Troisième réforme de l’imposition des entreprises – sur commande de l’OCDE

Troisième réforme de l’imposition des entreprises – sur commande de l’OCDE

Votation populaire du 12 février 2017

Comment la Suisse souveraine doit-elle traiter ce dossier?

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

Cette année c’est le dixième anniversaire du déclenchement de la crise financière européenne. Vous vous souvenez: la crise n’est pas tombée du ciel. Elle nous a été imposée par les Etats-Unis, dont la bulle financière – née de leurs guerres impayables et les billions de dollars virtuels créés à cette fin – risquait d’éclater dans les années 2007/2008. Comme déjà au temps de la guerre du Vietnam, le gouvernement américain a reporté ses dettes vers l’Europe en dévalorisant massivement le dollar. Par la suite l’euro – dès le début une invention douteuse – a commencé d’être sérieusement malade et de nombreux Etats de la zone euro se sont enfoncés dans la crise, le chômage et l’endettement, encombrant l’UE jusqu’à nos jours. Voilà un petit rappel très bref.
Qu’est-ce que cette rétrospective a à voir avec la Suisse? En tant qu’Etat doté d’une politique financière relativement bien organisée, un taux de chômage bas et une propre monnaie saine, la Suisse doit, depuis ces dix années, constamment se battre pour ne pas se faire exploiter sans limites par l’UE et l’OCDE. La guerre des grandes puissances Etats-Unis et UE contre la place économique suisse bat son plein – dans l’espérance irréaliste qu’en vidant les caisses fiscales et les comptes en banques suisses et en affaiblissant ce petit mais sérieux concurrent, ils s’en sortiraient eux-mêmes à leurs avantages.
Actuellement, dans le monde entier a lieu une lutte farouche entre les pays pour attirer les grandes entreprises économiques. Car dans ce monde globalisé les grands trusts ne sont souvent plus liés à leur pays d’origine, mais ils établissent leurs centres de production dans les régions du monde les plus profitables; pour leur siège principal, ils choisissent un Etat garantissant une stabilité politique et une sécurité juridique élevées ainsi qu’une bureaucratie et des impôts réduits.

Structures fédéralistes et privilèges d’imposition actuels

D’un côté, la Suisse est très attractive en tant que site pour les entreprises étrangères, grâce à sa stabilité élevée, notamment en ces temps politiquement et économiquement peu sûrs. Le franc fort garanti une certaine sécurité, mais de l’autre côté, il est lié à un coût de la vie élevé. Afin que les cantons puissent participer à la concurrence internationale entre places économiques, ils ont, jusqu’à présent, offert aux 24 000 dites «Sociétés à statut particulier» faisant la plupart le gros de leur chiffre d’affaire à l’étranger, une imposition forfaitaire avec peu de bureaucratie. Dans ce nombre, il y a environ 11 000 sociétés holding, sans activités économiques dans le pays, mais détenant et administrant uniquement des participations à d’autres entreprises. Celles-ci génèrent environ 150 000 emplois en Suisse.
Les entreprises avec imposition privilégiée payent plus de 5 milliards d’impôt fédéral direct et environ 1,6 milliards de francs d’impôt cantonal sur le bénéfice. Les plus de 300 000 grandes, moyennes et petites entreprises non privilégiées, déboursent aux cantons environ 6,3 milliards d’impôts sur le bénéfice. (Source: «St. Galler Tagblatt» du 19/1/17).

L’UE et l’OCDE font pression sur la Suisse depuis plusieurs années

L’OCDE est en réalité uniquement un bureau occupant environ 2500 collaborateurs produisant des statistiques, déduisant des «recommandations politiques» et créant des «normes». (cf. www.oecd.org/berlin/dieoecd/)
Ces «recommandations» et «normes» sont transmises de manière autoritaire aux petits Etats comme la Suisse: soit en cachette (par exemple concernant la transformation des systèmes de formation et de santé publique) ou bien ouvertement en utilisant des pressions ou des menaces à l’aide de listes noires ou grises. Ainsi, on put lire en septembre 2015 dans la «Neue Zürcher Zeitung»: «Depuis le début de la crise financière et de la dette de 2007/08, la volonté politique d’un durcissement des règles globales a fortement augmenté, notamment dans les grands pays de l’OCDE. Des plus petits pays tels la Suisse […] doutent de l’activisme de l’OCDE, mais doivent se soumettre aux réalités de politique de force.»
Après avoir «vaincu» le secret bancaire, il est prévu de faire la même chose avec l’imposition des entreprises: depuis longtemps l’UE et l’OCDE exigent de la Suisse d’abolir les impositions privilégiées. Ainsi, ils découragent aujourd’hui déjà certaines entreprises de s’installer en Suisse, suite à cette situation juridique incertaine. L’abrogation des privilèges relève de la compétence des cantons. Pendant plusieurs années, la Confédération a dû s’efforcer de trouver avec les gouvernements cantonaux, les partis, les associations économiques et d’autres parties concernées une solution pouvant, à la fois, éliminer l’épée de Damoclès des «listes noires» et obtenir le soutien d’une majorité des électeurs. Le 12 février 2017, le peuple souverain décidera exactement de cela.

