Les résultats électoraux des quatre dernières années dans la plupart des pays d’Europe, les quelques votations populaires nationales au sein des membres de l’UE, mais aussi les élections aux Etats-Unis, ont montré qu’une grande partie des populations du monde «occidental» cherche des alternatives aux dirigeants politiques et à leurs décisions. Il est même devenu possible, dans notre monde actuel, d’obtenir des majorités pour des sujets politiques et des personnes, sans qu’elles ne disposent d’aucun soutien mais soient au contraire violemment combattues par les tenants des positions dominantes en politique, en économie et dans la société.
D’une part, tout un chacun étant à la recherche d’une voie permettant un changement fondamental au niveau de la société, de l’économie et de la politique peut s’en réjouir. Il y a, en effet, de nombreuses raisons d’analyser de manière critique l’état de notre société, de notre ordre économique et de notre vie politique et de vouloir apporter des changements.
Par ailleurs, le changement ne garanti pas automatiquement une amélioration. L’Histoire est malheureusement pleine de soi-disant changements qui ne tinrent pas leurs promesses. Il suffit de se rappeler les changements radicaux des 250 dernières années, menés au nom d’idéaux sublimes, mais laissant l’éthique de côté sous les coups de la lutte pour le pouvoir. Et c’est précisément quand la raison et l’humanisme n’ont plus la cote qu’il faut être particulièrement vigilant.
Actuellement, il s’agit de se faire entendre: les voix portant la raison et l’humanisme – si nombreuses dans chaque pays – ne doivent pas laisser les choses suivre leur cours, de se contenter de lamentations silencieuses et d’abandonner le champs des affrontements publics à d’autres.
Il est vrai que les débats publics sont rudes et que les spécialistes de la polarisation et les partisans du soft totalitarisme (cf. Horizons et débats no 2 du 23/1/17; le président fédéral allemand en fin de mandat en est un exemple) mènent le bal, il ne reste plus que les combats pour le pouvoir et les manipulations pour endoctriner les populations à souhaiter un nouveau «Führer».
J’ai trouvé récemment un petit livre, dont la version originale en anglais remonte à l’année 1944. 70 ans plus tard, en 2014, il fut publié en allemand: «Lignes directrices pour les soldats anglais en Allemagne 1944». On y trouve des considérations sur les Allemands: «Il va de soi que les Allemands ont beaucoup de qualités. Ils sont très appliqués et vont au fond des choses. Ils sont obéissants et ils aiment particulièrement la propreté et l’ordre. Ils apprécient surtout l’éducation formelle et sont fiers de leur ‹culture› attribuant une grande place à la musique, aux arts et à la littérature. Mais depuis des siècles, ils ont pris l’habitude de se soumettre à des chefs autoritaires – non pas parce qu’ils trouvent que leurs chefs sont sages et justes, mais parce que leur obéissance a été obtenue par la force.» C’est un jugement remarquable, formulé en l’an 1944 et de surcroît par l’ennemi de guerre. N’était-ce que de la propagande de guerre? La préparation d’une «rééducation» planifiée? Ou plutôt un bout de diagnostic réaliste? Et qu’en fit-on? S’est-on contenté de remplacer les anciennes «autorités» par des nouvelles – sous le couvert d’un mouvement «antiautoritaire»? Et où en sont les Allemands en l’an 2017?
Le fait, en réalité, est que nombre d’Allemands ont quelque peine à savoir trouver une orientation autonome en eux-mêmes. C’est fortement lié à l’histoire allemande et à la façon dont les vainqueurs de deux guerres mondiales, voire certains Allemands eux-mêmes, ont traité leur histoire et le peuple allemand. On n’a toujours pas d’histoire honnête, sérieuse et complète de l’Allemagne et des Allemands. Il y avait trop de préjugés politiques – alors que l’historiographie d’en face était entachée d’un esprit d’opposition et de révisionnisme.
Dans l’Allemagne actuelle, il n’y a plus de débat public sur les tentatives de présenter l’histoire allemande avec amour du pays et de ses habitants, en mettant en avant leurs qualités – mais aussi, avec sincérité, leurs défaillances. Et pourtant, il semble indispensable de remettre le nez dans les livres, en ces temps agités, et de les lire.
