Naturalisation facilitée des étrangers de la troisième génération: inutile, bureaucrate, centraliste

Naturalisation facilitée des étrangers de la troisième génération: inutile, bureaucrate, centraliste

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

La question d’un nouveau règlement de la nationalité suisse a été farouchement débattue au cours des dernières années – comme déjà auparavant – aux Chambres fédérales. Après de nombreuses différences, les deux Chambres se mirent d’accord le 20 juin 2014 sur la révision totale de la Loi fédérale sur la nationalité (LN) dont l’entrée en vigueur est prévue le 1er janvier 2018. Personne n’a lancé le référendum contre ces modifications (pour les plus importantes modifications, cf. l’encadré).
Parallèlement, le Parlement a débattu d’une initiative parlementaire déposée en 2008 par le groupe du PS avec le titre chargé d’émotions «La Suisse doit officialiser ses enfants». Elle exigeait la naturalisation facilitée pour les étrangers de la troisième génération. Après quelques sursis et plusieurs différences les deux chambres acceptèrent le projet le 30 septembre 2016. Etant donné qu’il s’agissait d’un changement fondamental du droit, une révision de la Constitution fédérale et une votation populaire obligatoire étaient nécessaires. Le texte de votation, sur lequel nous voterons le 12 février est le suivant:
«La Constitution est modifiée comme suit:

Art. 38, al. 3
3 Elle [la Confédération] facilite la naturalisation:
des étrangers de la troisième génération;
des enfants apatrides»*
[* Pour les enfants apatrides la facilité de naturalisation existe déjà aujourd’hui, ndlr.]

Cela paraît raisonnable, non? Qui pourrait être contre la possibilité que des jeunes gens nés en Suisse et dont les familles vivent depuis longtemps ici obtiennent la nationalité suisse? Quiconque examine soigneusement les dessous juridiques et politiques, arrive cependant à une autre conclusion.

La nationalité suisse est étroitement liée à la démocratie directe, notamment dans la commune

Pour devenir citoyen suisse, il ne suffit pas – à la différence de nombreux autres pays – d’être né ici ou d’avoir vécu pendant une longue période ici.
Car le passeport suisse n’est pas un simple bout de papier garantissant à son détenteur le droit de séjour en Suisse. La nationalité suisse nous donne au contraire une extraordinaire possibilité de participation au niveau fédéral, cantonal et communal. Nous pouvons non seulement participer à des élections comme les citoyens d’autres pays, mais nous formons aussi l’ordre juridique suisse sur les trois niveaux étatiques à l’aide du droit d’initiative et de référendum dans de nombreuses votations populaires. C’est pourquoi nous pouvons dire à juste titre que la nationalité suisse est quelque chose d’absolument exceptionnelle, et il est nécessaire d’y prendre soin.
Quiconque devient citoyen suisse, reçoit là, où il vit depuis un certain temps, le droit civique cantonal et la citoyenneté de la commune. On devient d’abord citoyen suisse dans la commune, où l’on a pris racine en premier. Là, on dépose sa demande de naturalisation, là, le nouveau citoyen va pouvoir participer le plus directement à la politique dans l’Assemblée communale et dans le travail de milice bénévole. Si nécessaire, la commune doit aussi assumer la responsabilité d’aider un nouveau citoyen et sa famille par de l’aide sociale ou d’autres soutiens.
C’est pourquoi les Suisses dans les villages veulent pouvoir se prononcer au sujet de l’attribution du droit civique à de nouvelles personnes. Les conditions préalables nécessaires sont les suivantes: quiconque veut obtenir la naturalisation doit être capable de comprendre le (suisse-)allemand (ou le français ou l’italien) et le parler convenablement et qu’il sache lire et écrire. Car pour se former sa propre opinion sur les projets de votations de la Confédération, du canton et de la commune, ces conditions doivent être remplies.
Afin de prévenir tout malentendu: il ne faut pas être parfait, pour recevoir la naturalisation, mais il faut être «intégré» (cf. encadré). En tant qu’enseignante à l’école professionnelle, j’ai déjà été contactée à plusieurs reprises par un secrétaire communal ou un membre de la Commission de naturalisation, si l’un de mes élèves voulait se naturaliser. «Très honnête, désireux d’apprendre et coopératif» je répondais par exemple, «le seul manque, ce sont ses connaissances du suisse-allemand oral et écrit.» – «Aussi longtemps que quelqu’un est engagé et se comporte bien, nous sommes d’accord de le naturaliser, avec le temps, il améliorera certainement son allemand», était souvent la réponse. Typiquement suisse.