Le pour et le contre des changements prévus avec cette votation

Nous nous limitons ici aux points essentiels et compréhensibles pour tous de la réforme de l’imposition des entreprises (RIE III).
Elément central: la Confédération se soumet aux grandes puissances et interdit aux cantons d’offrir aux sociétés à statut particulier une imposition sur le bénéfice (impôts sur le revenu) plus basse qu’aux entreprises locales. Au lieu de cela toutes les entreprises, étrangères et locales, peuvent faire valoir des déductions fiscales généreuses pour la recherche et le développement, et les gains sur les brevets seront moins taxés (cf. Explications du Conseil fédéral, p. 32). Un tel allègement administratif pour toutes les entreprises correspond aux normes de l’OCDE.
Les adversaires du projet qualifient les nouvelles réductions comme des «entourloupes d’impôts louches», «que seulement une poignée de conseillers fiscaux ou d’avocats fiscalistes comprenne» (Explications, p. 35). Quiconque essaie de lire et de comprendre l’énoncé des amendements législatifs prévus (Explications, pp. 38 – 46) doit concéder aux adversaires: aucune trace de langue commune!
Les partisans du projet attendent des nouveaux allégements fiscaux qu’une grande partie des entreprises locales et étrangères reste en Suisse afin de préserver ou même augmenter le nombre d’emplois.
Les adversaires du projet – cela s’exprime notamment dans de nombreuses lettres de lecteurs – sont d’avis qu’on peut aisément se priver de Google, Apple et Cie.
Les partisans objectent que le départ d’une grande partie des entreprises étrangères laisserait un grand trou dans les caisses d’impôts suisses et que la perte d’emplois aurait des conséquences sérieuses.

Ce que la plupart des cantons pourraient changer suite à l’acceptation du projet

Dans la Suisse fédéraliste la souveraineté fiscale est du ressort des cantons. La Confédération peut bien prescrire aux cantons de taxer toutes les entreprises du même taux. Cependant, c’est à eux de décider comment mettre en œuvre cette directive au niveau législatif. Cela signifie, qu’ils peuvent eux-mêmes décider du taux d’imposition sur le bénéfice pour les entreprises locales et étrangères pour les motiver à rester. La plupart des personnes concernées sont d’avis que cela profiterait à la majorité des Petites et moyennes entreprises (PME): leur taux d’imposition serait également abaissé. Ce seront finalement les électeurs de chaque canton qui décideront dans les urnes des amendements de l’ordre fiscal cantonal.
Afin que le trou dans les caisses d’impôts cantonales ne soit pas trop grand suite à l’abaissement des impositions, la Confédération prévoit de soutenir les cantons: leur part aux recettes de l’impôt fédéral direct passera de 17% à 21,2% (Explications, p. 34). En tout, l’allocation fédérale s’élèverait à 1,3 milliards par an, selon les chiffres officiels.

