Adlers für die moderne Psychologie. Ds: Friedrich Liebling. Aufsätze, Zürich 1982, p. 13s.
2 Bottome, Phyllis. Alfred Adler aus der Nähe porträtiert, Londres 1939, en allemand: Berlin 2013. Un excellent livre pour apprendre à connaître Alfred Adler, sa personnalité et
sa psychologie individuelle.
3 Grossmann, Karin et Klaus E. Bindung – das Gefüge psychischer Sicherheit, Stuttgart 20146, p. 19
4 Frick, Jürg. Die Droge Verwöhnung, Bern 20053, p. 27
5 Schmidt, Hans-Dieter und Richter, Evelyn. Entwicklungswunder Mensch. Berlin 19812, p. 37
Notre site web utilise des cookies afin de pouvoir améliorer notre page en permanence et vous offrir une expérience optimale en tant que visiteurs. En continuant à consulter ce site web, vous déclarez accepter l’utilisation de cookies. Vous trouverez de plus amples informations concernant les cookies dans notre déclaration de protection des données.
Si vous désirez interdire l’utilisation de cookies, par ex. par le biais de Google Analytics, vous pouvez installer ce dernier au moyen des modules complémentaires du présent navigateur.