Klaus Hornung professeur émérite ès sciences politiques de l’Université de Stuttgart fêtera cette année ses quatre-vingt-dix ans. Il est un savant protestant aux fondements conservateurs-libéraux. Il continue toujours à s’exprimer. Son dernier livre paru en 2015 intitulé: «Liberté ou despotisme. Expériences faites au XXe siècle» et regroupe les écrits de l’auteur parus au cours de trois décennies. Dans l’introduction, on peut lire que Klaus Hornung se considère comme «partisan d’une politique concrète fondée sur l’éthique et honnêteté». Il ne paraît pas opportun de s’attarder ici sur le contenu du livre. Tout au plus peut-on inciter à le lire, car Klaus Hornung montre dans ses réflexions sur divers domaines politiques (totalitarismes du XXe siècle, politique allemande de sécurité et formation politique) ce que représente pour lui la pensée conservatrice, libérale et honnête et combien cette façon de penser est à nouveau précieuse de nos jours. Il est bon de rappeler l’article paru pour la première fois en 2007 et intitulé «Démocratie libérale et menace totalitaire – le conflit de notre époque», qui malgré ses dix ans d’âge a gardé toute son actualité (cf. l’encadré).
L’introduction du livre présente parfaitement le profond désir de Klaus Hornung de «redonner du profil et de la conviction à la culture de la liberté politique et philosophique face aux anciens et aux nouveaux despotismes».
Bernard Sutor: «Ethique politique»
Un peu plus jeune que Klaus Hornung, Bernard Sutor est né en 1930, il est lui aussi professeur émérite ès sciences politiques de l’Université d’Eichstätt. En 1991, il a publié le livre intitulé «Ethique politique. Présentation complète reposant sur les sciences sociales chrétiennes». Sur la couverture de l’ouvrage, on peut lire: «Ce livre fait le lien entre la doctrine sociale catholique, son développement scientifique en tant que sciences sociales chrétiennes et les questions de la politique actuelle. Il développe une éthique politique en partant de cette doctrine et la transpose dans les trois grands domaines de la politique: la politique intérieure, la politique économique et sociale, la politique internationale. Il donne ainsi une orientation éthique fondamentale à la formation politique.» Bernhard Sutor termine son texte de la manière suivante: «Quiconque veut faire ses preuves en politique en tant que chrétien doit être prêt à s’immiscer dans les disputes quotidiennes entre les groupes et les pouvoirs; il doit être prêt de s’engager en faveur de ce qu’il estime être mieux et plus juste. Il doit le faire avec intelligence et patience sans pour autant prétendre détenir la plus haute vérité politique. […] Les chrétiens ne doivent pas être des fondamentalistes de la religion en politique; il est préférable qu’ils restent raisonnables afin d’assurer au niveau institutionnel la paix et la liberté pour offrir davantage de justice sociale. C’est l’amour qui exige du chrétien d’aspirer à l’aide de la politique à un tel succès.»
Les positions de Bernard Sutor et de Klaus Hornung manquent dans le débat public actuel, alors même que de telles voix seraient très précieuses. Pour promouvoir leurs objectifs, les protagonistes de positions politiques douteuses tentent actuellement d’instrumentaliser même le Pape – probablement pour démanteler toute éthique. Il faut donc d’autant plus des voix s’impliquant ouvertement en faveur de l’éthique en politique.
L’éthique en politique signifie aussi de respecter et de protéger la dignité de l’Homme. C’est ce qui est mentionné dans l’article 1 de la Loi fondamentale allemande comme obligation de tout pouvoir étatique … il faut cependant impérativement discuter et concrétiser davantage les conséquences engendrées. Celles-ci sont le respect des droits humains, de l’Etat de droit et de la démocratie.
