Les élections allemandes au Bundestag et la ligne politiquement correcte des débats publics qui ont suivi reflètent une évolution dépassant largement la question de savoir pourquoi le CDU/CSU et le SPD ont tant perdu de soutien et pourquoi l’AfD [Alternative pour l’Allemagne] a atteint presque 13% des voix. L’interaction des partis allemands n’est pas seulement motivée par les questions de pouvoir et ne se réduit pas à un «spectacle» – elle est le symptôme d’une société divisée. Si l’on n’arrive pas à remédier à cette division, la société allemande et la politique allemande ne pourront pas résoudre les tâches urgentes.
Le fait qu’il y ait plusieurs partis politiques et que de nouveaux s’y ajoutent, ne pose pas de problème. Cela fait partie de la démocratie. Il ne faut pas non plus critiquer le fait que les partis proposent différents programmes pour obtenir des votes, au contraire. Ce qui pose problème, c’est la manière dont les différents partis interagissent et les répercussions que cela provoque auprès des citoyennes et citoyens.
Un exemple flagrant est l’accusation des autres partis envers l’AfD d’être un parti de la droite radicale, voire de l’extrême droite. C’est beaucoup plus qu’une simple formule de propagande dans la lutte pour le pouvoir. Une telle accusation empoisonne le climat politique et rend impossible un dialogue honnête – pas seulement avec les militants de ce parti, mais également avec ses électeurs. Car entre temps, à l’Est du pays, ce parti rassemble en son sein le deuxième plus grand groupe d’électeurs et en Saxe même le plus grand. Veut-on vraiment inculquer aux électeurs qu’ils ne sont peut-être eux-mêmes pas d’extrême droite, mais qu’ils ont été incapables de réaliser que le parti qu’ils ont élu est véritablement d’extrême droite?
Mais, en Allemagne, les jalons ne sont pas posés pour le dialogue. Le discours concernant la «responsabilité politique» des représentants de divers partis, notamment des Verts et des «libéraux» du FDP convoitant le pouvoir, n’est guère crédible, après les longues années d’égocentrisme et – de facto – de subversion.
Il y a des causes bien plus profondes pour ce manque de dialogue: l’individualisme exagéré, le déconstructivisme post-moderne, l’arbitraire dans le style de vie et le retour de la pensée et de l’action darwinistes en politique, en économie et en société. Elles ont affaibli la cohésion et les liens entre les êtres humains et les citoyens. Tout ceci n’est pas une loi naturelle mais a été engendré sciemment! Là, où il n’est plus possible de discuter avec tout le monde, où l’intérêt de vouloir connaître les réflexions et les positions d’autrui disparait, et là où il n’y a plus d’écoute et de respect mutuel, il y a un réel danger.
La Suisse fête cette année le 600e anniversaire de Nicolas de Flue. Un de ses fameux conseils aux Confédérés en quête de paix était de s’écouter et de se rapprocher l’un de l’autre. Il semble qu’à cette époque déjà, certains peinaient à le faire.
Et probablement, cela n’est pas possible sans base commune.
Ernst Fraenkel, un politologue allemand, rentré en Allemagne de son exil après la Seconde Guerre mondiale, fut le fondateur de la «théorie du pluralisme», ayant marqué politiquement l’Allemagne occidentale de l’après-guerre. Selon cette théorie, il y a dans toute société différents intérêts et divers groupements. Quand il s’agit de prendre des décisions politiques, il est donc nécessaire de négocier les différends et de trouver le plus grand dénominateur commun. Fraenkel partait de l’idée que la capacité de chercher ensemble le plus grand dénominateur commun reposait sur un consensus concernant les bases éthiques. Pour lui, celles-ci étaient définies par le droit naturel. De nos jours cependant, cela n’est plus guère pris en compte.
Actuellement, il est évident que nous sommes très éloignés de cette approche sensée. Non seulement entre les Etats mais également entre les citoyens. Quelles en sont les raisons?