Débat sur les conséquences d’un Oui ou d’un Non concernant la RIE III

Les adversaires du projet font valoir que le trou dans la Caisse fédérale pourrait être beaucoup plus grand que celui déclaré par le Conseil fédéral aujourd’hui, sans parler des pertes substantielles de recettes fiscales cantonales dont l’estimation précise ne peut s’effectuer à l’avance par personne. (Explications, p. 35).
Le Conseil fédéral confirme lui-même ce fait: l’impact financier de la réforme dépendra de nombreux facteurs inconnus actuellement (Explications, p. 31).
Les adversaires du projet affirment que l’acceptation du projet mènerait à l’augmentation des impôts pour les citoyens et la réductions des prestations étatiques: les gagnants seraient quelques grandes entreprises et leurs actionnaires, par contre les contribuables et les citoyens normaux devraient passer à la caisse. (cf. www-usr3-nein.ch). Cependant, les adversaires utilisent également des chiffres non prouvés, par exemple en présentant une liste des augmentations d’impôts chiffrées (en cas de l’adoption de la réforme fiscale) dans chaque commune du canton de Saint-Gall.
Les partisans du projet affirment que les pertes de recettes fiscales ne seront que temporaires, si la RIE III est acceptée, car de nouvelles entreprises s’établiraient en Suisse. En outre, en devant payer moins d’impôts, les entreprises suisses pourraient investir et produire d’avantage à l’intérieur du pays. Le conseiller fédéral Ueli Maurer, chef du département des Finances met en garde: «Contrairement aux conséquences d’un Non, les pertes de recettes fiscales en cas de l’adoption du projet seront faibles. […] En cas de rejet, nous perdrions immédiatement des ressources fiscales et des emplois, il y aurait moins d’investissements et le nombre de nouvelles implantations d’entreprises se réduirait à zéro.»

Et maintenant?

En conclusion, voici la présentation d’une sorte de synopsis et d’éventuelles solutions.
Synopsis: Tout le monde est pratiquement unanime sur le fait que la Suisse doit en finir avec la taxation préférentielle des entreprises étrangères, suite au diktat de l’OCDE. L’intention d’imposer à l’avenir toutes les entreprises économiques au même taux et de leur accorder les mêmes déductions fiscales, est tout à fait réalisable du point de vue de l’équité fiscale. Tout le monde est également d’accord que l’acceptation de cette réforme fiscale conduira, au moins temporairement, à une baisse des recettes fiscales dans les comptes de la Confédération et des cantons. Cependant, il y a désaccord notamment dans la façon dont ces pertes et les paiements de soutien fédéraux prévus devront être payés. Faut-il abaisser l’imposition des entreprises sur le dos des contribuables «normaux»? Contre cela, notre sens de la justice s’oppose.
Les adversaires du projet peinent à présenter une solution socialement acceptable. Prenons l’exemple de la conseillère aux Etats Anita Fetz (PS Bâle-Ville): Dans un texte intitulé «Sans alternative? Mais non!», nous cherchons en vain une réelle proposition alternative: «En politique, il y a heureusement la possibilité de retourner le colis à l’expéditeur avec la mission d’améliorer le projet.» Mais comment donc?
Eventuelle solution au niveau national: Nous, les électeurs pourrions profiter de l’occasion de réduire les bulles bureaucratiques et la quote-part étatique dans la Confédération, les cantons et les villes. Les dépenses fédérales dans les domaines de la formation et de recherche ont augmenté entre 2005 et 2015 de 4,3 milliards pour atteindre 7 milliards de francs, soit 62% de plus! Une bonne partie est disparue dans des projets de recherche de l’UE que nous pourrions avoir pour moins chers en les accomplissant nous-mêmes. Environ un milliard est versé au Fonds national suisse – ce qui est davantage que le total des contributions fédérales pour la formation professionnelle en Suisse (cf. «Espace de recherche et de formation suisse et bureaucratie européenne», Horizons et débats no 27 du 28/11/16)!
Dans de nombreux cantons et villes, les choses se déroulent de manière similaire. Dans la ville de Zurich par exemple, la population accepte très souvent à une grande majorité des projets de constructions complètement disproportionnés; par exemple, le 9 juin 2013, avec 73,4% des voix en faveur d’un établissement scolaire du primaire compatible avec le Plan d’études 21 et proposé à un prix de 90 millions de francs (avec une salle de sport triple et des salles de classe à «usage flexible, permettant d’enseigner selon les méthodes modernes»!)!
Nous citoyens et les Parlements devraient «analyser les projets» de chaque service administratif avant de donner notre accord uniquement aux projets abordables et sensés; ainsi on pourrait libérer une certaine quantité de fonds étatiques.
Que faire en tant que petit Etat? Chercher des alliés! «En tant qu’individu, vous ne pouvez pas vous défendre. Cela s’avérerait catastrophique. Par conséquent, il nous faut des partenaires: des Etats partageant nos idées», dixit Ueli Maurer, conseiller fédéral responsable du département des Finances. Il a profité de son séjour au WEF de Davos pour nouer des contacts en Europe «dans une sorte de petit groupe G4 comprenant les Pays-Bas, la Belgique et la Suède», en dehors de l’UE avec la Grande-Bretagne, l’Australie et Singapour. Ensemble, une telle union interétatique pourrait se défendre, par exemple, contre de nouvelles «normes» de OCDE.
Sauvegarder les forces de la Suisse: Le fait que, comparée à d’autres pays, la Suisse se porte toujours bien, n’est pas à mettre sur le compte d’échappatoires fiscaux et des multinationales, mais aux avantages de notre structure étatique, de notre économie de proximité et du grand nombre de citoyennes et citoyens actifs et conscients de leurs responsabilités.
–    Fédéralisme et démocratie directe: les petites communes sont généralement le mieux gérées, avec grand soin et de manière économique, car les citoyens y font beaucoup de travail bénévole et dans les assemblées municipales, ils décident directement du budget communal et peuvent contrôler l’administration. Nous devons exiger d’avantage un tel contrôle dans les villes, au niveau des cantons et de la Confédération, ou alors exiger cela de nos parlementaires – car avec les droits que nous offre la démocratie directe, c’est possible.
–    PME solides, système dual performant pour la formation professionnelle, bon enseignement au niveau de l’école obligatoire: la Suisse a de loin le taux de chômage le plus bas en Europe – notamment du chômage des jeunes – parce que les petites et moyennes entreprises (PME), mais également de nombreuses grandes entreprises suisses ainsi que les entreprises publiques, soutiennent et participent au système dual de la formation professionnelle. 70% des adolescents en Suisse (y compris les jeunes étrangers vivant dans le pays) effectuent un apprentissage et contribuent ainsi au maintien de l’ordre étatique et économique bien établi. Cependant, ce qui est alarmant, c’est qu’en raison de la croissante baisse de la qualité de l’enseignement à l’école obligatoire (suite au réformes scolaires des dernières décennies), de plus en plus d’adolescents terminant leur scolarité ne sont plus aptes – et en partie plus disposés! – à commencer un apprentissage professionnel et à le terminer avec succès. Voilà une des raisons principales pour empêcher l’introduction définitive du Plan d’études 21 dans les cantons germanophones.
La Suisse possède une structure étatique unique et proche du citoyen, une dette publique relativement faible et une économie relativement saine, ainsi qu’une majorité de la population – encore! – enthousiaste et prête à s’investir. Donc, nous allons certainement être capable de vivre avec cette «Troisième réforme de l’imposition des entreprises» en sachant qu’elle pourrait mener à certaines pertes financières temporaires.    •