La démocratie c’est l’indépendance et la souveraineté – la souveraineté du peuple et la démocratie directe. Hans Köchler a explicité cela dans ce journal, dans la première édition de la nouvelle année. Y réfléchir et agir avec plus de conséquences dans cette direction feraient du bien tant aux pays européens qu’à leurs populations et faciliteraient la solution de bien des problèmes. •
«De manière presque inaperçue de la plupart des citoyens et trop peu prise en compte par les sciences spécifiques, une transformation de la politique constitutionnelle a lieu depuis la fin du siècle passé dans les Etats européens dont on ignore encore l’impact historique: le changement de la démocratie libérale et absolument antitotalitaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux formes nouvelles d’un ordre politique dirigé où les principes fondamentaux de la souveraineté populaire, la séparation des pouvoirs et la garantie des libertés fondamentales du citoyen perdent leur valeur ou sont transformés en une autre réalité constitutionnelle. Ceci se déroule dans le cadre d’un processus formellement démocratique avec des élections libres, des parlements et des gouvernements élus. Toujours est-il qu’on réalise que dans les coulisses il y a depuis longtemps des nouvelles alliances de pouvoir, des puissances économiques, médiatiques et idéologiques globales qui possèdent non seulement les moyens de production mais dominent aussi les idées, les opinions et les débats publics. Se référant à la notion du «complexe militaro-industriel» d’il y a cinquante ans, on pourrait parler de nos jours d’un complexe de pouvoir «politico-économique-idéologique-médiatique» se servant principalement de la pratique du politiquement correct pour tenir sous contrôle les sociétés industrielles et de consommation modernes. Des sanctions de convictions particulières, par exemple pour «racisme», «xénophobie» ou «révisionnisme historique» rappellent le retour à un nouveau Moyen-Age afin de conditionner le comportement et l’opinion des masses. Le conservateur américain Paul Gottfried parle très justement «d’un Etat thérapeutique» postmoderne représentant une manière particulière de faire revivre les dictatures totalitaires du XXe siècle sous de nouvelles formes manipulatrices de pouvoir.
Cela dit, on observe les principes fondamentaux suivants:
– L’Etat se voit réduit à une agence d’intérêts économiques et idéologiques d’ordre mondial où s’allient bizarrement les Jacobins et Chicago-boys […];
– L’intention d’anéantir les frontières culturelles et politiques au sein d’un marché global infini et d’un «progrès» inexorable et sans alternative, représentant une sorte de nouvelle Providence;
– lié à cela un nivellement et renversement systématique des acquis historiques, la destruction des cultures, des religions et des ethnies en une culture unifiée universelle de mode américano-occidentale […].
Hornung, Klaus: La démocratie libérale et les dangers totalitaires – le conflit de notre époque. in: Liberté et despotisme. Les expériences faites au XXe siècle, 2015, p. 95s.
«La culture de la paix est une tâche qui va bien au-delà des possibilités de la politique. Elle prend en compte les relations, les diverses forces sociales au sein et entre les Etats ainsi que les comportements individuels dans les petits groupes. Une société qui est en disharmonie, qui ne peut gérer et régler ces conflits internes, ne peut pas non plus produire des institutions et des représentants politiques transmettant des messages de paix. Sachant cela, il s’ouvre un vaste champ de possibilités et de tâches individuelles et sociales pour contribuer à la promotion de la paix. Il y a des possibilités dans la famille et à l’école, dans les communautés et réunions religieuses, dans les clubs et les entreprises. Il existe aussi des possibilités par le biais de grands groupes, leurs associations et institutions, à leurs tour pour faire entendre la voix de la paix par delà les frontières de l’Etat, afin de promouvoir la communication, la coopération et la compréhension entre les peuples et les cultures.
[...] La paix n’est pas un sujet nouveau de la coopération sociale, pour lequel il faudrait concevoir de nouveaux spécialistes avec une nouvelle répartition des tâches dans des domaines spéciaux. La paix est plutôt une façon de se comporter les uns envers les autres dans tous les domaines sociaux: une attitude, se caractérisant, avant tout lors de conflits et dans des situations de violence imminente, par la raison et les efforts de compréhension à l’aide de procédures adéquates prédéterminées. Là, où l’entente humaine réussit de cette manière, il y a la paix sociale, et celle-ci peut devenir un pilier pour la paix politique.
Bien sûr, cela nécessite une disposition à la paix ou une préparation à la paix. Et pour cela, il doit y avoir l’éducation à la paix. Là aussi, il faut préciser, contrairement à certaines idées idéalistes et naïves, ce qui est sensé. Il ne s’agit pas d’une tâche éducative en plus d’une autre, mais en fin de compte d’une approche pratique et allant de soi au niveau de la communication et de la coopération. Les enfants doivent apprendre à éviter la violence dans les conflits, à chercher et trouver des compromis, à contrôler leurs émotions à suivre les règles du jeu, à accepter la défaite, à accepter autrui avec toutes ses différences et à coopérer avec ces différences. Il en va donc de la construction des dispositions comportementales, en vertu de la capacité à gérer les conflits (vaillance), la maîtrise de soi (mesure) et la coopération (justice), des valeurs toujours et partout nécessaires dans la vie sociale, et devant bien entendu être pratiquées également dans la vie adulte.»
Sutor, Bernhard. L’éthique politique. Vue d’ensemble sur la base de l’enseignement chrétien social, 1991, p 295s.
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