Le grand public n’en a guère connaissance, mais elles existent: les personnalités et les groupes cherchant à formuler une éthique pouvant rassembler la plupart des responsables sérieux et la majorité des gens – même à l’échelle planétaire. «Y a-t-il des valeurs morales objectives capables d’unir les hommes et de leur procurer paix et bonheur? Quelles sont-elles? Comment les discerner? Comment les mettre en œuvre dans la vie des personnes et des communautés?» On trouve ces questions au début du premier paragraphe du rapport final de la «Commission théologique internationale» du Vatican, comportant plus de 50 pages. Cette commission a intitulé ce rapport «A la recherche d’une éthique universelle. Nouveau regard sur la loi naturelle.» et l’a présenté en 2009.*
Peut-être faut-il interpréter de manière comparable, mais moins profonde, les propos des présidents russe et américain, de vouloir créer dans leurs Etats une sorte d’«unité de la nation». Les deux pays sont parfaitement conscients des effets désastreux que provoque la fragmentation sociétale. Les Etats-Unis en souffrent de plus en plus et on ne peut que souhaiter aux Américains que, cette fois-ci, il ne s’agisse pas que de pure propagande politique. Le président russe s’efforce, depuis sa première période électorale, de dissoudre la «lutte des classes» des années 1990. Les deux présidents se voient attaqués pour cela.
Malgré l’importance centrale des dispositions légales pour les relations internationales et internes aux pays, celles-ci ne peuvent pour elles seules résoudre les problèmes actuels. Cela est illustré par le fait que tant le droit international que le droit national peuvent être bafoués sans que les instances compétentes à s’y opposer entrent en action ou aient la possibilité de le faire.
On n’observe ce manque de volonté et de capacité au dialogue non seulement entre les citoyens, mais également dans les relations internationales. Il suffit de jeter un coup d’œil sur la politique mondiale. Récemment, un représentant suisse auprès de l’OCDE a prévenu que dans cette grande et importante organisation internationale pour le maintien de la paix et l’entente, il n’existait plus aucun dialogue entre l’Ouest et l’Est: actuellement, on est confronté à l’opposition de points de vue, sans aucun rapprochement. Cette information est symptomatique pour un monde où le terrain commun disparaît de plus en plus.
Il est très peu probable que ceux amplifiant les antagonismes et la polarisation et ne respectant plus le droit s’arrêtent soudainement pour entendre raison. Ils espèrent toujours de profiter de leur méthode. Mais les victimes de cette évolution, donc la plupart des citoyens, peuvent résilier leur consentement. Cela pourrait être une des leçons à tirer des élections au Bundestag – et des évènements actuels dans le monde. Nous misons dorénavant sur le dialogue entre personnes égales en droit et se trouvant sur le même pied d’égalité – tant au niveau national qu’international. Là où l’on refuse ou empêche le dialogue, nous refusons toute collaboration. Voilà une sorte de désobéissance civile.
PS: L’actuelle confrontation aiguë en Espagne illustre bien les dangers de la polarisation au lieu de la recherche de solutions négociées à l’amiable pour des problèmes dont l’histoire est longue et complexe. C’est une illusion de croire que de tels développements sont impossibles en Allemagne. La combinaison de réels problèmes complexes (existant également en Allemagne) avec, ou la volonté d’attiser le feu, ou l’incapacité et le manque de volonté des responsables de rechercher une solution négociée acceptable pour toutes les parties concernées, peut faire émerger des conflits au sein d’Etats et de populations ne pouvant que très difficilement être réglés de manière pacifique. •
* <link http: www.vatican.va roman_curia congregations cfaith cti_documents rc_con_cfaith_doc_20090520_legge-naturale_fr.html>www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/cti_documents/rc_con_cfaith_doc_20090520_legge-naturale_fr.html; cf. aussi Horizons et débats no 14/15 du 26 juin 2017 (<link fr editions no-1415-26-juin-2017 a-la-recherche-dune-ethique-universelle.html>www.zeit-fragen.ch/fr/editions/2017/no-1415-26-juin-2017/a-la-recherche-dune-ethique-universelle.html)
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