Naturalisation ordinaire et facilitée: fédéralisme ou centralisme

Le 12 février nous aurons à décider, si les jeunes étrangers de la troisième génération peuvent obtenir une naturalisation facilitée, ou s’ils restent sous le régime de la naturalisation ordinaire, comme actuellement.
La procédure de naturalisation ordinaire repose sur la structure étatique fédéraliste de la Suisse. Cela commence avec la demande de naturalisation dans la commune/le canton de résidence. Les procédures cantonales et communales sont réglées dans le droit cantonal (art. 15 LN). Ce n’est que lorsque l’autorité compétente (en règle générale l’Assemblée communale ou la Commission de naturalisation) accepte la demande et qu’il n’y a pas d’opposition de la part du canton, que la demande est transmise au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) qui donne le consentement de naturalisation (art. 13 LN). Jusqu’à présent la naturalisation ordinaire est la règle.
La procédure de naturalisation facilitée est conçue de manière centraliste: le Conseil fédéral règle la procédure; le secrétariat d’Etat aux migrations prend la décision. Etant donné que les personnes voulant se faire naturaliser ne sont guère connues du SEM, «il consulte le canton» (art. 25 LN). Celui-ci n’a pas de droit de décision, et les communes ne sont pas mentionnées.
Etant donné que la procédure de naturalisation facilitée passe outre les procédures fédéralistes courantes en Suisse, elle a cours jusqu’à présent uniquement dans des cas spéciaux: pour les étrangers mariés avec un Suisse ou une Suissesse (parce que leur intégration est normalement plus facile dans une communauté étroite avec le conjoint et pour soutenir l’unité de la nationalité dans la famille) ainsi que les enfants mineurs apatrides. Ces personnes profitent d’une durée de séjour plus courte, mais elles doivent également satisfaire les critères d’intégration de l’article 12.
La nouveauté est donc celle-ci: cette votation sur la naturalisation facilitée devrait aussi être possible pour les «étrangers de la troisième génération». Là, par contre, il y a plusieurs objections importantes.

La première et la plus grande objection: la naturalisation facilitée pour les «étrangers de troisième génération» est inutile

Les jeunes étrangers, vivant en Suisse depuis leur naissance et allant ici à l’école, n’ont pas besoins de ce nouveau règlement. Car pour eux les années entre 8 ans révolus et 18 ans comptent de toute façon double; s’ils habitent depuis au moins six ans au même endroit, ils peuvent faire une demande de naturalisation dans leur commune (art. 9 al. 2 LN; cf. encadré). De mes nombreux apprentis d’origine étrangère auxquels j’ai enseigné pendant 30 ans (dans un grand nombre de classes, ils formaient la majorité), pratiquement tous ceux qui le désiraient se sont naturalisés durant l’apprentissage, c’est à dire entre 16 et 20 ans. Quelques-uns avec leur famille, mais beaucoup de leur propre gré. C’est un des nombreux avantages du système dual d’apprentissage: Quiconque trouve une place d’apprentissage et travaille correctement à l’école professionnelle et dans son entreprise, est pratiquement sans exception «intégré avec succès» (art. 11a, LN). Si quelqu’un devient criminel, il perd généralement sa place d’apprentissage – c’est-à-dire qu’il ne remplit plus les conditions d’intégration. C’est aussi simple que cela.

Deuxième objection: Le règlement envisagé est un «cafouillage juridique»1

La conseillère nationale Ada Marra (PS, VD) et ses cosignataires poursuivaient avec leur initiative parlementaire en vérité un tout autre but, que celui issu maintenant du Parlement: c’est-à-dire de relancer le «ius soli» (toute personne née sur le territoire d’un Etat, obtient automatiquement la naturalisation), bien que le peuple et les cantons l’aient clairement refusé en 2004. Un tel automatisme a été rejeté dès le début des délibérations par une majorité du Conseil national et Conseil des Etats. Au lieu d’annuler le projet dans son intégralité, le Parlement a tenté de garantir d’une manière peu convaincante, que les demandeurs nés en Suisse descendent réellement d’une famille ayant vécu depuis deux générations dans le pays. Selon le futur art. 24a LN2 ils «doivent rendre crédible», qu’au moins l’un de ses grands-parents a acquis un droit de séjour en Suisse, que l’un de ses parents «dispose d’une autorisation d’établissement», «a séjourné pendant au moins dix ans en Suisse» et «a suivi au moins cinq ans de scolarité obligatoire en Suisse» (cf. Explications du Conseil fédéral, page 6/7).
Bien du plaisir dans l’étude de votre généalogie! Moi, j’appellerai cela plutôt un «monstre bureaucratique» qu’une «naturalisation facilitée». Mis à part le fait que par «troisième génération» on entend à vrai dire des enfants, dont les parents (ou au moins l’un d’eux) sont également nés en Suisse, ont vécu ici (pas seulement dix ans) et y ont suivi toute leur scolarité (pas seulement cinq ans). Le fait qu’on ne demande au candidat à la naturalisation que «d’avoir suivi au moins cinq ans de scolarité obligatoire en Suisse», est très discutable: soit il appartient à la troisième génération d’étrangers – alors il est né et a grandi ici et a suivi toute sa scolarité ici – soit il n’en fait pas partie.
Les seuls qui se réjouissent de ce modèle, se trouvent probablement au Secrétariat d’Etat aux migrations: la bulle bureaucratique permettra d’augmenter massivement les emplois … Les jeunes étrangers étant nés et ayant grandi ici seront mieux servis avec le règlement actuel des années de jeunesse comptant double.