L’UE menace de placer sur une liste noire les «régions aux pratiques fiscales déloyales»

Fin janvier, la Suisse recevra – avec 90 autres pays – une missive de l’UE, selon laquelle celle-ci prévoit de vérifier jusqu’à fin 2017, si certains de ces Etats acceptent, selon le codex de l’UE, des pratiques fiscales «déloyales» pour les entreprises («Neue Zürcher Zeitung» du 27/1/17). Cette annonce est naturellement du pain béni pour les partisans de la Troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III) en Suisse, dont le projet sera soumis au peuple le 12 février. Car avec ce projet, il est prévu d’interdire tous les privilèges offerts actuellement dans de nombreux cantons aux sociétés étrangères à statut particulier. Les opposants à la réforme fiscale se trouvent donc dans le dilemme, car ils proviennent pour la grande majorité de cercles plaidant régulièrement en faveur de l’«ouverture» de la Suisse face à l’UE. Pour ne pas se mettre en opposition à l’UE, ils promettent de présenter un projet alternatif à la RIE III qu’ils fustigent. Etant donné que chez les opposants, aucun consensus sur les contenus concrets d’un tel nouveau projet n’existe, il est assez improbable qu’ils puissent le présenter en temps utile, donc que ce projet soit rapidement prêt à être soumis au vote du peuple.

Notre site web utilise des cookies afin de pouvoir améliorer notre page en permanence et vous offrir une expérience optimale en tant que visiteurs. En continuant à consulter ce site web, vous déclarez accepter l’utilisation de cookies. Vous trouverez de plus amples informations concernant les cookies dans notre déclaration de protection des données.

Si vous désirez interdire l’utilisation de cookies, par ex. par le biais de Google Analytics, vous pouvez installer ce dernier au moyen des modules complémentaires du présent navigateur.

OK