Troisième objection: renforcer le fédéralisme plutôt que de l’affaiblir!

Le fédéralisme garantit comme dans beaucoup d’autres domaines là aussi une réglementation adaptée de façon plus fine et plus soutenue par les citoyens. Car la naturalisation facilitée pour les étrangers nés en Suisse existe déjà dans 16 cantons, dans une grande diversité: «Ces simplifications consistent par exemple à renoncer aux examens des connaissances linguistiques et civiques, à réduire le tarif de naturalisation, à accepter des délais de séjour plus courts ou à simplifier de manière générale les procédures.» (Conseiller aux Etats Stefan Engler, PDC GR). La minorité représentée par M. Engler au Conseil des Etats aurait préféré soutenir la «naturalisation facilitée» par les cantons plutôt que celle par la Confédération: «Il est plus intelligent, de rester dans la procédure ordinaire et de donner aux cantons la possibilité de déterminer eux-mêmes le traitement privilégié de telles naturalisations, ou alors d’esquisser dans la Loi fédérale sur la nationalité, le cadre dans lequel les cantons peuvent s’orienter dans cette question.» Avec une telle règlementation les compétences resteraient auprès du canton et communes.
En résumé: il n’y a aucune raison d’adopter la «naturalisation d’étrangers de la troisième génération» dans cette forme présentée au peuple et aux cantons lors de la votation du 12 février 2017. Autant les jeunes étrangers que le fédéralisme seront mieux servis avec la réglementation en vigueur de la Loi fédérale sur la nationalité, entièrement révisée il y a deux ans et demi.     •

1     Conseiller aux Etats Stefan Engler (PDC GR) le 13 juin 2016 au Conseil des Etats
2    Si le changement de loi concernant la naturalisation facilitée est adopté, celle-ci va être publiée dans la Feuille fédérale après le 12 février et sera soumise au référendum facultatif.

Les principaux amendements de la Loi sur la nationalité entièrement révisée de 2014

–    Réduction de 12 à 10 ans de la durée de séjour minimum pour la naturalisation (art. 9 LN). (La conseillère fédérale Sommaruga et la majorité du Conseil des Etats voulaient même la réduire à 8 ans, mais ils ont subi une opposition tenace de la par du Conseil national.)
–    Les années entre les anniversaires de 8 et de 18 ans comptent double (similaire à l’art. 9 al. 2 LN)
–    Enumération claire des critères d’intégration que le requérant doit remplir:

Art. 11 Conditions matérielles
L’autorisation fédérale de naturalisation est octroyée si le requérant remplit les conditions suivantes:

a    son intégration est réussie;
b    il s’est familiarisé avec les conditions de vie en Suisse;
c    il ne met pas en danger la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse.

Art. 12 Critères d’intégration

1    Une intégration réussie de la sécurité et de l’ordre publics;
a    le respect de la sécurité et de l’ordre publics;
b    le respect des valeurs de la Constitution;
c    l’aptitude à communiquer au quotidien dans une langue nationale, à l’oral et à l’écrit;
d    la participation à la vie économique ou l’acquisition d’une formation; et
e    l’encouragement et le soutien de l’intégration du conjoint, du partenaire enregistré ou des enfants mineurs sur lesquels est exercée l’autorité parentale.
2    La situation des personnes qui, du fait d’un handicap ou d’une maladie ou pour d’autres raisons personnelles majeures, ne remplissent pas ou remplissent difficilement les critères d’intégration prévus à l’al. 1, let. c et d, est prise en compte de manière appropriée.
3    Les cantons peuvent prévoir d’autres critères d’intégration.
–    Les conditions des critères d’intégration sont également valables pour la naturalisation facilitée, avant tout pour les conjoints d’un citoyen suisse (art. 21 LN).

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